Valls, Sapin...  : ces politiques qui veulent déclasser la France

Par Michel Cabirol  |   |  2151  mots
Manuel Valls sera-t-il le Premier ministre qui prendra la responsabilité d'un déclassement de la France ?
L'arbitrage de Manuel Valls sur le budget de la Défense devrait avoir des conséquences très lourdes sur l'outil militaire français. Un outil qui appuie souvent notre diplomatie à l'international.

Le ministre des Finances, Michel Sapin, et le Premier ministre, Manuel Valls, ont décidé de réduire à nouveau le budget de la défense, six mois seulement après avoir fait voter une loi de programmation militaire (LPM) a minima. Une LPM qui comme l'a rappelé le ministre de la Défense, "contribue au redressement de nos comptes publics. Parce qu'il y a 34.000 suppressions de poste, parce qu'il y a une masse salariale réduite de plus de 4 milliards, parce qu'il y a eu, par rapport à un Livre Blanc antérieur, une réduction  des commandes d'environ 14 milliards d'euros, parce qu'il y a des restructurations qui parfois sont difficiles pour les territoires".

Mais cela ne suffit pas à Michel Sapin et Manuel Valls. Alors que Bercy, revanchard contre la défense lors de l'élaboration du Livre blanc, exigeait de 2 à 2,5 milliards d'économies par an de 2015 à 2017 à la défense, Matignon a tranché entre 1 et 1,2 milliard. Que vaut finalement le vote d'une loi par le Parlement ? Au-delà de ce débat, la France, grâce à ses lourds investissements budgétaires en matière de défense depuis les années 1960, dispose pour l'heure d'un outil militaire efficace et reconnu à travers le monde, ce qui lui permet de mener encore aujourd'hui une politique étrangère influente en dépit de son déclin entamé depuis plus d'un siècle.

Pourquoi casser une filière performante

A côté d'une armée resserrée mais performante, comme en témoignent ses interventions sur les théâtres afghan, libyen, malien et en Centrafrique, la France a lourdement investi depuis des décennies en vue de développer, puis de maintenir une filière industrielle autonome en matière d'armements. Une filière technologique qui emploie des ingénieurs de très haut niveau et qui exporte bon an, mal an plus de cinq milliards d'euros d'équipements militaires (prises de commandes), souvent à des pays liés par des partenariats stratégiques.

Pourquoi faudrait-il casser cet outil industriel performant - ce qui est relativement rare en France - qui interagit sur plusieurs échiquiers vitaux : diplomatique, technologique, industriel, emploi et enfin sur sa souveraineté. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, défend cette position… face à Bercy et Matignon, qui privilégient les économies de court terme, sans aucune vision de long terme. Si les armées, pourtant déjà éprouvées par des années et des années de restructuration, en acceptent de nouvelles, il faudra changer le modèle qui prévaut encore aujourd'hui a minima.

Ce qui impliquera un déclassement de la France sur l'échiquier politique international. Que va faire François Hollande ? Laissera-t-il faire à Manuel Valls le sale boulot ? Ou au contraire préservera-t-il l'intégrité du budget de la défense comme il l'avait rappelé ? Le président de la République avait tranché et avait accordé à la défense 190 milliards d'euros, dont 6 milliards de recettes extrabudgétaires, pour l'actuelle LPM. Soit une moyenne de 31,6 milliards d'euros par an.

Que vaut la France sur la scène internationale sans son armée et sa dissuasion ?

Contrairement à son voisin allemand reconnu pour les performances de son industrie « Made in Germany », qui exporte aux quatre coins de la planète, la France a quant à elle développé depuis les années 60 le concept de puissance militaire et nucléaire, et à un degré moindre, de puissance spatiale. Avec succès. Elle a fondé toute une partie de sa diplomatie sur ce non-dit, qui aujourd'hui lui permet d'exister clairement sur la scène internationale. Le Mali n'a-t-il pas appelé au secours la France, qui garde aujourd'hui encore une influence en Afrique en dépit de la montée en puissance des puissance émergents, dont la Chine, sur ce continent. Paris n'a-t-il pas également réussi à conserver son siège de membre permanent à l'ONU face à ces mêmes pays, qui lorgnent avec envie sur cette position d'influence, comme le Brésil ou l'Inde. Bien sûr, la France reste et - peut-être - restera une puissance moyenne. Mais elle le restera si elle continue à investir de façon raisonnable dans son armée.

