Procès Kerviel : "J'étais un peu comme un hamster dans une roue"

Par Laura Fort  |   |  4284  mots
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La deuxième journée du procès en appel de Jérôme Kerviel a commencé ce mercredi 6 juin. La présidente de la Cour qui, lundi, n'a pas ménagé l'ancien trader condamné le 5 octobre 2010 à cinq ans de prison, dont trois fermes, ainsi qu'à 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts, revient aujourd'hui sur les évènements de l'année 2007.

Jérome Kerviel est sous le coup de trois chefs d'accusation : abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, faux et usage de faux. Son procès en appel a commencé lundi 4 juin. Suivez en direct la deuxième journée d'audience couverte par notre journaliste Laura Fort. Retrouvez les comptes-rendus des audiences de ce lundi avec la défense de l'ex-trader.

Mercredi 6 juin

17h45. L?audience est suspendue et se termine sur une note plutôt favorable à la banque, qui aura eu le dernier mot. Rendez-vous pour le troisième jour d?audience demain jeudi 7 juin l?après-midi.

17h30 L?audience n?est pas un théâtre !
Me Koubbi se lance sur un autre sujet : Quand un dirigeant de Société Générale se trouve pris dans les mailles d?un filet judiciaire, on lui fait un media training.
La présidente réagit : Ce genre de document est un sport pratiqué par beaucoup de sociétés. Et je crois que certains avocats donnent ce genre de questionnaires à leurs clients. C?est bien connu de tout le monde.
Me Veil, jusque là très silencieux et assis en retrait, s?avance à la barre et se lance dans une diatribe contre la défense : Dans cette affaire, où il est évident que J. Kerviel peut apparaître en difficulté, des documents extérieurs à cette affaire sont invoqués. L?ensemble des personnes physiques et morales a été relaxé. Ces documents ne sont pas nouveaux et ont été examinés longuement et absous par l?institution judiciaire. Il est extraordinairement désagréable, dans une affaire ou Société Générale est la victime, d?être en permanence menacés. Nous ne pouvons pas utiliser le vocabulaire de notre choix.
J?ai personnellement reçu une lettre en temps que partie et non pas en tant qu?avocat le 19 mai 2010, signé par Mes Metzner et Koubbi, qui m?indiquait qu?ils étudiaient la possibilité de porter une plainte contre la présomption d?innocence. C?était 10 jours avant le début du procès. Cette pratique continue aujourd?hui avec une succession de plaintes déposées. L?ensemble de ces pratiques est intolérable.
S?il faut saisir le bâtonnier, c?est plutôt à nous de le saisir.
Me Veil relit un passage du témoignage anonyme reçu par Me Koubbi : il s?agit de cinéma, de théâtre, mais l?audience n?est pas un théâtre !

