« L’histoire d’Arthur Andersen est pillée par des usurpateurs »

Par Delphine Cuny  |   |  864  mots
Les anciens du cabinet d'audit, fermé après le retentissant scandale comptable d'Enron, veulent défendre l'héritage et la mémoire de cette maison qui leur a tout appris.
L’association des Anciens du cabinet et son président René Proglio dénoncent comme une supercherie la relance de la marque d’audit, enterrée après le scandale Enron, par un duo de Français qu'ils jugent « illégitimes. »

« Des pilleurs de sépultures ». René Proglio, le président de l'association des Anciens d'Arthur Andersen, n'a pas de mots assez durs pour qualifier la démarche du duo formé par Véronique Martinez et Stéphane Laffont-Réveilhac pour relancer la marque d'audit, arrêtée après le scandale Enron au début des années 2000, et déposée à l'INPI en 2014. Dans le bel hôtel particulier près du parc Monceau, siège de Morgan Stanley France qu'il préside, le frère jumeau d'Henri Proglio s'est entouré de membres du bureau des Alumni ce mardi pour dénoncer ce qu'il considère comme une « vaste supercherie ».

« Ces personnes indélicates et illégitimes cherchent à capter l'héritage d'Arthur Andersen, c'est une sinistre farce » s'est-il emporté. « Ils sont pires que des opportunistes, c'est une attitude de voyous. »

Préjudice moral des « héritiers »

L'association française des Anciens d'Arthur Andersen, qui compte 2.800 membres, n'accorde aucune légitimité à l'avocate, qui affirme avoir travaillé sept ans pour Andersen Legal, mais « n'a jamais été partner », et l'ancien dir com du cabinet d'avocats Landwell, qui « a pour spécialité de déposer des marques » (18 à l'INPI, de MyWebTV à Jean-Paul Guerlain, de l'immobilier et des noms d'artistes), et qui n'a jamais été chez Andersen.

« Et ils osent se proclamer l'authentique Arthur Andersen, fondé en 1913. C'est beau comme l'antique ! L'histoire d'Arthur Andersen est pillée par des usurpateurs qui veulent s'emparer du nom pour faire du commerce. Est-ce légal de s'approprier l'histoire ? Ils reprennent l'emblème, la porte, les formules « think straight, talk straight » [les idées claires, le parler clair, ndlr]. Ils sont prêts à franchiser n'importe qui. Ils nous portent préjudice » affirme René Proglio.

Arthur Andersen, avant sa chute pour obstruction de la justice après avoir détruit des documents compromettants de son client Enron, société texane de courtage en électricité qui avait maquillé ses pertes en bénéfices, c'était 85.000 collaborateurs dans le monde et un chiffre d'affaires de 9 milliards de dollars.

Le préjudice est avant tout moral pour ces « héritiers d'une maison disparue », qui auraient préféré que la marque soit définitivement éteinte. Ce qu'ils pensaient mais les liquidateurs ont voulu faire des économies et l'ont laissée tomber dans le domaine public. Un ancien partner américain, Mark Vorsatz l'a d'abord racheté aux Etats-Unis, en échange d'un abondement du fonds de pension des anciens associés, en rebaptisant son cabinet WTAS du nom d'Andersen Tax. puis Andersen Global.

« Nous n'étions pas ravis, mais le projet qu'il nous a présenté était arthurien, conforme aux règles de recrutement, de formation, de non-monétisation des parts sociales. Il ne nous a pas demandé notre avis, mais c'était une amertume acceptable » confie René Proglio, qui reconnaît une certaine naïveté.

En revanche, il s'étrangle en évoquant le projet français, que lui a présenté l'avocate en 2014 : « C'est du vent. Une plaisanterie ! Recréer un cabinet international à deux personnes ! Je la soupçonnais de vouloir revendre la marque. »

 [le site du nouvel Arthur Andersen & co qui fait débat]

Une marque abîmée mais magique

Une opération potentiellement très lucrative : le vice-chairman de Morgan Stanley indique qu'il est d'ailleurs cité comme cause de rupture de pourparlers entre le cabinet américain Andersen Tax et Arthur Andersen & Co, qui aurait réclamé 87 millions de dollars. Les parties lui auraient demandé de signer une clause de non-opposition, ce qu'il a refusé.

Pour autant, René Proglio « n'a pas du tout envie d'aller en justice, l'association dispose de peu de moyens » assure-t-il (le budget annuel est de 100.000 euros). Toutefois, la question est « à l'étude ».

« C'est une démarche affective, c'est vrai. Mais dans nos statuts figure la nécessité de protéger la réputation d'Arthur Andersen. J'y ai travaillé près de 30 ans, j'y aurais fini ma vie si Andersen ne m'avait pas lâché. C'était tout un ensemble de valeurs. C'est bien pire qu'un mal à l'âme » répond-il, nostalgique.

Frédéric Duponchel, dirigeant en France du cabinet d'audit Accuracy, fondé par des anciens d'Andersen, abonde :

« C'est très choquant, on en souffre. Arthur Andersen, cela a été 14 ans de ma vie professionnelle, et aujourd'hui c'est un vrai label reconnu, qui ouvre des portes et est gage d'intégrité.»

Bruno Bousquié, partner chez OC&C, ajoute :

« Nous avons les plus grands doutes sur le sérieux de ce projet et nous voulons faire savoir que nous ne soutenons pas cette initiative et éviter que le monde professionnel ne se laisse abuser.»

Pourquoi une telle bataille, quinze ans après, alors que l'image de l'ex-Big Five, démantelé en 2002, a été durablement ternie par l'affaire Enron, qui avait entraîné son auditeur dans sa chute ?

« Oui, la marque a été très abîmée, surtout aux Etats-Unis, les répercussions ont été mondiales. Mais c'était lié à des comportements à Houston et la Cour Suprême a réhabilité Arthur Andersen trois ans plus tard. En France, la marque était magique » considère René Proglio.

Et les anciens préfèrent la voir dormir en paix.