En 2013, le Parlement a voté la LPM. Un budget de crise, qui ne permet pas de s'offrir tout ce qui était gravé dans le marbre mais qui permet de limiter la casse tout en tenant compte de la contrainte budgétaire très tendue du moment. Avec infiniment moins de moyens que certains pays comme les États-Unis, la France dispose d'un outil militaire structurant qui lui permet d'intervenir aux quatre coins de la planète de façon plus ou moins autonome. Cela sera encore plus vrai quand l'armée de l'air sera équipée très prochainement des avions-ravitailleurs polyvalent A330 MRTT, qui remplaceront les Boeing KC 135 à bout de souffle et qui approchent les 50 ans d'âge.

Une filière industrielle performante à la merci de Bercy

Alors que de nombreux hommes politiques de droite comme de gauche clament et réclament avec insistance le renouveau d'une politique industrielle française, le gouvernement Valls est sur le point de casser l'une des rares réussites industrielles françaises, aujourd'hui sous la menace de nouvelles coupes budgétaires. Une filière qui se classe comme troisième secteur industriel en France. Ce n'est pas un hasard. Car la France a investi massivement dans son outil industriel "en prenant en compte l'impératif d'indépendance nationale en matière d'équipement des forces de défense", comme le rappelle la Cour des Comptes. C'est en outre un investissement qui rapporte à l'Etat avec un effet de levier loin d'être inintéressant : un euro investi dans la défense rapporte de 1,5 à 1,7 euro à l'Etat, explique un bon connaisseur des dossiers industriels de la défense à La Tribune. Sous quelle forme ? TVA, impôts, contributions au financement des organismes sociaux, emplois induits créés localement…

Parallèlement, un euro de valeur ajoutée chez les maîtres d'œuvre dans le secteur de l'aéronautique et du spatial génère 4,8 euros de valeur ajoutée dans l'économie, selon l'Insee. A titre de comparaison, cet effet multiplicateur n'est que de 4,1 dans l'automobile, de 2 dans la construction et de 1,5 dans les services et commerces. Cette filière industrielle relativement bien dispersée sur le territoire national, à l'exception du Nord et de l'Est, fait vivre environ 4.000 ETI et PME. Selon le conseil des industries de défense françaises (CIDEF), le chiffre d'affaires s'était élevé à 17,5 milliards d'euros en 2011. Et la France possédait sept entreprises dans les trente premiers groupes mondiaux de défense en termes de chiffre d'affaires dans le domaine de l'armement.

La bonne santé actuelle des industries de défense, qui sont pour la plupart des entreprises duales, devrait leur permettre de surmonter des coupes claires. Mais comme le rappelle un bon observateur de cette industrie, "si vous n'offrez pas une vision sur le long terme à ces industriels, comme tout bon industriel, ils arrêteront leur activité défense et la France perdra des compétences de haut niveau et des emplois, qui seront recyclés dans les activités civiles. En revanche, ces mêmes industriels peuvent poursuivre leur investissement si l'Etat leur précise que c'est simplement une période de transition". Enfin, casser l'outil industriel d'armement, c'est également dévaloriser les actifs de l'État actionnaire de plusieurs groupes, dont certains sont cotés en bourse. Au total, la Cour des comptes a estimé la valeur du portefeuille de l'État dans la défense à 12,25 milliards d'euros.

Des emplois « Made in France »

S'il y a bien des emplois non délocalisables, ce sont bien les emplois dans la défense. Du pur « Made in France ». L'industrie de défense revendique 165.000 emplois en France, dont un tiers chez les grands maîtres d'œuvre (EADS, Thales, Safran, Dassault Aviation, MBDA, Nexter et DCNS), le reste étant disséminé dans les ETI et les PME travaillant dans le domaine de l'armement. S'y ajoutent environ 8.000 emplois non marchands (CEA, CNES, Onera principalement). Le nombre d'emplois induits dans les commerces locaux, les services (santé, éducation, loisirs…) serait d'environ 130.000. Soit un coefficient multiplicateur compris entre 0,7 et 0,9 par rapport au nombre d'emplois du secteur de la défense. Ces emplois sont le plus souvent des emplois qualifiés. Soit environ 30 % d'ingénieurs et 50 % d'ouvriers qualifiés. Le rapport des effectifs qualifiés/non qualifiés est de 4 pour 1, contre 2 pour 1 dans l'ensemble du secteur de l'industrie. Enfin c'est une industrie qui favorise les approvisionnements nationaux. Ainsi, MBDA réalise plus de 80 % de ses achats en France.