16h50. "Est-ce que la thèse de ce desk fantôme excuse les faux qu?il a réalisés ?"
La présidente de la Cour passe à l?étude de mai 2007. En mai, J. Kerviel a saisi des opérations OTC dans le système Click-Options, qui ne les reconnaissait pas. L?ancien trader explique que la contrepartie est Deutsche Bank, mais il ne modifie pas ses opérations dans le système.
M. Filippini revient d?abord sur la théorie du complot avancée le matin par Me Koubbi : Vous nous dites, Mr Kerviel, qu?à chaque fois que je prends une position ouverte, quelqu?un prenait sur un autre desk une position pour la couvrir. Quand vous déboucliez, il fallait aussi que cette personne se couvre aussitôt, sinon elle faisait prendre des risques à la banque. Il fallait que votre activité soit très très suivi alors. Donc depuis 2007, quelqu?un a suivi toutes vos positions ouvertes. C?était un système super élaboré, c?est extraordinaire !
J. Kerviel : Ce sont certains salariés de la Société Générale qui nous ont informés de l?existence de ce desk.
Me Reinhart, avocat de Société Générale, intervient : Est-ce que la thèse de ce desk fantôme excuse les faux qu?il a réalisés ?
J. Kerviel : ça n?est pas à moi d?en juger mais à la Cour. Je veux revenir sur les opérations passées dans Click-Options, soi-disant noyées dans la masse. On parle d?opérations pour un montant de 11 milliards d?euros.
M. Filippini : Dans l?analyse des risques, c?était égal à zéro.
J. Kerviel : Mais pas en comptabilité.
- Aucun mail de la direction des risques n?alerte pourtant sur le problème.
- Tous les mois c?est le même problème, à aucun moment on ne me dit quelque chose. 11 milliards d?euros, quand bien même face à Deutsche Bank, un trader seul ne peut le faire. Sur ce genre de produit, c?est faux.
Claire Dumas : En effet, c?est faux. En apparence, on est sur des montants astronomiques, mais on n?est pas sur une grandeur économique. J. Kerviel a monté une démarche de justification. La Commission bancaire a indiqué que des travaux beaucoup plus poussés auraient pu permettre de valider mettre à jour la fraude de Mr Kerviel.
Me Dami Le Coz, collaborateur de Me Koubbi, interroge la représentante de la banque : Pourquoi J. Kerviel aurait fait des faux, des abus de confiance ? Quel est son mobile ?
Claire Dumas : J. Kerviel est rémunéré à la fin de l?année sur un bonus, indexé, au moins partiellement, sur les résultats de son activité. Je vous concède qu?à la différence des courtiers, dans les activités de trading, le bonus n?est pas strictement indexé sur les résultats du trader. Il est pour une autre part indexé sur sa coopération, son attitude, sa capacité à respecter les règles. Si J. Kerviel n?espérait pas en tirer un bénéfice à titre personnel, il en tirait un bénéfice indirect.

16h40. "Société Générale était pour moi comme une famille à l?époque. Je ne les aurai jamais trahis."
Après une courte suspension d?audience, la présidente revient sur la production de faux mails.
Me Reinhart, avocat de Société Générale demande à l?ancien trader: comment vous est venue l?idée de faire ces documents ?
J. Kerviel répète de nouveau : il fallait quelque chose pour la comptabilité s?ils avaient besoin de produire quelque chose à l?extérieur
- Cela fait partie d?un acte de loyauté alors ?
- Oui, c?était dans l?intérêt de la banque.
Me Koubbi pose à son tour des questions à son client : Vous aviez le sentiment de trahir la banque en faisant ça ?
- Non, la Société Générale était pour moi comme une famille à l?époque, j?y ai passé des heures, je n?ai jamais eu l?intention de les trahir et selon moi, je ne les ai jamais trahis.
- Considérez-vous alors que vous-même avez été trahi ?
- Oui.

