
"BCE déprimante, marchés déprimés" résume la société de gestion Pictet AM. Les marchés financiers ont été pris de court par les annonces de la Banque centrale européenne (BCE) ce jeudi 7 mars et la tonalité du discours, plus pessimiste : l'institution de Francfort a indiqué qu'elle repoussait de six mois la perspective d'une éventuelle remontée des taux d'intérêt, qu'elle avait prévu de maintenir à un niveau historiquement bas depuis 2016 "au moins jusqu'à l'été 2019".
"Le Conseil des gouverneurs prévoit désormais que les taux d'intérêt directeurs de la BCE resteront à leurs niveaux actuels au moins jusqu'à la fin de 2019 et, en tout cas, aussi longtemps que nécessaire pour assurer la poursuite de la convergence durable de l'inflation vers des niveaux inférieurs à, mais proches de 2 % à moyen terme" indique la BCE dans son communiqué.
En réalité, les investisseurs ne s'attendaient pas à un relèvement des taux cette année. Mais le fait que la BCE l'annonce officiellement a été perçu comme un mauvais signal.
"La BCE est clairement devenue plus "dovish" [accommodante]. L'ajustement de la prévision est surprenant" a réagi Johannes Muller, le responsable de la recherche macro-économique chez DWS.
Et ce d'autant plus que la banque centrale a abaissé ses prévisions d'inflation (seulement 1,6% en 2021) et de croissance économique pour la zone euro à 1,1% pour 2019, contre 1,7% prévu en décembre et prend cette décision pour venir au chevet de la croissance de la zone.
"[Les] projections [des services de la BCE] prévoient une augmentation annuelle du PIB réel de 1,1% en 2019, de 1,6% en 2020 et de 1,5% en 2021. Par rapport aux projections macroéconomiques des services de l'Eurosystème de décembre 2018, les perspectives de croissance du PIB réel ont été sensiblement revues à la baisse en 2019 et légèrement en 2020" a déclaré Mario Draghi, le président de la BCE, lors d'une conférence de presse ce jeudi.
"Les risques liés aux perspectives de croissance de la zone euro sont toujours orientés à la baisse, en raison de la persistance d'incertitudes liées aux facteurs géopolitiques, à la menace de protectionnisme et aux vulnérabilités des marchés émergents" a-t-il ajouté.
La BCE, qui a mis un terme à son programme d'achats de dettes (souveraines et d'entreprises) sur les marchés, a indiqué qu'elle entend "poursuivre les réinvestissements, en totalité, des remboursements au titre du principal des titres arrivant à échéance acquis dans le cadre du programme d'achats d'actifs" et ce "pendant une période prolongée après la date à laquelle [elle] commencera à relever les taux d'intérêt directeurs".
L'euro et les banques décrochent
L'euro a décroché, tombant à son plus bas niveau depuis novembre face au billet vert à 1,1231 dollar. Les valeurs bancaires ont aussi tangué, le maintien des taux bas étant mauvais pour leur marge d'intérêt et leurs dépôts : l'action Société Générale a enregistré la plus forte baisse (-4,3%), suivie de Natixis (-3,95%) et BNP Paribas (3,38%) et Crédit Agricole (-3,16%). À Francfort, Deutsche Bank a cédé plus de 4% comme Commerzbank.
La BCE va renforcer son soutien à l'économie de deux autres manières. Elle va lancer une troisième vague de prêts de grande ampleur aux conditions très favorables pour les banques, les TLTRO (Targeted longer-term refinancing operations), des opérations trimestrielles d'une échéance de deux ans qui seront menées entre septembre 2019 et mars 2021.
"Ces nouvelles opérations contribueront à préserver des conditions de prêts bancaires favorables et une transmission harmonieuse de la politique monétaire" justifie la BCE. "Les mesures politiques décidées aujourd'hui, et en particulier la nouvelle série de TLTRO, contribueront à garantir que les conditions de prêt des banques restent favorables".
L'annonce, attendue depuis plusieurs semaines, est perçue comme une bonne nouvelle pour les banques italiennes et espagnoles, principales bénéficiaires des précédents programmes TLTRO, même si les conditions seront un peu moins favorables que la précédente vague. Ces opérations ont été décidées "en raison de l'arrivée à échéance des prêts, du niveau élevé des créances irrécouvrables dans certains pays et du besoin d'aider les banques européennes à rester conformes aux ratios réglementaires" a analysé Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM.
"Le fait que les TLTRO soient encore nécessaires 10 ans après le pic de la crise financière montre que le système financier est encore loin d'être « normal »" a toutefois relevé Johannes Muller, de DWS.
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