La Chine en tête de la course à l'innovation financière

Par Delphine Cuny  |   |  818  mots
Alipay, la solution de paiement électronique du géant Ant Financial, compte plus de 450 millions d'utilisateurs actifs.
Sous l'impulsion des géants du Web Alibaba et Tencent, les usages numériques bancaires chinois sont les plus avancés au monde. Reste à voir si leurs modèles sont exportables.

Et si la banque du futur existait déjà, en Chine, et n'était pas une banque ? De la Silicon Valley à Londres, en passant par Berlin et Paris, de nouveaux entrants aux modèles économiques en rupture bouleversent le monde de la finance. Mais en Chine plus qu'ailleurs, des acteurs non bancaires sont en train de se tailler la part du lion du marché du paiement en ligne en particulier. Christophe Chazot, le directeur de l'innovation du groupe HSBC, à la vision internationale et au prisme asiatique par son histoire, résume en une formule définitive :

« La Chine prend la tête de l'innovation financière ».

La banque à la forte implantation en Asie voit-elle midi à sa porte ? En mai dernier, les experts de l'Atelier BNP Paribas US  défendaient une tout autre vision depuis San Francisco :

« La Silicon Valley est-elle le nouveau Wall Street ? Elle est en tête des Fintech avec son écosystème plus vaste. San Francisco est aujourd'hui la capitale mondiale de la Fintech ».

Un futur leader mondial de la Fintech

Les chiffres viennent plutôt conforter l'idée d'une domination asiatique : selon le "pouls de la Fintech" de KPMG et CB Insights, c'est bien en Asie, et en particulier en Chine, qu'ont lieu les levées de fonds les plus massives des startups qui utilisent la technologie pour proposer des services financiers plus efficaces : plus d'un milliard de dollars récoltés par Lu.com et par JD Finance (filiale de JD.com, coté sur le Nasdaq) chacune (en Europe on se situe plutôt dans la dizaine de millions). Des entreprises dont on parle beaucoup moins ici que les déboires du pionnier du prêt participatif LendingClub, fondé par le Français Renaud Laplanche par exemple.

Il y a beaucoup, beaucoup d'argent investi en Chine dans l'innovation financière : preuve en est le méga-deal à 4,5 milliards de la filiale de paiement en ligne du géant de l'e-commerce Alibaba, Ant Financial, valorisée 60 milliards de dollars. C'était la plus grande levée de capitaux jamais réalisée hors marchés par une entreprise de l'Internet.

Au-delà des capitaux déversés dans le secteur, les usages décollent massivement. La marque à la fourmi ("ant" en anglais) compte en effet plus de 450 millions d'utilisateurs à sa solution Alipay, le PayPal chinois, qui sert à payer en ligne mais aussi à appeler un taxi ou réserver une chambre d'hôtel. Le groupe de Jack Ma (qui en conserve en direct 33% du capital) a l'intention de faire grandir sa filiale en "un leader mondial de la Fintech".

[La vision du groupe Alibaba pour sa filiale Ant Financial, ex-Alipay. Crédit Alibaba]

Des géants du Web dominent le paiement en ligne

 En face d'Alibaba, un autre géant du Web chinois, Tencent, la maison-mère de réseaux sociaux comme Weibo, devient incontournable dans le paiement en ligne, avec son application mobile de messagerie instantanée WeChat, aux 800 millions d'utilisateurs. Christophe Chazot, de HSBC, se montre impressionné :

« WeChat est à la fois LinkedIn, WhatsApp et PayPal : l'application intègre tout cela dans un même environnement et cela donne une expérience utilisateur exceptionnelle, comme si le système bancaire était à vous, c'est votre porte-monnaie.

La Chine avait un problème d'infrastructures bancaires peu développées. Elle a laissé entrer des acteurs de l'Internet, ce qui a permis d'accélérer l'innovation. Aujourd'hui, 80% des paiements mobiles sont réalisés par Alibaba et Tencent, ce qui inquiète des acteurs comme China UnionPay », le leader des cartes bancaires.

Et ce n'est pas anecdotique : le marché des transactions mobiles a plus que doublé l'an dernier en Chine, atteignant 235 milliards de dollars, plus qu'aux États-Unis, selon Euromonitor. Et le paiement est un élément central du secteur financier.

Simplicité pour les utilisateurs

Les Chinois apprécient la simplicité des solutions de ces groupes venus du numérique : l'utilisation d'un banal QR code, plutôt que la technologie sans contact qui requiert un terminal de paiement spécifique, et d'un lecteur optique basique pour le commerçant ou le taxi, sans lecteur de carte bancaire.

[Le paiement par WeChat Pay peut se faire par lecture d'un QR code]

Alipay affiche des ambitions internationales : il va tester son porte-monnaie électronique à Hong-Kong, où la population est beaucoup plus bancarisée, et a signé un partenariat avec le fabricant français de terminaux de paiement Ingenico pour permettre aux touristes chinois de payer avec Alipay dans toute l'Europe.

Les banques occidentales ne doivent pas donc seulement craindre les Google, Apple, Facebook et Amazon, tous engagés dans la bataille du paiement en ligne. Car le bouton "payer" récemment lancé dans Facebook Messenger n'est qu'une copie de ce que faisait déjà WeChat. Pour le directeur de l'innovation du groupe HSBC:

"Les Chinois sont devenus maîtres dans l'art du digital"

 La grande inconnue reste leur capacité à exporter ce modèle.