Les arnaques financières deviennent un phénomène industriel

Par Delphine Cuny  |   |  883  mots
Répartition des victimes d'arnaques financières par âge, selon une enquête réalisée par l'AMF. Les plus de 60 ans représentent 63% des sommes perdues (contre 26% de la population). (Crédits : AMF parquet ACPR)
Le gendarme des marchés, celui des banques et assurances ainsi que le parquet de Paris joignent leurs efforts pour alerter le public sur le mode opératoire des escrocs, notamment en ligne, qui auraient fait perdre 1 milliard d’euros aux épargnants français en deux ans. Ils incitent à la vigilance et à déposer plainte.

Du haut du 26e étage du nouveau Tribunal de Paris, à la porte de Clichy, c'est la mobilisation générale qui est décrétée contre les escroqueries financières par le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, et le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Robert Ophèle, ce mardi 17 septembre. Entourés d'experts de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR, adossée à la Banque de France) et du parquet de Paris, ils veulent alerter le public contre « une industrialisation du phénomène » qu'ils évaluent à quelque 1 milliard d'euros de pertes subies par les épargnants français en deux ans, entre juillet 2017 et juin 2019.

Il s'agit généralement de sites internet en apparence sérieux, mais éphémères, qui proposent des placements sortant des sentiers battus, au rendement élevé sans être mirifique (6% à 12%), en réalité totalement fictif et dont les gérants disparaissent ensuite avec l'argent dans la nature. Après un premier placement présenté comme fructueux, l'épargnant mis en confiance effectue d'autres versements, dont il ne reverra pas la couleur.

« Ce sont de véritables escroqueries, menées de manière très sophistiquée, par des professionnels. Les victimes sont des personnes qui recherchent des placements rémunérateurs, à une période où les produits institutionnels [livrets, assurance vie] offrent des rendements très faibles. Ce sont des proies faciles, des personnes souvent âgées, pas toujours bien entourées » a indiqué Rémy Heitz, lors d'une conférence de presse.

« Avant, c'était le Forex [ trading sur le marché des changes non régulé], aujourd'hui ce sont les diamants, les terres rares, le bitcoin et les crypto, les vins et grands crus, les vaches et les cheptels ! Le démarchage se fait par Internet, par mail et par téléphone, de manière insistante, depuis un numéro apparemment français. Ce sont des organisations très élaborées, opérées depuis l'étranger, avec des centrales d'appel et des personnes formées aux discours manipulatoires » a insisté le procureur de Paris.

Il a cité le cas d'une victime de 84 ans, qui a perdu près de 500.000 euros, à l'issue d'une « spirale infernale » et d'un « phénomène de retape » : les escrocs relancent l'octogénaire, se font passer pour l'administration fiscale, l'autorité européenne des marchés, la Banque de France, pour lui réclamer encore plus d'argent, des impôts, des cautions, des timbres fiscaux, en liaison avec ses placements. Le préjudice est aussi moral et physique, a insisté le parquet : l'homme de 84 ans « a perdu 12 kg et souffre d'un syndrome anxio-dépressif. »

Clonage de sites frauduleux

Un cas rare heureusement, les pertes essuyées n'étant pas généralement aussi importantes. Certaines victimes se rendent compte de l'escroquerie plus tôt. Un épargnant, Alain, témoigne ainsi dans une vidéo mise en ligne par l'AMF qu'il a compris qu'il avait affaire à une bande organisée lorsqu'on lui a demandé de l'argent pour pouvoir récupérer sa mise : il a contacté les services du gendarme boursier qui lui ont confirmé que la société n'existait pas. Le parquet et les autorités incitent les épargnants à signaler les offres suspectes et les victimes à porter plainte, au moins au commissariat, en gardant toutes les traces d'échanges avec les pseudo-conseillers.

« C'est un fléau qui engendre des pertes très significatives. Les autorités sont mobilisées, nous menons une action de prévention résolue. Il faut une mobilisation générale, qui inclut aussi les associations de consommateurs et les médias » a plaidé Robert Ophèle, le président de l'AMF.

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[Répartition des victimes par âge : en rouge, part du nombre de souscripteurs, en bleu part des montants investis, en vert part dans la population active. Cliquer ici pour zoomer. Crédit : AMF]

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Le gendarme des marchés publie notamment des listes noires de sites ou entités douteux (plus de 1.000 répertoriés), dont 65 inscrits depuis le 1er septembre, essentiellement des offres frauduleuses de livrets et de crédits. L'AMF a fait fermer 178 adresses Internet en cinq ans, mais d'autres se créent.

« On observe une industrialisation de l'arnaque » a expliqué Nathalie Beaudemoulin, la directrice du contrôle des pratiques commerciales à l'ACPR. « Nous voyons le développement du clonage de sites frauduleux. Cet été, nous avons ainsi identifié 59 clones d'une fausse banque en ligne, avec des variantes de nom et de couleur, usurpant le code interbancaire d'une banque, avec des documents contractuels proches de ceux d'une banque autorisée » a-t-elle signalé.

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[Exemple de clonage de sites frauduleux, inscrits dans la liste noire de l'AMF. Crédit : ACPR]

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Le procureur de la République de Paris, qui n'a pas de compétence nationale sur le sujet, a reconnu avec modestie que « les investigations progressent, mais nous avons encore beaucoup de mal à mettre au jour ces réseaux. Les sommes sont versées sur des comptes bancaires étrangers, souvent en zone euro, des comptes "rebonds", avant de repartir très vite vers d'autres comptes dans des États beaucoup moins coopératifs sur le plan judiciaire. Nous diligentons systématiquement des enquêtes, mais le chemin reste difficile » a convenu Rémy Heitz.