15h10. "Vous rendez-vous compte que vous faites un faux document ?"
La présidente de la Cour souhaite maintenant revenir sur le mois d'avril 2007. A cette période, un écart portait sur deux futures pending bloqués en base tampon générant un résultat de 142,8 millions d'euros. J. Kerviel s'était à l'époque justifié de cet écart en invoquant des erreurs de saisie liées à deux warrants. Deux warrants Clearstream qu'il produira alors de manière fictive. Deux autres deals fictifs seront passés plus tard pour réduire l'impact sur le résultat de ses rectifications d'erreurs, qui avait généré un écart de 13,9 millions d'euros.
Interrogé à l'époque des faits par ses supérieurs sur ces opérations, l'ancien trader avait ensuite produit trois mails à destination du middle-office, deux sous l'en-tête de Société Générale Italie pour justifier l'écart de 13,9 millions d'euros, un autre sous l'en-tête de BNP Paribas, faisant état d'un délai de retard d'enregistrement de cinq autres produits.
La présidente appelle l'ancien trader à la barre : qu'est-ce que vous avez à nous dire sur ce sujet ?
J. Kerviel : C'est le même type de procédé qu'en mars, et la même façon dont mes supérieurs ont été alertés. Les quantités renseignées sont supérieures à celles qui sont émises.
L'ancien trader lit lors un mail qui fait état de l'existence d'écarts pour une autre personne et insiste sur le fait que, vu la récurrence de ce problème, la banque savait ce qui se passait.
J. Kerviel : Il est évident que ces opérations ont été vus, que la problématique était connue et les montants aussi.
M. Filippini revient à la charge : Vos deux deals Clearstream dégageaient trop de gains et vous avez inventé deux nouveaux deals pour baisser le montant du résultat. C'est un peu sophistiqué.
J. Kerviel : C'est alambiqué peut-être, mais pas sophistiqué.
Le procureur demande alors : Pourquoi faisiez-vous des faux mails pour justifier tout ça ?
J. Kerviel : Encore une fois, pour donner l'apparence de. Si la banque avait des interrogations de la part de ses clients. Ca permet de se justifier vis-à-vis de l'extérieur.
M ; Filippini : Vous rendez-vous compte que vous faites un document qui n'est pas réel, qui est un faux ?
- Oui mais ça ne trompe personne.
Le ton de la présidente monte et Me Koubbi intervient : C'est un peu hâtif de qualifier de faux ces documents.
La présidente : Je veux bien faire des circonlocutions, mais ça s'appelle comment ?
- Ils n'ont pas de conséquences juridiques.
- Il y a des faux qui ont des conséquences juridiques, d'autres qui n'en ont pas, mais ça s'appelle quand même un faux !
Me Dami Le Coz vient soutenir Me Koubbi : Pour que ce soit un faux, il faut que ces mails trompent le destinataire.
La présidente : pourquoi a-t-il fait ça alors ?
Me Koubbi : La réponse tient en trois mots, ceux de Mr Baboulin : "tu te démerdes".
Me Martineau, avocat de Société Générale : c'est un faux matériel. Je ne vois pas pourquoi il nie avoir fait un faux puisqu'il l'a déjà reconnu les faits.
Le débat se durcit, les "Pourquoi ?" de la présidente se multiplient, et pour cause : le faux et l'usage de faux est l'un des trois chefs d'accusation pour lequel J. Kerviel a été inculpé en première instance.

12h35 Et si SocGen avait voulu faire porter le chapeau des subprimes à un trader ?

Me Martineau, avocat de Société Générale, intervient ensuite : J. Kerviel dit qu'il ne parlait à personne, mais que tout le monde était au courant. Puis que la hiérarchie ne pouvait pas ne pas savoir, puis que la banque savait et vous encourageait. Où en êtes-vous alors ?
J. Kerviel : Je dis que vous saviez.
- Qui savait ? Mr Cordelle (N+1), Mr Rouyère (N+2), les services de contrôle ?
- Certainement, ma hiérarchie, c'est évident.
- Ca fait beaucoup de monde, alors qu'elle est l'intérêt de couvrir vos activités ?
M. Filippini s'interpose : Et quel est l'intérêt pour la banque de laisser courir une position de 5 milliards qui perd ?
- Elle était couverte.
- Mais couverte par une position fictive.
- Elle était aussi couverte par un autre desk. Votre question est pourquoi m'ont-ils laissé faire ? Moi je vous dis que mes chefs savaient. Et maintenant j'ai compris ce qui s'est passé.
- Pourquoi vous obliger à faire tout ce cinéma si elle était couverte par un autre desk ?
- La crise des subprimes commençait à se propager. Faire sauter un Kerviel à un moment ou à un autre pour masquer leurs pertes pouvaient les arranger.
- Dès le mois de mars la banque se dirait : on laisse faire J. Kerviel, on ne lui dit rien et comme ça un jour ou l'autre on pourra lui faire porter le chapeau ?
Me Koubbi affirme alors qu'il a des éléments qui vont dans ce sens et qu'il les produira.
M. Filippini insiste : Si vous n'aviez pas dérapé, ils auraient donc été voir une autre victime. Et c'est vous qui aviez des positions de 5 milliards d'euros, pas la Société Générale. Vous leur avez franchement rendu service !

Sur le sujet de la couverture des positions de l'ancien trader par un autre desk, Me Veil confie en marge de l'audience : "si Jérôme Kerviel a réussi à faire croire ça à son avocat, c'est qu'il continue à truander son entourage et ses avocats. Franchement, un an avant l'éclatement de la crise, c'est une énormité !".

