La reprise des achats de dettes de la BCE critiquée par le gouverneur de la Banque de France

Par Delphine Cuny  |   |  771  mots
Les achats de dettes réalisés par la BCE mois par mois entre 2015 et 2018, en milliards d'euros. (Crédits : BCE)
La relance du programme d’achat d’actifs (le fameux QE) annoncée par la Banque centrale européenne le 12 septembre n’a pas fait l’unanimité au sein du conseil des gouverneurs. Le Français Villeroy de Galhau a pour la première fois exprimé publiquement ce mardi ses réserves.

On savait que la décision de la Banque centrale européenne (BCE) de baisser encore ses taux d'intérêt et de reprendre son programme d'achat de dettes, le fameux QE (quantitative easing, assouplissement quantitatif), le 12 septembre dernier, n'avait pas été prise à l'unanimité, contestée par certains poids lourds du Conseil des gouverneurs, qui rassemble les membres du directoire de la BCE et les 19 gouverneurs des banques centrales nationales de la zone euro. Le Néerlandais Klaas Knot et l'Autrichien Robert Holzmann avaient critiqué dès le lendemain cette décision défendue par le président sortant de la BCE, Mario Draghi : des mesures « disproportionnées » selon le premier. L'Allemand Jens Weindeman, dont la réputation de « faucon » (peu enclin à la politique monétaire accommodante) n'est plus à faire, avait voté contre, sans surprise. Mais la rumeur prêtait aussi aux Français Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, et François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, d'avoir rejoint le camp des opposants.

Pour la première fois ce mardi 24 septembre, le gouverneur de la Banque de France, d'habitude dans la droite ligne de Mario Draghi, a exprimé publiquement ses réserves.

« A ce stade je n'étais pas favorable à la reprise des achats nets d'actifs, car je pensais que la poursuite des achats ne s'imposait pas immédiatement étant donné les très bas niveaux des taux d'intérêt de long terme ainsi que des primes de terme, qui ont encore nettement diminué depuis que nous avons interrompu les achats nets en décembre dernier » a-t-il déclaré, à l'occasion d'un discours à la Paris School of Economics. « Le QE a pour objectif principal d'extraire davantage le risque de duration sur le marché obligataire, or les primes de terme ont déjà été comprimées avec succès » a-t-il rappelé.

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[François Villeroy de Galhau]

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La politique monétaire ne peut pas tout

Dans sa décision publiée le 12 septembre, le Conseil des gouverneurs avait annoncé qu'il prévoyait de recourir « aussi longtemps que nécessaire » au programme d'achat d'actifs, qui reprendra au rythme de 20 milliards d'euros par mois à partir du 1er novembre, jour de la prise de fonctions de la future présidente, Christine Lagarde. Au pic du QE, entre avril 2016 et mars 2017, la BCE rachetait 80 milliards d'euros de dettes (d'Etats essentiellement et d'entreprises dans une moindre mesure) par mois. Elle avait ramené ce rythme à 15 milliards en octobre 2018 avant d'y mettre fin en décembre dernier. La BCE conserve toutefois un stock encore très important d'actifs acquis dans le cadre du QE : 2.600 milliards d'euros.

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[Le programme d'achat d'actifs de la BCE en milliard d'euros par mois. En bleu : la dette du secteur public, en jaune la dette d'entreprises, en rouge les obligations sécurisées de banques, en vert les titres adossés à des actifs. Cliquer ici pour zoomer. Crédit : BCE]

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Le gouverneur de la Banque de France a dit ne pas avoir voulu « réagir à chaud ». Il a insisté sur le fait qu'il avait soutenu les deux autres volets du « paquet de mesures », le renforcement de la « forward guidance » - l'abandon du calendrier de la trajectoire prévisionnelle des taux sur lequel étaient focalisés les marchés financiers - ainsi que « l'introduction bienvenue d'un mécanisme d'atténuation (tiering system) semblable à celui existant dans toutes les autres juridictions où les taux d'intérêt sont négatifs » - Japon, Suisse, Danemark, Suède - à savoir un système exonérant une partie des réserves des banques du taux négatif de la facilité de dépôt (passé de -0,4% -0,5% le 12 septembre). Le gouverneur a regretté que ce changement d'optique, des prévisions dépendant davantage de la situation économique, de la convergence de l'inflation sous-jacente, ait été éclipsée par le débat sur le QE.

« À mes yeux, la question n'est pas celle d'une modification de l'équilibre entre faucons et colombes - je n'ai jamais considéré que cette classification ornithologique était d'une grande aide pour élaborer la politique monétaire » a estimé François Villeroy de Galhau. « C'est une question d'analyse économique pragmatique et objective, qui considère les anticipations de marché comme des indicateurs utiles mais ne dépend pas d'elles.»

Le banquier central a d'ailleurs insisté sur un argumentaire largement développé par Mario Draghi : la politique monétaire ne peut pas tout, les gouvernements doivent jouer leur rôle, en levant les incertitudes sur la croissance et en prenant des mesures favorables à la croissance, par le biais de la politique fiscale ou budgétaire.