Blanchiment et terrorisme : explosion des signalements à Tracfin

Par Delphine Cuny  |   |  759  mots
L'augmentation du nombre de déclarations au service de « Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins », placé sous l'autorité du Ministère de l'Action et des Comptes publics, a été sans précédent l'an dernier.
Le nombre de déclarations de soupçons à l'organisme a connu une hausse historique de 43% en 2016. Les professionnels, financiers mais aussi les notaires et comptables, se sont fortement impliqués, explique Tracfin dans son bilan annuel.

« Une année historique » résume Tracfin dans son rapport d'activité annuel. En effet, le service de "Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins", créé en 1990 et placé sous l'autorité du ministère de l'Action et des Comptes publics, a connu une « intense activité » l'a passé :

« L'année 2016 a été marquée par une hausse sans précédent du nombre d'informations reçues par le service : 64 815 informations (+43 % par rapport à 2015 et +69 % par rapport à 2014), soit la plus forte hausse constatée depuis la création du service. La réception et la gestion de 20.000 informations supplémentaires a eu un impact considérable sur l'activité du service et des agents » indique le rapport.

En dix ans, le nombre d'informations reçues a été « approximativement multiplié par 4 » et le nombre de transmissions à l'autorité judiciaire et aux administrations partenaires par 4,5 selon le rapport.

Notaires, casinos, comptables

Cette explosion du nombre de déclarations a plusieurs raisons, selon l'organisme, dirigé par Bruno Dalles, dont les effectifs ont doublé depuis 2008 (132 agents à fin 2016):

« Cette augmentation s'explique notamment par la forte implication des professions assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Elle s'accompagne de l'impact des évolutions juridiques dont les effets se poursuivront en 2017 et 2018, par la systématisation des mesures de vigilance renforcée s'imposant aux organismes financiers, le recul de l'anonymat dans l'usage de cartes prépayées, et le signalement systématique à Tracfin des dépôts et retraits d'espèces supérieurs à 10.000 euros cumulés sur un mois. »

L'essentiel des déclarations vient en effet des professionnels de la finance, en premier lieu les banques et établissement de crédit qui à eux seuls en ont adressé plus de 72% du total (soit 46.901, en hausse de 50%). L'aiguillon du contrôle semble avoir joué : ainsi « deux banques se distinguent avec un taux dépassant les +100 %, à rapprocher notamment des contrôles opérés par le régulateur » précise le rapport, sans les citer. BNP Paribas, qui a écopé d'une amende de l'ACPR, pourrait en faire partie. Cependant, Tracfin relève qu'« aucune corrélation n'est établie entre la croissance du flux déclaratif et la lutte contre le financement du terrorisme. » D'autant que cette inflation de déclarations a surtout porté sur des montants faibles

Il y a aussi de nouveaux acteurs comme les établissements de paiement (à l'image de Compte Nickel), pour plus de 5.100 déclarations, mais aussi les établissements de monnaie électronique (tels que les startups de la Fintech comme Lemon Way ou les cagnottes en ligne) ainsi que les sites de financement participatif (plateformes de crowdfunding), même si les chiffres demeurent négligeables (respectivement 36 déclarations, en hausse de 260% et 6 dossiers).

Du côté des professions non financières, Tracfin relève « une amélioration de la pratique déclarative des professionnels du chiffre » (par exemple +54,5% chez les experts-comptables, +50% chez les commissaires aux comptes) ainsi qu'« une appropriation forte du dispositif par les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires » (+88,4%). Les notaires restent de loin les premiers de cette catégorie à signaler des cas suspects (plus d'un millier de dossiers). Les déclarations des casinos ont aussi bondi de 42,4% (pour atteindre 601).

Fraudes sociales, terrorisme

La forte hausse du nombre de déclarations n'est pas exactement corrélée avec celle du nombre d'investigations : Tracfin indique avoir réalisé 13.592 enquêtes en 2016 (+28%) « issues d'informations reçues en 2016 ou antérieurement.» Et encore moins au nombre de dossiers transmis à la justice, stable à 448, ce qui reflète imparfaitement la réalité car « la part des affaires d'une grande complexité mettant en jeu d'importants montants financiers et nécessitant de nombreux actes d'investigation n'a cessé d'augmenter

Si seulement un tiers de ces dossiers transmis aux autorités judiciaires porte sur des sommes de plus d'un million d'euros, les montants totaux en jeu sont en constante augmentation.

Les infractions pénales les plus courantes sont la fraude fiscale, le blanchiment de capitaux, l'abus de confiance et le travail dissimulé.

Tracfin souligne que le nombre de dossiers transmis aux organismes de protection sociale pour la fraude aux cotisations ou allocations a bondi de 51% (165 notes) et a doublé en deux ans. Par ailleurs, le nombre de dossiers transmis à la communauté du renseignement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a explosé (+121% avec 396 notes).

L'organisme, qui n'est pas habilité à recevoir et traiter les informations transmises par des particuliers, en appelle à tous les professionnels pour améliorer la qualité de leurs déclarations, car « le soupçon n'est parfois pas suffisamment caractérisé ni étayé » pour que ses services puissent aller plus loin.