12h15 "J'étais un peu comme un hamster dans une roue, mes chefs modulaient la vitesse et je pédalais de plus en plus vite"
Après une courte suspension d'audience, la présidente de la Cour relance l'ancien trader : Pourquoi ne pas dire tout ça à vos chefs ?
J. Kerviel : Tout est dans le mail.
- Mais vous aviez fait des faux gains pour couvrir des vraies pertes...
- J'aurais dû le dire, mais c'était tellement évident à l'époque.
Ce à quoi Me Koubbi lance depuis son banc : Il faut que ça ait l'apparence de la légitimité !
Me Reinhart, avocat de Société Générale, pose à son tour une question : Dans son livre L'engrenage, J. Kerviel écrit qu'il n'attendait qu'une chose : qu'on vienne le voir, pour que la machine s'arrête. Est-ce que cela n'est pas contradictoire ?
J. Kerviel : entre 2005 et 2007, j'étais un peu comme un hamster dans une roue, mes chefs modulaient la vitesse de la roue, et je pédalais de plus en plus vite.
La présidente le pousse encore dans ses retranchements : Si vous n'aviez pas fait un résultat toujours plus important, on ne vous aurait pas proposé ces objectifs. Donc vous vous êtes vous-même lié les mains. Vous vous êtes pendu tout seul ! Vous vous êtes pendu, Monsieur ! A chaque fois, c'est à cause de vous !

11h15 "Mr Kerviel a fait preuve d'une grande ingéniosité"
Julien Dami Le Coz, avocat de la défense aux côtés de me Koubbi, s'avance pour interroger Claire Dumas : avez-vous déjà exercé une activité de trading ?
Claire Dumas : Non.
- Vous êtes déjà entrée dans une salle de marchés ?
- J'ai côtoyé des traders.
- Quelle est la règle s'agissant de la base tampon ?
- La règle est de recycler une opération le plus vite possible. L'enjeu est de déboucler une opération de la base tampon avant la date de son règlement.
- Un mois est donc une durée anormale de détention.
- C'est anormal pour un future, oui. Mais les systèmes de contrôle ont été mis en défaut par Mr Kerviel.
- Comment caractériseriez-vous la manière de faire de Jérôme Kerviel ?
- Ce qui caractérise sa méthode est une grande ingéniosité dans l'utilisation de produits à volumétrie très élevée, couplé à une grande connaissance des systèmes de contrôle et à une attitude très coopérative, et de facto très adroite.

10h50 "La banque a été abusée par la qualité des justificatifs fournis par Mr Kerviel"
La présidente invite Claire Dumas, qui représente la banque, à expliquer comment se passe le contrôle quand on s'aperçoit de tels écarts.
Claire Dumas : Vous avez d'abord un suivi de la base tampon, réceptacle de toutes les opérations qu'on ne sait pas traiter de manière industrielle, qui ont des anomalies. Deux traitements sont effectués : une équipe prend les opérations une à une, et les renvoie à qui de droit pour qu'elles soient prises en charge ou qu'elles soient recyclées.
Le deuxième traitement est le rapprochement entre back-office/front-office qui faisait apparaître des écarts.
A la clôture de mars, les futures fictifs sont dans la base. Les équipes disent à J. Kerviel que ça n'est pas la bonne manière de modéliser. Donc on lui a dit. Et on lui a demandé de fournir des justificatifs pour expliquer ces écarts.
Bien sûr la Commission bancaire pointe les erreurs des équipes de la banque. Mais Mr Kerviel a montré beaucoup de coopération avec les équipes passerelle. Il a fourni la notice en finnois, un tableau Excel et des justificatifs sur l'ensemble des paramètres. Les équipes avaient des documents complets fournis par un trader qu'ils connaissaient bien. Ils ont été abusés par la qualité des justificatifs fournis.
- Les positions ouvertes de 5 milliards d'euros étaient visibles ?
- Non elles n'étaient pas visibles, elles étaient masquées.
- mais elles apparaissent bien quelque part ces opérations ?
- Le back-office voit une succession ininterrompue d'opérations et ne porte une attention qu'aux opérations en anomalie.
Me Koubbi intervient à ce moment-là : les opérations qui ne sont pas des anomalies ne sont pas regardées. Mais les opérations en pending sont-elles considérées comme une anomalie d'après vos procédures ?
Claire Dumas : Oui.
- Le voit-on dans votre cahier de procédures ?
- Oui.
- Un future contrepartie pending, c'est classique ou c'est une anomalie ? Est-ce que c'est possible d'ailleurs ?
- Non ce n'est pas possible. Quand les équipes ont vu une future contrepartie pending elles l'ont signalé à Mr Kerviel.
- Dans votre cahier de procédures, vos équipes de contrôle doivent vérifier la contrepartie.
La présidente interrompt alors Me Koubbi : Mais Maître, c'est un pending, donc elle n'existe pas la contrepartie !
Claire Dumas : Je vous remercie Mme la présidente.
Me Koubbi s'échauffe : Vous restez une banque avec un agrément, avec ce type de procédures ? Votre représentante ment éhontément à la barre.
Claire Dumas : la personne qui n'a pas respecté la procédure en l'occurrence est Mr Kerviel, qui a utilisé intentionnellement cette technique de contrepartie pending. C'est Mr Kerviel qui a saisit ces opérations et le système les a dérouté dans une base tampon. Les équipes ont pris en charge ces opérations et lui ont demandé de régulariser ces saisies.
Le ton monte, les accusations fusent, l'avocat général s'immisce dans le débat, les avocats se chamaillent. Me Koubbi accuse Claire Dumas de faux témoignage, quand Me Veil demande expressément à ce que ces assertions soient bien notées par le greffier.

