Zone euro : une reprise qui ne cache pas les échecs politiques du passé

Par Romaric Godin  |   |  1262  mots
La croissance reste faible en zone euro
La croissance européenne s'accélère légèrement, mais les fondamentaux restent très fragiles. Les conséquences des erreurs commises depuis 2010 se font encore sentir.

Avec une croissance au premier trimestre 2015 de 0,4 % après 0,3 % au trimestre précédent, l'économie de la zone euro accélère, mais elle accélère mollement. Surtout, le principal moteur de cette croissance reste la consommation des ménages.

Le détail de plusieurs chiffres nationaux n'est pas encore connu, il faut donc certes se montrer prudent. Mais la répartition géographique de la croissance laisse peu de doute sur ce sujet : les économies fortement dépendantes de la demande externe enregistrent de mauvais chiffres (la Lituanie et l'Estonie sont en contraction, l'Allemagne, la Lettonie et les Pays-Bas ralentissent fortement), ceux plus dépendantes de la demande interne et de la consommation font mieux que prévu (c'est le cas de la France, de l'Italie ou de l'Espagne).

Le cas français, où la croissance est tirée par la seule consommation, est sans doute caricatural, mais il n'est pas isolé.

Une croissance construite sur du sable ?

En soi, il n'y a pas là de problème majeur. Une croissance tirée par la consommation peut être solide. Mais l'ennui, c'est qu'ici, on n'y est pas.

La consommation européenne, aussi forte fût-elle, est bâtie sur deux éléments non durables.

D'abord, la baisse du prix du pétrole qui, se répercutant à la pompe, a dégagé du pouvoir d'achat pour des ménages qui, parfois, sortaient d'une longue période de contraction de leur pouvoir d'achat en raison des cures d'austérité.

Ensuite, l'allègement des mesures d'austérité un peu partout en Europe qui a non seulement redonné de l'air aux économies, mais redonné de la confiance aux ménages qui ont pu cesser de croire que l'avenir se limitait aux coupes budgétaires et au chômage inévitable. Un peu plus confiants, les ménages ont dépensé, rachetant notamment des produits dont ils s'étaient privés dans les périodes de "vaches maigres".

Les deux phénomènes se sont alliés et ont finalement compensé la relative atonie du reste de l'économie, empêchant la zone euro de tomber dans une spirale déflationniste.

Echec de la course à la compétitivité coût

Ce qui est remarquable dans cette reprise, c'est qu'elle a entièrement déjoué le discours dominant à Bruxelles et dans la plupart des gouvernements de la zone euro.

Si l'on se souvient bien, en 2013, la reprise européenne devait venir des exportations. C'était logique puisque l'austérité avait pour but d'améliorer la compétitivité de la région. Plus compétitive, l'économie européenne allait vendre ses produits à des tiers, puis ces exportations allaient irriguer le commerce interne à la zone euro afin, enfin, de faire baisser le chômage et de conduire à la hausse de la consommation.

Or, ce scénario ne s'est pas réalisé. La réalité semble même prendre le chemin inverse. C'est une nouvelle preuve des erreurs qui ont alors été commises. L'austérité n'a nullement produit de la croissance et ce sont des facteurs étrangers à cette politique ou pire, l'arrêt de cette politique qui a remis la zone euro sur le chemin de la croissance.

Du reste, l'échec est si patent que, même avec un euro déprécié, les exportations restent désespérément atones dans la zone euro. Preuve de l'impasse dans laquelle se sont fourvoyés les Européens depuis 2010 qui ont pensé qu'une consolidation budgétaire rapide, une libéralisation des marchés du travail et une baisse des coûts salariaux permettraient de conquérir des marchés.

Il n'en a rien été. Pire même, la mise en compétition des pays de la zone euro sur les coûts ne cesse de faire de nouvelles victimes, d'autant que l'Allemagne, entre 2010 et 2014, a continué à maîtriser ses coûts salariaux.

Du coup, même des pays jadis très compétitifs comme l'Autriche et la Finlande semblent désormais en panne de croissance et contraints à de futurs « ajustement » douloureux : la Finlande est retombée en récession au premier trimestre 2015 et va devoir faire face à une procédure de déficit excessif de la commission, l'Autriche stagne avec une croissance de 0,1 % sur la même période après 0 % sur le trimestre précédent.

Les conséquences sous-estimées de l'austérité

Cet échec s'explique par deux phénomènes qui ont été sous-estimés constamment par les doctes sages européens.

D'abord, en plongeant la zone euro dans la récession en 2011-2013 par une austérité débridée, les officiels européens ont affaibli la croissance chinoise en fermant un de ses débouchés. Dès lors, l'ancien Empire du Milieu a accéléré sa mutation vers la demande intérieure et s'est lancé dans une croissance du crédit risquée. La Chine ne s'en est toujours pas remise et l'affaiblissement de sa croissance handicape aujourd'hui l'ensemble de la croissance mondiale.

Deuxième élément : l'austérité a conduit à la destruction d'une capacité productive ravagée par l'effondrement de la demande intérieure, notamment des PME. L'accélération de la désindustrialisation du continent (hors Allemagne) rend plus difficile la capacité de certains pays de la zone euro à répondre à la demande externe.

Pas de rechute, mais un contexte peu porteur

Faut-il s'inquiéter alors d'une rechute ? Aucun économiste ne la prévoit. Mais la situation macroéconomique dans les pays émergents reste très préoccupante. La décélération est générale.

Les Etats-Unis n'ont plus guère la capacité d'entraînement de l'économie européenne qu'ils avaient jadis et l'économie américaine semble patiner. Bref, il serait assez illusoire de s'attendre à un redémarrage des exportations suffisant pour porter l'activité européenne.

Quant à la consommation des ménages, elle a peut-être mangé son pain blanc. Le pétrole repart à la hausse, certes encore modérée, et les effets d'apaisement de la fin de l'austérité vont progressivement disparaître. De surcroît, cette consommation ne s'appuie guère sur des produits de la zone euro et est compensée par une forte hausse des importations renchéris par l'euro faible.

Dans ce contexte, l'investissement ne peut qu'être un investissement de rattrapage, insuffisant pour porter la croissance. Bref, s'il semble difficile de prédire une « troisième chute » de l'économie européenne, la croissance risque de rester durablement faible, au-delà des variations trimestrielles parfois trompeuses. Et le chômage risque de demeurer élevé dans les pays en surcapacité.

La clé du crédit

Le seul vrai espoir réside dans une transmission de l'assouplissement quantitatif de la BCE à l'économie réelle via le crédit. On voit des signes encourageants de ce point de vue. Ce sera l'élément clé de la reprise de la zone euro dans les mois à venir. Mais, là encore, il faudra se montrer prudent : les investissements devront permettre la reconstruction industrielle de la zone euro autour de marchés porteurs.

Le secteur privé seul pourra-t-il relever ce défi ? Le plan Juncker saura-t-il mettre en place une stratégie adéquate ? Rien n'est moins sûr. Surtout, les politiques européens semblent toujours hantés par les mêmes principes théoriques. Aucune réflexion sérieuse sur les échecs de 2010-2014 et leurs conséquences n'est menée. Le cas grec prouve que la tentation de l'austérité demeure et menace, comme une éternelle épée de Damoclès.