Versement des aides sociales : les départements au bord du gouffre

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  992  mots
En 2015, le reste à charge (non compensé par l'Etat) pour les départements lié aux dépenses du RSA devrait atteindre 4 milliards d'euros.
Le département de l'Essonne assure ne plus avoir les moyens de payer certaines prestations sociales et la Seine-Saint-Denis demande de "recentraliser" le paiement du RSA. Ces deux exemples illustrent les difficultés financières des départements.

« Au-delà de l'aspect politique de l'affaire, ce qui se passe dans le département de l'Essonne ne nous étonne pas, quand l'on connaît l'état des finances départementales ». A l'Assemblée des départements de France (ADF), la « crise » qui secoue actuellement le département de l'Essonne est révélatrice d'un mal généralisé : les départements ont de plus en plus de mal à assurer le versement des allocations individuelles de solidarité (AIS) qui regroupent le RSA, la prestation de compensation du handicap (PCH) et l'allocation personnelle d'autonomie (APA).
Or, selon une information révélée par Le Monde.fr :


« Le département de l'Essonne assure être dans l'impossibilité de procéder au paiement de l'aide sociale légale pour une partie de l'année 2015. Dans un courrier, adressé fin décembre aux associations de protection de l'enfance et aux établissements médico-sociaux pour les personnes âgées ou les adultes handicapés, François Durovray (LR), le président du conseil départemental, annonce que sa collectivité ne sera pas en mesure de régler ses factures et propose d'étaler les versements sur les six prochaines années, avec les intérêts. D'après les informations du Monde, ces coupes concerneraient également le secteur des services à domicile, l'allocation personnalisée d'autonomie et la prestation de compensation du handicap. »

Alors, il y a certes un aspect politique dans cette affaire, la nouvelle majorité « Les Républicains » du 91 accusant l'ancienne majorité socialiste de ce département - fief du Premier ministre Manuel Valls - d'avoir laissé les finances dans un état déplorable ce qui oblige à prendre cette décision de « couper » dans les aides sociales.

Les départements peinent à verser le RSA

Mais, plus globalement, il est exact qu'il y a vrai souci pour les exécutifs départementaux pour assurer le paiement des prestations sociales dont ils ont la charge. Cela fait d'ailleurs plusieurs mois que le président de l'Assemblée des départements de France, Dominique Bussereau (président « Les Républicains » du conseil départemental de Charente-Maritime) tire la sonnette d'alarme. En octobre dernier, il estimait ainsi que « dix départements ne pourront plus financer le RSA [revenu de solidarité active] d'ici la fin de l'année ».

Conscient du problème, fin novembre, le gouvernement avait débloqué en urgence un fonds de 50 millions d'euros pour venir à l'aide d'une dizaine de départements au bord de l'asphyxie : Nord, Cher, l'Aisne, Pas-de-Calais, Seine-Saint-Denis, Gard, Val-d'Oise, Guyane, Martinique et Réunion. Un geste que l'ADF qualifie « d'aumône », "quand l'on sait que pour le seul département du Nord, le versement du RSA pour un seul mois représente 65 millions d'euros".

De fait, les chiffres sont clairs. En 2014, les dépenses des trois AIS ont représenté 16,7 milliards d'euros. Ces dépenses ont été compensées par l'Etat à hauteur de 9,5 milliards d'euros. Cela représente donc un reste à charge de 7,2 milliards d'euros pour les départements. Pis, en 2015, les dépenses d'AIS devraient s'élever à 17,7 milliards d'euros, compensées par l'Etat à hauteur de 9,6 milliards d'euros. Le reste à charge pour les Départements atteindrait alors près de 8,1 milliards d'euros, soit plus de... 10% de leur budget. Si l'on se concentre sur le seul RSA, Le budget alloué à cette allocation représente 58% des dépenses d'AIS.

En 2014, les dépenses de RSA se sont ainsi élevées à 9,7 milliards d'euros. Et ces dépenses ont été compensées par l'Etat à hauteur de 6,4 milliards d'euros, soit un reste à charge de 3,3 milliards d'euros pour les départements. En 2015, le reste à charge devrait atteindre 4 milliards d'euros. « La réalité c'est que l'Etat ne parvient plus à financer les prestations sociales, il n'en a plus les moyens et ce sont les départements qui trinquent avec un reste à charge énorme », explique-t-on dans l'entourage de Dominique Bussereau.

Les départements victimes d'une baisse de leurs recettes

Les départements se sentent victimes de ce qu'ils appellent la « triple peine ». L'augmentation des dépenses des AIS d'abord, sur laquelle ils n'ont aucune prise. La baisse des dotations de l'Etat ensuite qui devraient représenter en cumulé 3,9 milliards d'euros de recettes en moins sur les années 2014-2017. Et, enfin, la baisse de leurs recettes fiscales dynamiques avec la perte de la moitié de la part des recettes - qui est passée de 50% à 25% - issues de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au profit des régions pour financer leurs nouvelles compétences. Et ce n'est pas l'augmentation possible (de 3,8% à 4,5%) de la part départementale sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), décidée en 2014, qui viendra compenser ces pertes

Conséquence de cette situation : les départements connaissent une dégradation de leur capacité d'autofinancement pour la troisième année consécutive.

Vers une recentralisation du RSA?

C'est pour tenter de remédier à cette situation et trouver une solution pérenne au financement du RSA que l'ADF a demandé fin 2015 au gouvernement de mener une recentralisation du RSA au niveau de l'Etat pour soulager les départements. D'ailleurs, ce 13 janvier, le département de la Seine-Saint-Denis, en grande difficulté également, a « exigé » la « recentralisation des dépenses de la solidarité nationale au nom de l'égalité des chances ».

Après une rencontre entre l'ADF et Manuel Valls sur ce thème, le Premier ministre a constitué fin 2015 un groupe de travail pour chercher une solution. Ses conclusions seront connues au plus tard en mars pour que les départements puissent boucler leur budget 2016 en connaissance de cause. Une nouvelle audience de l'ADF aura lieu le 19 janvier à Matignon. La question de la recentralisation du RSA sera sur la table. Mais l'Etat menace alors les départements de leur retirer les recettes tirées des DMTO et de les « nationaliser » pour financer le RSA. Ce qui, bien sûr, ne satisfait pas du tout l'ADF. Le problème est donc encore loin d'être réglé.