10h15 "Vous ne lisez pas grand-chose Mr Kerviel !"
La présidente de la Cour s'étonne : Mais pourquoi faire tout ça ? Pourquoi passez des transactions fictives ?
J. Kerviel : Pour garder mes positions et gagner de l'argent pour la banque.
- Mais si votre hiérarchie l'avait vu, peut-être vous aurait-elle demandé de couper vos positions...
- Mais ils en ont été avisés, Mme la Présidente. Et c'est un système que tout le monde utilise.
- Vous ne répondez pas à ma question !
- Si ç'avait été affiché dans le système, ils me l'auraient demandé, mais ils me voyaient faire et ils savaient ce que je faisais.
- Qui était au courant alors ?
- Tous mes supérieurs. Je vous donne un exemple : au mois de mars, Mr Rouyère et Mr Baboulin sont prévenus de l'existence d'écarts. Philippe Baboulin vient me voir et me dit : "tu te démerdes pour régler ce problème-là".
La présidente relit alors les déclarations de Philippe Baboulin, qui avait confirmé être au courant du décalage et avoir demandé à J. Kerviel de corriger le tir.
Le procureur s'en mêle, l'interpelle, la présidente commence à le pousser à bout, s'énerve, élève la voix, et multiplie les questions.
M. Filippini : Pourquoi donner de fausses explications ?
J. Kerviel : A la Société Générale, vous avez un système qui est que le front-office est un centre de profit, le back-office un centre de coût. Ce que centre de profit veut, centre de coût fera.
- Je ne comprends toujours pas pourquoi donner une fausse explication.
- Je leur donne une version qu'ils pourront donner à l'extérieur.
Me Koubbi, avocat de J. Kerviel, intervient : je crois qu'il y a une anomalie. Les systèmes de contrôle ne sont pas des machines mais des hommes et des femmes. Me Koubbi fait alors allusion au témoignage qu'il a reçu.
Me Martineau : Qui dans la banque peut prendre une position directionnelle ouverte de 5 milliards d'euros ?
J. Kerviel : Tout le monde.
Me Martineau : Non, personne ne peut prendre une position de plus d'un milliard sans autorisation du Conseil d'administration de la banque. C'est inscrit dans les états financiers.
J. Kerviel : je ne les ai pas lus.
La président lance : vous ne lisez pas grand chose Mr Kerviel, ni le cahier de procédures, ni les états financiers !!
- Je pense que je ne suis pas le seul à la Société Générale à ne pas avoir lu les états financiers !
- Bon, revenons à nos moutons. Tout le monde savait, c'était des opérations purement cosmétiques. La direction économique et financière à vu cet écart. Elle est rattachée directement à la direction générale du groupe et vous pensez qu'elle ne va rien dire en voyant 5 milliards de positions directionnelles ?
- Mais ils ne m'ont rien dit.

