Démarchage agressif des seniors : les régulateurs financiers visent les mauvaises pratiques

Par Delphine Cuny  |   |  755  mots
Une assurance-vie souscrite à 96 ans, une personne en retraite ayant cinq mutuelles : quelques exemples des cas douteux relevés par les régulateurs. (Crédits : Reuters)
L'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) lancent une consultation publique pour "trouver les moyens de prévenir les mauvaises pratiques de commercialisation vis-à-vis des personnes vieillissantes". Assurance vie et assurance santé concentrent les problématiques.

Une assurance-vie souscrite à 96 ans, une personne en retraite ayant cinq mutuelles, ou des produits atypiques comme les obligations structurées : voici quelques exemples de cas douteux cités par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) lors d'une conférence organisée par la Banque de France sur les pratiques du secteur financier à l'égard des populations fragiles, le 23 novembre dernier. Le superviseur des banques et des assureurs, alliés à l'Autorité des marchés financiers (AMF), a rendu public ce mercredi 12 décembre un rapport sur les pratiques commerciales à destination des populations vieillissantes : "grâce à leurs outils de veille et de contrôle, [elles] ont constaté que des progrès restent à faire concernant l'information du client âgé lors de la vente de produits et services financiers". Elles relèvent que "les clients âgés peuvent faire l'objet d'actions de démarchage inappropriées, voire agressives".

Les deux autorités ont lancé une consultation publique sur le sujet jusqu'en février 2019.

"L'objectif est de trouver, en collaboration avec les consommateurs, les professionnels et les acteurs du vieillissement, les moyens d'identifier les bonnes pratiques de commercialisation à l'égard des personnes vieillissantes et vulnérables, au regard notamment de difficultés cognitives. L'ambition de ces travaux est double : s'assurer qu'un conseil adapté est délivré par les professionnels et qu'un consentement éclairé est donné par cette clientèle lors de la souscription de produits financiers" expliquent les deux gendarmes financiers.

L'ACPR indique avoir reçu des demandes "émanant de personnes âgées [qui] font état le plus souvent d'une souscription ou adhésion de manière non consentie à un ou plusieurs contrats d'assurance vie ou d'assurance santé / prévoyance après démarchage." L'AMF relève de son côté que "les personnes âgées sembleraient particulièrement visées par [les] arnaques" telles que les plateformes frauduleuses de ventes de biens divers comme les diamants et depuis peu les crypto-actifs.

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Assurance vie et assurance santé en première ligne

Le démarchage téléphonique est par exemple considéré comme porteur de risque. L'ACPR constate par ailleurs que toutes les réclamations écrites qu'elle a reçues "ont trait au domaine de l'assurance, et plus précisément à l'assurance santé et à l'assurance vie."

"Il s'agit principalement de produits commercialisés par voie de démarchage (par téléphone ou à domicile) ayant conduit à la souscription d'un produit à l'insu de la personne avec, dans 50% des cas, une suspicion d'abus de faiblesse" précise le rapport.

Pour autant, le rapport des deux autorités n'accable pas les banques et assureurs français. "Les missions de contrôle ont relevé de bonnes pratiques", notamment les modalités de rémunération des commerciaux ne générant pas de conflits d'intérêt et des questionnaires de connaissance des clients récents. Mais "des insuffisances ont été recensées" comme des cas de non-respect du profil du client, "une évaluation encore trop lacunaire" des connaissances des clients en matière d'investissements et même "parfois une documentation commerciale déséquilibrée, inexacte ou trompeuse." Ces obligations, instaurées par la directive européenne Mifid, ne sont pas encore pleinement suivies et sont pourtant "le premier rempart pour prévenir toute mauvaise commercialisation", insistent l'AMF et l'ACPR.

Le sujet est "délicat et complexe", et traité différemment d'un établissement à l'autre. Il existe plusieurs âges-seuil pour définir les "seniors" : plus de 77 ans, plus de 80 ans, ou plus de 85 ans. Certains établissements exigent une mise en garde renforcée pour les clients de 75 ans ou proscrivent le démarchage au-delà de 85 ans, "un seuil élevé" selon les régulateurs. En outre, ces procédures "ne sont pas systématiquement respectées par les conseillers", note le rapport. D'autres exigent un certificat médical pour attester des capacités cognitives des clients de plus de 75 ans pour certains types d'opérations.

Les établissements bancaires soulignent qu'ils ne veulent pas faire de discrimination en raison de l'âge. Si généralement, il faut avoir moins de 75 ans avant la fin du remboursement d'un crédit immobilier, des dérogations sont possibles. Ils ont aussi confié que leurs conseillers étaient parfois confrontés à des situations d'abus de vulnérabilité ou des "zones grises" de personnes non placées sous tutelle ou curatelle mais présentant des troubles cognitifs. Des situations non encadrées sur le plan réglementaire et complexe à gérer pour les personnels en agence.