Zone euro : les recommandations des économistes allemands et français

Par Grégoire Normand  |   |  1149  mots
Selon les dernières prévisions de la Commission européenne, la croissance de la zone euro devrait atteindre 2,2% et celle de l'Union européenne 2,3 % en 2018.
Un groupe d'économistes franco-allemands suggère de remplacer les règles budgétaires actuelles jugées "opaques" et "trop complexes" par un système plus simple. Ils espèrent ainsi faciliter la reprise de l'économie de la zone euro en cas de crise ou de récession même si cela engage un dépassement des déficits.

Les économistes se mobilisent pour la zone euro. Dans un rapport publié simultanément, à Berlin et à Paris, quatorze économistes français et allemands proposent un programme de réformes pour la zone euro. Si des divergences sont apparues rapidement au cours des discussions, les experts des deux grandes puissances ont réussi à trouver un terrain d'entente sur six points précis. Un travail qui a nécessité de longs mois de réunions et d'échanges non sans difficultés comme l'a rappelé l'économiste Jean-Pisani Ferry lors de la conférence de presse. Au début, "on a constaté qu'on s'aimait beaucoup mais qu'on était d'accord sur rien. Au bout d'un moment, on s'est dit qu'il fallait travailler". Et si la conjoncture économique actuelle est favorable, l'union monétaire n'est pas pour autant à l'abri de risques au regard des incertitudes qui pèsent sur le plan politique notamment.

"La monnaie unique reste vulnérable du fait de la fragilités persistantes, d'une fragmentation financière peu favorable à la croissance à long terme et de divisions profondes entre Etats membres en termes aussi bien économiques que politiques."

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Solidarité et discipline de marché

Dans leurs travaux, les universitaires comme Agnès Benassy-Quéré (Ecole d'économie de Paris) ou Nicolas Veron (Bruegel) ont essayé de concilier des principes qui divisent régulièrement les pays au sein de la zone euro : la solidarité et la discipline de marché.

"Certains prônent des règles budgétaires plus souples et des mécanismes de stabilisation macroéconomique au niveau de la zone euro ; d'autres voudraient au contraire durcir les règles et renforcer les incitations à mener des politiques prudentes au niveau national, et rejettent tout partage des risques."

Partant du principe que les projets de réforme de la zone euro sont dans l'impasse, ils considèrent que cette polarisation du débat entre solidarité et responsabilité constitue "une fausse alternative". Ces experts ont tenté de passer outre ce débat en soulignant que la monnaie unique restait vulnérable "du fait des fragilités financières persistantes" et "qu'une architecture financière solide requiert à la fois des instruments pour prévenir les crises et pour en atténuer les effets". Pour relever tous ces défis, ils ont ainsi avancé six propositions.

Les six réformes

Les quatre économistes présents lors de la conférence de presse ont souligné l'importance de construire une croissance de long terme par des outils de stabilisation.

  • Diminuer les risques bancaires : ils proposent une réforme visant à protéger les banques contre une éventuelle restructuration de dette publique et "contre le risque de panique des déposants". Il suggèrent ainsi de "pénaliser les banques dont l'actif est trop concentré sur une unique signature souveraine, tout en protégeant mieux les déposants européens via un système intégré d'assurance de dépôts".
  • Remplacer les règles budgétaires actuelles : les économistes estiment que le système actuel "est trop complexe et trop opaque" notamment en ce qui concerne les règles de dépassement des déficits et des dettes. Les règles sont "peu fiables exposant la Commission européenne à toutes sortes de critiques". Ils estiment que les dépenses publiques ne devraient pas progresser plus vite que le PIB. "Un telle règle serait à la fois plus stabilisante pour l'activité et plus transparente pour les citoyens et leurs représentants." Ils proposent de mettre en place une institution nationale indépendante, elle-même supervisée par une institution indépendante au niveau de la zone euro pour contrôler la mise en oeuvre de cette règle. Pour les gouvernements qui outrepasseraient la règle, ils seraient obligés de financer l''excès de dépenses" en émettant de "la dette junior" (la première touchée en cas de restructuration).
  • Mettre en place un dispositif de restructuration des dettes pour les pays dont la solvabilité ne pourrait être restaurée par des prêts conditionnels du Mécanisme européenne de stabilité (MES). Les universitaires proposent également de protéger les Etats souverains de certains créanciers comme "les fonds vautours".
  • Proposer aux investisseurs un actif synthétique "sans risque" en alternative aux dettes souveraines nationales. La mise en oeuvre ce type d'actifs permettrait "d'éviter des mouvements brutaux" sur le marché des dettes et "contribuerait ainsi à la stabilité financière". A titre expérimental, ils suggèrent de le tester à petite échelle."Ce qui permettrait de régler les paramètres et de vérifier la viabilité du système".
  • Modifier "l'architecture" institutionnelle de la zone euro : les économistes proposent enfin de séparer le rôle de surveillance des politiques nationales (en nommant un commissaire indépendant au sein de la Commission européenne) du rôle politique de décision (président de l'Eurogroupe, un poste actuellement occupé par le portugais Mario Centeno). Enfin, la responsabilité politique de la gestion de crise devrait être entièrement confiée à un MES réformé, responsable devant le Parlement européen.

A la recherche de relais politiques

Les propositions des économistes des deux premières puissances économiques de la zone euro vont devoir trouver un écho sur le plan politique. Et la tâche est loin d'être accomplie. En Allemagne, si les négociations entre la CDU d'Angela Merkel et le SPD de Martin Schulz ont récemment abouti à un accord pour former un gouvernement et qu'ils se sont entendus pour "renforcer durablement et réformer la zone euro" afin qu'elle puisse "mieux résister aux crises", les conservateurs allemands présentent des points de divergence importants avec les dirigeants français. L'un des points d'achoppement concerne la finalité d'un Fonds monétaire européen, issu du Fonds de secours déjà existant pour les pays confrontés à des crises de la dette (MES).

Cette idée est un projet allemand à l'origine, défendu de longue date par l'ancien ministre des Finances Wolfgang Schäuble. Il entend jusqu'ici confier à ce FME la tâche de faire entre autres la police sur les déficits dans les pays de la zone euro et de supplanter par ce biais la Commission européenne jugée trop laxiste.

Ce n'est pas la vision française, qui soutient un Fonds monétaire européen mais entend lui donner un pilotage "politique", comme l'a indiqué le ministre de l'Economie Bruno Le Maire dans une interview jeudi dernier à l'hebdomadaire allemand Die Zeit. Autrement dit un rôle pas seulement cantonné à la surveillance de l'application des règles. Si les économistes ont réussi à trouver un terrain d'entente, l'absence de convergence de points de vue sur le plan politique pourrait une fois de plus retarder la mise en oeuvre de ces propositions.

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