Zone euro : pourquoi Mario Draghi ne veut pas baisser la garde

Par Romaric Godin  |   |  1203  mots
Mario Draghi veut poursuivre sa politique monétaire.
Le président de la BCE a indiqué qu'il ne changerait pas sa politique monétaire, malgré la remontée des taux et de l'inflation. Mais il risque de devoir faire face à une forte résistance allemande.

Mario Draghi ne baisse pas la garde malgré la remontée des prix. Le président de la BCE, qui s'exprimait vendredi 18 novembre devant le Congrès du secteur bancaire de Francfort, sur « l'état et les perspectives de la reprise en zone euro » a précisé que « en dépit de la hausse des prix fournie par le comblement progressif de l'écart de production, un ajustement durable du chemin de l'inflation repose encore sur la poursuite des conditions financières actuelles ». En d'autres termes, l'accélération actuelle de l'inflation ne permet pas de relâcher la pression de la BCE sur les taux. La zone euro ne peut donc pas encore se permettre une politique monétaire moins accommodante. Ceux qui attendent un resserrement en zone euro devront attendre encore. « C'est pourquoi nous restons engagé à maintenir le très substantiel niveau d'accommodement de la  politique monétaire qui est nécessaire pour atteindre notre objectif d'inflation », a conclu le président de la BCE.

Remontée des taux sans reprise économique

En réalité, Mario Draghi n'a aucune raison de changer de politique. Certes, les taux ont fortement remonté depuis l'élection à la présidence des Etats-Unis de Donald Trump voici dix jours. Cette hausse des taux anticipe une remontée de l'inflation, principalement aux Etats-Unis grâce à un éventuel programme de relance de la nouvelle administration de Washington. Mais l'impact sur l'inflation européenne est loin d'être acquise. La hausse des taux nominaux n'est pas basée sur une réalité européenne d'une reprise inflationniste. Elle peut donc s'accompagner d'une hausse des taux réels qui « briserait » la reprise. Il est donc utile du point de vue de la BCE de maintenir la pression sur les taux afin d'assurer les meilleures conditions financières à l'économie de la zone euro.

L'accélération de l'inflation ne suffit pas

Du reste, une simple remontée de l'inflation ne saurait suffire. Rappelons que la BCE doit assurer une « stabilité monétaire » dont la définition est un taux d'inflation annuel « à moyen terme », « sous les 2 %, mais proche des 2 % ». On en est loin en zone euro où les plus optimistes tablent sur un tel taux, au mieux, en 2018. Surtout, il y a inflation et inflation. Le taux d'inflation remonte certes en zone euro. Il a atteint en octobre 0,5 % sur un an, un niveau inédit depuis deux ans. Mais cette remontée s'explique d'abord par la fin de l'effet négatif des prix de l'énergie qui sont passés de -8,1 % en mai dernier, ultime mois d'inflation négative en zone euro (-0,1 %), à - 0,9 % en octobre. En excluant l'énergie, le taux d'inflation n'a guère changé et, pire, même, il s'est affaibli : + 0,7 % en octobre contre +0,8 % en mai. Autrement dit, pour le moment, il n'y a aucune dynamique inflationniste réelle à l'œuvre dans la zone euro en dehors de l'inflation énergétique.

La question de la transmission du renchérissement de l'énergie

Certes, il faut du temps pour « transférer » le renchérissement de l'énergie au reste de l'économie. Et cette transmission n'est pas certaine : elle ne se fera que si la demande est suffisante pour pouvoir absorber les hausses de prix. Sinon, les entreprises devront accepter de réduire leurs marges ou devront réduire leurs coûts de production. Dans les deux cas, les conséquences sur l'emploi et l'investissement se feront sentir. Or, la persistance d'une inflation sous-jacente stable à un niveau bas est assez préoccupante : elle signifie qu'il n'existe aucune réaction pour le moment des prix à la consommation au renchérissement des prix à la production engagé depuis six mois. Dans un tel contexte, la hausse des produits énergétiques est des plus préoccupantes car c'était la baisse des prix de l'essence et de l'électricité avaient conduit à donner du pouvoir d'achat aux ménages. On doit donc s'attendre à une consolidation de la consommation qui a d'ailleurs commencé : les ventes au détail ont reculé en août et en septembre en zone euro. C'est un pilier de la faible croissance européenne qui menace de vaciller.

Pas de plan de relance en vue

Dès lors, la BCE doit, au moins, tenir sa ligne pour éviter que la hausse des taux réels ne vienne ajouter encore un élément négatif à la croissance. La BCE souhaitait en effet une hausse des prix et des taux, mais une hausse accompagnée d'une accélération de la croissance. Ce n'est pas encore le cas, loin de là.  D'autant que, malgré les « recommandations » de la Commission européenne de soutenir l'économie à hauteur de 0,5 % du PIB, il y a fort à parier que cette idée fasse long feu. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble et le président de la Bundesbank Jens Weidmann ont sèchement rejeté cette recommandation. Pour lui, la Commission ne peut décider des dépenses publiques. Or, l'Allemagne est le seul pays à pouvoir, dans le projet de Bruxelles, agir réellement. Le projet est donc mort-né. Et la BCE reste seule à pouvoir soutenir l'activité en zone euro.

Le problème allemand

Reste que Mario Draghi va avoir fort à faire pour maintenir le cap. L'Allemagne semble en effet avoir une inflation plus rapide puisqu'il se situe en octobre à 0,7 %, un niveau relativement élevé au regard de la France (0,5 %), de l'Espagne (0,5 %) et de l'Italie (-0,1 %). Selon les calculs de HSBC, ce taux pourrait se situer à 1,9 % en avril prochain. La hausse des salaires, relativement forte et entretenue par le plein emploi, favorise une meilleure transmission de la hausse des prix à la production aux prix à la consommation. Pour la BCE, il n'existe pas de problème à ce qu'il existe un décalage d'inflation entre l'Allemagne et le reste de la zone euro. Un tel décalage permet en réalité de compenser en partie l'écart de compétitivité entre les pays de l'union économique et monétaire. C'est une contribution involontaire de l'Allemagne au rééquilibrage de la zone euro. Du reste, la BCE ne doit pas réfléchir en termes nationaux, mais au niveau des 19. On notera ainsi que l'inflation italienne reste très faible.

Pression politique

Mais en Allemagne, on ne l'entend pas de cette oreille. Une remontée des prix accompagnée d'une pression de la BCE pour que les taux ne remontent pas trop vite réduira les taux réels servis aux épargnants. En période électorale, ceci risque de faire grincer bien des dents outre-Rhin et, pour éviter d'alimenter le vote de mécontentement d'Alternative für Deutschland, le parti xénophobe et eurosceptique, les politiques allemands pourraient bien mener la charge contre la BCE. On sait que, outre-Rhin, l'indépendance de la banque centrale n'est en réalité comprise que dans le cadre d'une politique de taux élevés. La Bundesbank risque donc d'insister pour une sortie rapide de l'assouplissement quantitatif. Elle et ses alliés sont certes minoritaires au Conseil des gouverneurs, mais la pression pour un inversement de tendance précoce pourrait se renforcer. Mario Draghi risque donc de reprendre bientôt son traditionnel bras de fer avec Jens Weidmann, le président de la Bundesbank.