C'est l'Ile-de-France qui regroupe une majorité d'emplois dans la défense. Soit un tiers des effectifs avec Thales, Safran, EADS et MBDA. Les façades maritimes française (Bretagne, Normandie et Méditerranée) concentrent les emplois dans le naval (DCNS notamment) tandis que les régions Sud-ouest (Dassault Aviation, EADS, Astrium, Thales) et Méditerranée (Eurocopter) dans l'aéronautique. Enfin, les régions Centre et Rhône-Alpes regroupent les emplois dans l'industrie terrestre (Thales, MBDA, Nexter, Panhard). C'est en Provence-Alpes-Côte d'Azur que le poids de la défense est le plus lourd, avec 20 % de l'activité industrielle. Ce ratio tombe à 12 % en Ile-de-France, 11 % en Bretagne, et 10 % dans la région Centre et en Bretagne.

Des exportations excédentaires

2,7 milliards d'excédent net pour un déficit de 74 milliards en 2011. C'est la contribution des groupes de défense à la balance commerciale française. "L'industrie de l'armement française a exporté pour 4 milliards d'euros de matériels militaires (livraisons, ndlr) et génère pour 2,7 milliards d'euros d'excédent net", avait annoncé en juillet 2012 le président du CIDEF, Christian Mons. Soit un taux de couverture de 290 % en 2011 (si le taux est inférieur à 100 %, la balance commerciale pour le secteur est déficitaire, s'il est supérieur, elle est positive) et une moyenne de 267 % sur la période 1990-2010, selon l'Insee. En moyenne, l'export représente entre 30 % et 40 % du chiffre d'affaires des industriels du secteur, qui ont toutefois besoin d'une commande nationale pour pouvoir exporter un matériel certifié par l'armée française.

Rafale, A400M, avions-ravitailleurs, Tigre, NH90, frégates multi-missions, canons Caesar… Les industriels français ont aujourd'hui à la disposition des produits matures sur le plan opérationnel, dont la plupart ont fait leur preuve (combat proven) en Afghanistan, puis en Libye et au Mali. Ce qui un plus dans les négociations. En termes de prises de commandes, les groupes de défense ont engrangé 6,5 milliards d'euros en 2011, près de 5 milliards en 2012 et 6,3 milliards en 2013.

Les principaux groupes français sont aujourd'hui engagés sur de grandes compétitions commerciales. C'est le cas de Dassault Aviation en négociations exclusives avec l'Inde pour la fourniture de 126 Rafale. L'avionneur est également en bonne place pour équiper les armées de l'air émiratie (60 appareils), qatarie (de 12 à 72), malaisienne (18). Au Qatar, l'ensemble des groupes français lorgnent sur respectivement plus de 20 milliards d'appels d'offre lancés par Doha. En Arabie saoudite, Thales attend un contrat de défense aérienne de plus de 2,5 milliards tandis que MBDA, qui devrait équiper le Rafale de ses missiles une fois exporté, est en attente d'une commande d'environ 1,8 milliard de Delhi pour le programme SRSAM.

Des technologies qui migrent vers le civil

L'effort de recherche dans l'industrie de défense finit toujours dans l'escarcelle de l'industrie civile. C'est vrai des commandes électriques du Falcon 7X, qui ont été développées pour le Rafale tout comme la technologie des missiles balistiques français a servi au développement de la famille de lanceurs civils Ariane. Plus grand public, les composants hyperfréquence à Arséniure de Gallium (AsGa) développés pour les radars, la guerre électronique et les communications militaires, sont utilisés intensivement depuis plus de 15 ans pour des applications civiles professionnelles et grand public (téléphone portable, télécommunication sans fil haut débit, réseaux) et les radars anti-collision des automobiles.

Il y a trois ans, la DGA a présenté son robot collaboratif Hercule, développé en partenariat avec la société RB3D. Ce robot est un exosquelette composé de deux jambes et d'une structure dorsale, destiné à augmenter les capacités de la personne qui le porte, grâce à la détection et à l'amplification des mouvements de son utilisateur. Pourquoi pas une application civile dans le domaine médical dans les prochaines années. D'une façon générale, le ministère de la Défense, qui a consacré 885 millions d'euros pour les études amont (PEA) en 2012, finance en moyenne depuis 2001, 15 % de la R&D publique, comprenant aussi l'enseignement supérieur. Il externalise la majorité de sa R&D auprès des entreprises. Ainsi, en 2009, les financements étatiques reçus par les entreprises à des fins de R&D civiles et militaires proviennent pour les deux tiers de la défense.