"Les banques n'ont toujours pas pris le virage de la transition énergétique" (Oxfam France)

Par Delphine Cuny  |   |  1055  mots
La Banque Postale et le Crédit Mutuel Alliance fédérale ressortent comme les bons élèves avec la plus grande part de financements consacrés aux énergies renouvelables. (Crédits : Oxfam France)
Selon une étude de l'ONG Oxfam France, BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE ont accordé 70% de leurs financements aux énergies fossiles en 2016-2017 contre 20% seulement aux renouvelables. Un constat en décalage avec le discours affiché en faveur de la transition écologique des grands groupes bancaires français.

[Article mis à jour à 18h45]

A la veille du Climate Finance Day, qui se tient ce mercredi 28 novembre au Palais Brongniart, l'association Oxfam France publie ce samedi un rapport cinglant sur les pratiques des banques françaises en matière de financements au secteur de l'énergie. Dans le cadre du projet Fair Finance, l'ONG a analysé, avec l'aide du cabinet néerlandais Profundo, les financements et investissements réalisés au cours des années 2016 et 2017 par BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE, Crédit Mutuel Alliance fédérale (ex-Crédit Mutuel CM11-CIC) et La Banque Postale.

L'étude a porté sur les opérations de financements et d'investissements en direction de 290 entreprises du secteur de l'énergie, et leurs filiales, et 89 projets d'énergies renouvelables, y compris les émissions d'actions et d'obligations ne correspondant pas à un type d'énergie précisément.

« Sur la période 2016-2017, BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE, Crédit Mutuel-CIC et la Banque Postale ont financé les énergies fossiles à hauteur de 43 milliards d'euros, contre seulement 12 milliards d'euros aux énergies renouvelables, alors que la situation climatique exigerait d'elles qu'elles fassent au moins l'inverse. Trois ans après la COP21, les banques n'ont toujours pas pris le virage de la transition énergétique, malgré leurs beaux discours en ce sens » considère Alexandre Poidatz, porte-parole d'Oxfam France.

L'étude résume que « sur 10 euros de financements accordés par les banques au secteur énergétique, 7 euros vont aux fossiles contre 2 euros seulement aux renouvelables », l'euro restant allant essentiellement au nucléaire et à l'hydraulique, qu'Oxfam considère non renouvelable car elle présenterait « une émission maximale de gaz à effet de serre sur son cycle de vie ». Oxfam pointe aussi le fait que « le charbon reste encore trop prépondérant, comptant en moyenne pour 8,5% des énergies financées ».

Les plus petites banques analysées, peu ou pas présentes sur les marchés, ressortent comme les bons élèves : La Banque Postale, championne avec une part de 92% de financements consacrés aux énergies renouvelables, suivie du Crédit Mutuel Alliance fédérale avec une part de 50%. La Banque verte ne l'est pas tant que ça aux yeux d'Oxfam qui estime que la plus faible part de renouvelables revient au Crédit Agricole (16%), pourtant un des trois plus gros arrangeurs du "green bonds" au monde, derrière Bank of America et BNP Paribas.

« La transition énergétique ne pourra s'opérer sans une réallocation des flux financiers internationaux des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, et les banques françaises sont aujourd'hui loin du compte. Pire, elles ont réduit leurs financements à destination des énergies renouvelables (-1,85 milliard d'euros) d'un montant équivalent à l'augmentation de leurs financements vers les énergies fossiles (+1,8 milliard d'euros). C'est incompréhensible. Notre maison brûle, et les banques françaises regardent ailleurs » poursuit le porte-parole de l'ONG dirigée en France par l'ex-ministre Cécile Duflot.

Logique de transition vs sortie intégrale

Ces chiffres semblent en décalage avec le discours des plus grandes banques françaises, qui ont annoncé une série d'engagements quant aux financements des projets les plus polluants il y a un an, juste avant le One Planet Summit organisé à Paris en décembre 2017 à l'initiative d'Emmanuel Macron. Des engagements pas forcément visibles dans les chiffres de 2017, d'autant que ces engagements portent en général sur les nouveaux projets et non les prêts en cours.

En octobre 2017, l'association Les Amis de la Terre avait félicité BNP Paribas « la première banque à s'engager à ne pas vouloir financer ni des pipelines de gaz de schiste ni des terminaux méthaniers qui liquéfient et exportent principalement des gaz de schiste. » Le patron de BNP Paribas, Jean Laurent Bonnafé, avait expliqué à l'époque que la première banque de la zone euro en termes d'actifs avait « décidé de ne plus financer de mines et de centrales thermiques à charbon dans le monde et de ne financer que les entreprises de ce secteur qui sont engagées dans une stratégie de diversification de leurs sources de production », dans une logique d'accompagnement de la transition énergétique, progressive, et non de sortie intégrale de l'énergie fossile, un renoncement bien plus lourd en termes de business.

« Les grandes annonces du secteur bancaire ne suffisent plus » s'impatiente Oxfam France qui réclame un renforcement de la législation « afin de contraindre les banques à être transparentes et à publier un calendrier de sortie des [énergies] fossiles. »

L'ONG relève par exemple que « Natixis [filiale de BPCE] est la seule banque française à avoir adopté un seuil d'exclusion strict des entreprises exposées à plus de 50% au charbon », tandis que BNP Paribas et Société Générale n'ont pris cet engagement que pour leurs nouveaux clients.

Interrogé, le Crédit Agricole a réagi en faisant valoir qu'il était « le premier groupe bancaire en France dans le financement des énergies renouvelables, avec une part de marché sur les énergies renouvelables en France de 35% », et dénoncé les biais méthodologiques de l'étude, notamment l'exclusion de l'hydraulique et de la biomasse des énergies renouvelables.

« L'objectif du groupe Crédit Agricole est de rester un acteur important du secteur de l'énergie tout en excluant les activités ayant les rendements énergétiques les plus faibles et présentant les dangers potentiels les plus importants pour l'environnement » a-t-il mis en avant.

De son côté, BNP Paribas a fait valoir qu'elle a été « l'une des premières banques au monde à adopter une politique sectorielle restreignant ses financements au charbon » en 2015 et corrigé certains chiffres.

« BNP Paribas publie chaque année le mix énergétique de ses financements. La part des énergies fossiles y est en baisse. A fin 2017, le mix électrique financé par BNP Paribas représentait 52 % d'énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) pour 26 % d'énergies renouvelables contre respectivement 55,7% et 23,5 % l'année précédente. Fin 2017, le montant du financement dédié au secteur des énergies renouvelables était de 12,3 milliards d'euros, en progression de plus de 70% en 2 ans » a détaillé Laurence Pessez, directrice RSE (responsabilité sociale et environnementale) du groupe BNP Paribas, précisant que le groupe allait « poursuivre le renforcement de son dispositif pour accélérer la transition énergétique. »