9h50. Ca ne vous inquiète pas de voir que la Bourse ne se retourne pas ?
M. Filippini, la présidente de la Cour, revient sur le mois de mars 2007. A cette période, des écarts avaient été identifiés sur la "passerelle" de la banque, et correspondaient à des contreparties dites "pending" (couverture fictive sur futures) passées par J. Kerviel, qui avaient généré un résultat de 88 millions d'euros, et à des "forwards", pour 94 millions d'euros de résultats.
Selon la définition du Vernimmen, le future est un engagement ferme d'acheter ou de vendre une quantité convenue d'un actif à un prix convenu et à une date future convenue.
Contrairement au future, le forward est un contrat à terme passé de gré à gré, non standardisé et qui n'est pas négocié sur un marché organisé.
M. Filippini relève que la Commission bancaire avait estimé que les équipes de la Société Générale auraient dû être alertées par ces écarts de méthode. Puis appelle Jérôme Kerviel à la barre.
M. Filippini : Ca ne vous a pas inquiété de voir la Bourse s'emballer avec la crise des subprimes ?
J. Kerviel : J'avais pris une position vendeuse de spéculation à la baisse et le marché n'est pas parti tout de suite dans ce sens-là.
- Vous avez porté ces positions tout le mois ?
- Oui, tout le mois.
- Et ça ne vous inquiète pas de voir que la Bourse ne se retourne pas ?
- Je suis convaincu que ça va finir par se retourner.
- Mais vous aviez des pertes latentes alors ?
- Oui, il y a une perte latente qui commence à être importante mais j'avais le sentiment que ça allait se retourner, donc j'ai gardé cette position.
- Ca rentrait dans vos attributions de prendre des positions aussi importantes à découvert ?
- Quand vous avez des objectifs à atteindre importants tout en restant dans la limite collective de 125 millions d'euros, vous ne pouvez pas faire autrement.
- Vous passez des futures pending, qui vont attirer l'attention des équipes passerelle. Vous êtes interrogé et vous donnez des explications sophistiquées.
- Si vous me permettez une remarque, dans votre présentation, on a l'impression que le contrôle n'arrive qu'en fin de mois, mais tous les jours les services de contrôle rapprochent les bases de back-office et de front-office. Les transactions présentent au front-office ne l'étaient pas dans le back-office, donc il y avait une différence de stock. Et tous les jours ces écarts apparaissaient dans les reportings.
- Le juge d'instruction qui a été voir les bases tampons indique que 1300 deals y étaient inscrits et que l'existence de futures pending ne pouvait être vérifiée.
- Pourtant la Société Générale dit que les opérations sont contrôlées une à une.
- Oui mais le problème c'est que vous faisiez disparaître vos opérations au fur et à mesure.
- Mais vous avez des opérations qui sont restées pendant 27 jours dans cette base tampon.

9h15. En attendant la Cour
Les deux parties ont pris place dans la salle d'audience et attendent la Cour. L'un après l'autre, Me Koubbi (avocat de J. Kerviel) et Me Reinhart (avocat de Société Générale aux côtés de me Veil) sont appelées à s'entretenir en coulisse avec la présidente. Claire Dumas, qui représente la Société Générale, échange quelques mots avec les avocats de la banque, puis avec les responsables de la communication de Société Générale.
Ce deuxième jour d'audience, les caméras ont déserté et ne reste qu'une douzaine de journalistes dans la salle d'audience. A 9h25, la présidente de la Cour, Mireille Filippini, fait son entrée, portant son lourd dossier constellé de post-it multicolores. Ce mercredi, elle s'attachera à revenir sur l'année 2007.

Retrouvez le compte-rendu du premier jour d'audience, notre dossier spécial sur l'affaire Kerviel

Et retrouvez également les analyses de Valérie Segond et de François Lenglet après le verdict de 2010, ce que sont devenus les protagonistes de l'affaire, les plaintes déposées par Me David Koubbi (avocat de Jérôme Kerviel) et par Me Jean Veil (avocat de Société Générale), le témoignage de l'ancienne conseillère en communication de Jérôme Kerviel, et le contexte politique dans lequel s'inscrit le procès.