Produits dérivés : un remake du cauchemar de 2008 reste possible

Par Mathias Thépot  |   |  881  mots
Les montants notionnels de produits dérivés représentent toujours près de 10 fois le PIB mondial.
Les encours notionnels de produits dérivés au niveau mondial sont toujours aussi élevés qu’avant la crise financière de 2008… et beaucoup d’activités spéculatives restent déconnectées de l’économie réelle.

Les activités de produits dérivés sont-elles toujours aussi dangereuses pour l'économie réelle ? La question mérite d'être posée.
En 2002, la désormais quatrième fortune mondiale Warren Buffett y répondait volontiers : "les produits dérivés sont des armes financières de destruction massive", estimait-il alors. Au cœur de la crise financière de 2008, ces instruments financiers ont continué de croître depuis, et sont toujours aussi déconnectés de l'économie réelle.

La finance couvre le commerce mondial en 4 jours....

Par exemple, les transactions sur les produits dérivés de change -qui ont été créés pour permettre aux entreprises qui commercent à l'international de se couvrir contre les risques de taux de change- se sont élevées lors d'une seule journée d'avril 2013 à 5.300 milliards de dollars.
Ce, alors que les exportations mondiales de marchandises annuelles s'élèvent à 18.300 milliards de dollars et à 4.300 milliards pour les services. Autrement dit, à ce rythme "le commerce mondial peut être couvert en 4 jours", remarque Christophe Nijdam, analyste au cabinet indépendant Alphavalue et spécialiste du marché des produits dérivés.

Et si l'on prend en compte le marché des capitaux dans son ensemble (225 .000 milliards de dollars), il est couvert en 42 jours… ce qui laisse beaucoup de temps le reste de l'année aux opérateurs de marché pour vaquer à d'autres occupations (hautement spéculatives ?) qui n'ont pas grand chose à voir avec l'économie réelle.

93% des échanges de produits dérivés se font entre banques

La banque des règlements internationaux (BRI) estime ainsi que 93% des échanges de produits dérivés sont réalisés entre institutions financières. Ce qui alimente les interconnexions entre elles et les rend interdépendantes : une banque très bien gérée pourrait subir les conséquences d'une mauvaise décision d'investissement d'une concurrente.

Plus globalement, les montants des sous-jacents -aussi appelés notionnels- des produits dérivés OTC (over the counter) qui s'échangent de gré à gré ont atteint 693.000 milliards de dollars à la mi-2013! Soit plus que les 684.000 milliards de dollars atteints avant la chute de Lehmann Brother. Il faut préciser que ces chiffres démesurés (près de 10 fois le PIB mondial) ne représentent pas les risques pris par les banques qui s'échangent ces instruments financiers entre-elles. Mais au regard du niveau de ces montants, même si elles constataient une part infime du notionnel en perte, les conséquences seraient désastreuses.  

Impossible de se faire une réelle idée du risque encouru par chaque banque...

Le risque réel diffère en fonction de la nature du produit dérivé. Pour les contrats sur dérivés de taux (qui représentent les trois quarts des encours de produits dérivés dans le monde), le risque ne représente pas le montant total du sous-jacent, mais une variation de son cours, donc quelques pourcentages. Alors que pour un CDS (crédit défault swap), que l'on peut comparer à une assurance-crédit, le risque peut aller jusqu'à 100% du notionnel lorsqu'il y a défaut.

Au final, il est impossible de se faire une idée du risque exact encouru par les banques, qui par ailleurs ne communiquent pas cette donnée.
Mais si l'on prend l'exemple encore d'actualité de Dexia, une banque en démantèlement qui a été certes très mal gérée avant la crise de 2008, on constate qu'elle est toujours sous "le coup d'une perte latente de 29 milliards d'euros pour 450 milliards d'euros de notionnels, soit 6,4% du montant du notionnel", indique Christophe Nijdam.

... mais un rien pourrait tout faire basculer

A titre de comparaison, une perte de seulement 0,16% du montant notionnel de dérivés de BNP Paribas (48.000 milliards d'euros) rognerait l'intégralité de ses fonds propres, selon les chiffres d'Alphavalue. Pour le Crédit agricole, une perte de 0,22% du notionnel serait suffisante pour anéantir ses fonds propres, un niveau qui grimpe à 0,26% pour la Société générale. Potentiellement, les banques suisses Crédit Suisse et UBS et la Deutsche Bank sont les plus exposées en Europe si l'on prend en compte ce ratio. Il ne suffirait donc pas de grand-chose pour que ces grands groupes bancaires se retrouvent en difficulté.

Face à ces montants affolants, les régulateurs agissent tout même pour limiter le risque. Des chambres de compensations ont ainsi été créées. Elles ont pour but d'éliminer les risques de contrepartie sur les marchés dérivés, en accueillant en quelque sorte le risque des banques et en le mutualisant. En parallèle, elles assurent la surveillance des positions et exigent des sécurités aux banques lors de la conclusion d'un contrat. 

Instaurer une taxe sur les transactions de produits dérivés

Problème, selon Alphavalue un tiers du marché OTC de produits dérivés n'est pas traité par les chambres de compensation, soit 220.000 milliards de notionnels dans le monde.
A court terme, une des solutions résiderait dans l'instauration d'une taxe sur les transactions de produits dérivés, selon Christophe Nijdam. Il estime qu'une taxe de seulement 0,01% sur chaque transaction pourrait faire chuter les volumes d'échanges de produits dérivés en Europe de … 70 à 90% !