L'endettement croissant des entreprises, premier risque pour le système financier français

Par Delphine Cuny  |   |  1041  mots
La France est le grand pays européen présentant le plus haut ratio d'endettement des sociétés non financières, à près de 72% du PIB contre 62% pour la moyenne de la zone euro en 2017. (Crédits : Banque de France/BCE)
Des grands groupes aux PME, les entreprises françaises ont fortement accru leur endettement ces derniers mois. Malgré la baisse des taux, le service de la dette n'a pas diminué. Une source d'attention pour la Banque de France dans son rapport sur les risques du système financier français.

Halte à la surchauffe. La Banque de France multiplie les mises en garde sur la croissance de l'endettement des entreprises françaises, à rebours de la tendance chez nos voisins. Dans son rapport sur l'évaluation des risques du système financier français publié ce lundi 25 juin, ceux liés à l'endettement du secteur privé « sont jugés élevés » et se situent « au premier rang des risques identifiés pour le système financier français. » Si la croissance soutenue du crédit aux ménages n'est pas une source d'inquiétude, du fait d'emprunts généralement souscrits à taux fixes, qui protègent les emprunteurs des effets de la remontée des taux d'intérêt, il n'en est pas de même pour les entreprises.

« L'endettement a augmenté particulièrement chez les grandes entreprises et les ETI jusque vers 2016 et le mouvement s'étend depuis aux PME. C'est le point d'alerte que nous avons eu. Cette dynamique du crédit est assez générale et concerne toutes les tailles d'entreprise. C'est une singularité française par rapport aux autres pays de la zone euro », a souligné Ivan Odonnat, directeur général adjoint de la stabilité financière et des opérations à la Banque de France, lors d'une conférence de presse.

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[Répartition de la dette totale par taille d'entreprise, en milliards d'euros. Crédit : Banque de France]

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L'endettement de sociétés non financières françaises atteint 1.645 milliards d'euros à fin 2017, dont 1.043 milliards sous forme de prêts, le reste en dette obligataire. Il représente 71,8% du PIB contre 62% pour la moyenne de la zone euro en 2017. La France est ainsi « le grand pays européen présentant le plus haut ratio d'endettement des sociétés non financières. »

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[Comparaison européenne des taux d'endettement brut. Crédit : Banque de France/BCE]

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Début juin, le Haut conseil de stabilité financière a d'ailleurs envoyé un signal clair aux banques françaises, en leur demandant d'augmenter leur matelas de fonds propres, après leur avoir imposé de limiter leur exposition aux entreprises les plus endettées à l'équivalent de 5% de leurs fonds propres, contre 10% jusqu'ici.

Impact significatif d'une remontée des taux

Si cet accroissement de l'endettement s'explique par des conditions d'emprunt (bancaire ou obligataire) particulièrement favorables et un besoin de financement persistant, il est porteur de risques. Notamment parce que le service de la dette n'a pas diminué malgré la baisse des taux d'intérêt, alors qu'il recule dans les autres grandes économies de la zone euro.

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[Le service de la dette, pour le remboursement des intérêts et du "principal", le capital emprunté, en pourcentage du revenu, en France et les grands pays européens. Crédits / Banque de France/BRI]

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La remontée des taux pourrait donc avoir un effet « significatif » sur la situation financière des entreprises endettées, en particulier les PME. La Banque de France a dressé plusieurs scénarios de hausse des taux, dont celui d'une "pentification" des taux (hausse des taux longs de 200 points de base, plus forte que celle des taux à court terme, de 100 points de base).

« Au bout d'un an, la charge d'intérêts augmenterait de 7 milliards d'euros. Cet impact pourrait ne pas être négligeable pour des entreprises déjà fragiles », a relevé Ivan Odonnat.

Un niveau à mettre en regard des charges d'intérêt nettes des entreprises non financières qui atteignaient 27 milliards d'euros fin 2016. L'impact dépendrait de la capacité des entreprises à répercuter cette hausse des taux sur leurs prix de vente et à augmenter leurs revenus issus d'actifs financiers.

Forte croissance des LBO

Le rapport de la Banque de la France se préoccupe aussi du « développement et [du] relâchement des conditions d'octroi des financements d'entreprise à effet de levier en France. » L'Hexagone représentait 14% des volumes d'emprunts à effet de levier dans l'Union européenne en 2017, derrière le Royaume-Uni à 18%.

« Les financements à effet de levier (opérations dites de "leverage buy out" - LBO et plus largement prêts à effet de levier - "leveraged loans", obligations à haut rendement - "high yield") sont en forte croissance au cours des derniers trimestres et cette évolution s'accompagne d'un assouplissement des clauses contractuelles et d'un fort appétit pour le risque des investisseurs », met en garde l'institution.

Le ratio de levier (dette sur Ebitda) est à la hausse, passant de 4,4 en 2009 à 5,1 en moyenne en 2017. On se rapproche du niveau considéré par la Banque centrale européenne (BCE) comme devant être « surveillé » (ratio supérieur à 6). Cependant, les banques françaises sont assez peu exposées :

« L'encours des prêts LBO dans le bilan des banques françaises est marginal, environ 2% de leur masse de crédit aux entreprises [35 milliards sur 1.600 milliards d'euros] », a précisé le directeur général adjoint de la stabilité financière et des opérations.

Le montant unitaire de leur exposition est en outre faible (50 à 60 millions d'euros par prêt).

Du côté des prêts à effet de levier non bancaires, si les entreprises emprunteuses sont aujourd'hui « en position de force », du fait d'une forte demande des investisseurs en quête de rendement, la situation pourrait se renverser en cas de remontée des taux et des écarts de taux, les investisseurs se reportant vers les obligations d'État ou d'entreprises mieux notées (en catégorie d'investissement).

« Un mouvement de réallocation des portefeuilles vers des actifs obligataires moins risqués pourrait alors réduire la demande sur les nouvelles émissions et exposer les sociétés non financières à des coûts de financements/refinancements plus élevés. Le marché secondaire des "leveraged loans" soumis à une pression de vente pourrait également être négativement impacté », avertit le rapport sur les risques du système financier français.

Pour sa première prise de parole publique, la nouvelle sous-gouverneure de la Banque de France, Sylvie Goulard, ex-députée européenne et éphémère ministre des Armées du premier gouvernement Philippe, a tenu à relativiser :

« Ce rapport n'est pas un signal d'alarme. Il intervient de manière préventive. Nous avons une certaine attention portée à l'endettement privé et à la partie la moins bien contrôlable, la leverage finance. »