A380 : Airbus a-t-il eu raison trop tôt ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  841  mots
L'A380 a enregistré 318 commandes depuis son lancement en 2000.
Airbus tranchera rapidement sur l'arrêt de la production ou sur le lancement d'une nouvelle version plus grande et plus performante. Les prévisions de congestion aéroportuaire semblent valider la présence de ce type d'avions.

La production de l'A380 s'arrêtera-t-elle en 2018 ? Ou une version plus grande et équipée de nouveaux moteurs sera-t-elle lancée pour continuer l'aventure du plus grand appareil de l'histoire de l'aviation ? Ces deux scénarios ont été évoqués par la direction d'Airbus Group mercredi et jeudi au cours d'une réunion investisseurs à Londres. Sans nouvelles commandes en effet, Airbus n'aura plus grand chose à produire en 2018 au rythme actuel de la production. La question se serait posée beaucoup plus tôt si Emirates n'avait pas passé une nouvelle commande de 50 exemplaires peu avant Noël, l'an dernier.

Un faible niveau des ventes

Quatorze ans après son lancement commercial, l'A380 n'a enregistré que 318 prises de commandes, dont 140 proviennent d'un seul client, Emirates. A fin novembre, il restait 147 appareils sur dans le carnet de commandes en incluant des contrats pour le moins fragiles (Air Austral, Virgin Atlantic). Pour rappel, en 2000, l'avionneur estimait le marché des très gros porteurs à 1.200 exemplaires pour les 20 prochaines années.

Airbus Group sera confronté à une décision à court, moyen terme sur l'avenir de l'A380 sur la base d'aspects purement économiques, la priorité restant d'améliorer la dynamique commerciale du très gros porteur, a déclaré mercredi le président exécutif du groupe Tom Enders. Pour de nombreux observateurs, la décision devrait être tranchée en fin d'année 2015.

Agacement d'Emirates

Jeudi, au lendemain de déclarations du directeur financier d'Airbus Group, de Harald Wilhelm, évoquant l'hypothèse de l'abandon du gros porteur en raison de la faiblesse des ventes, Fabrice Brégier, le président exécutif d'Airbus a dit que qu'une version élargie et remotorisée de l'A380, serait lancée "un jour". Il n'empêche, la menace de l'arrêt du programme a provoqué l'agacement du président d'Emirates, qui achetait 40% des A380 vendus par Airbus et qui a placé cet appareil au coeur de sa stratégie avec le B777.

"Je ne suis pas particulièrement content comme vous pouvez l'imaginer", a dit Tim Clark à Reuters.

Selon lui, de tels propos "n'aideraient pas" Emirates à revendre ses A380 à l'avenir". Même sans d'ailleurs, puisque plusieurs professionnels estiment que le marché de l'occasion n'existe pas pour cette avion.

Emirates amortit ses avions au bout de 12 ans

Emirates amortit ses appareils sur 12 ans. Après, la compagnie revend ses avions. Ayant reçu ses premiers A380 en 2008, la compagnie de Dubai devra donc commencer à les renouveler en 2020. Emirates s'engage de passer de grosses commandes si Airbus lance un A380-900, la version améliorée de l'actuel A380-800. Tim Clark a souligné que si Airbus décidait d'améliorer son gros porteur avec de nouveaux réacteurs Rolls Royce, Emirates remplacerait l'intégralité de sa flotte d'A380 commandés à Airbus par la nouvelle version de l'appareil, susceptible de réduire la consommation de carburant de 12 à 15% d'ici à 2020.

Concurrence du B777

C'est pour cela qu'Airbus doit vite trancher, le temps de pouvoir développer les améliorations à l'avion. Reste à savoir quel est le marché pour un avion plus gros, au-delà d'Emirates. Par le passé plusieurs compagnies dont Air France-KLM, s'étaient prononcées en faveur d'un appareil plus gros, (qu'Airbus avait prévu dès l'origine du projet). Cet appareil pourrait avoir plusieurs vertus. D'une part il baisserait les coûts au siège des compagnies et récréerait un écart de capacité avec le B777, dont la version 9X prévue pour 2020, assombrit les perspectives de vente de la version actuelle de l'A380.

125 aéroports congestionnés en 2030

En outre, un A380 plus grand (avec 600-650 sièges environ dans une configuration triclasses, contre 525 aujourd'hui) et plus performant, pourrait permettre à Airbus de profiter de la saturation aéroportuaire qui se profile. Convaincu que le trafic aérien allait se concentrer sur les grands hubs, la perspective d'une congestion aéroportuaire avait justifié le lancement de l'A380 en 2000. Mais à une époque où ce phénomène n'avait pas l'ampleur qu'il risque d'avoir demain si des investissements ne sont pas faits de la part des aéroports. Selon l'association internationale du transport aérien (Iata), seuls six aéroports exploitent leurs capacités pistes à au moins 90%. Ils seront 63 en 2020 et 125 en 2030.

Jusqu'ici, les grosses routes long-courriers sur lesquelles il est préférable de remplacer deux vols assurés par des appareils de plus petite capacité par un vol opéré en A380 (pour réduire les coûts) ne sont pas aussi nombreuses qu'espérées. Sur les routes où les compagnies disposent d'une faible fréquence de vols, les compagnies ne sont pas forcément tentées de réduire le nombre de vols, qui leur confère un avantage commercial puisqu'il apporte un choix à la clientèle affaires.

Si demain, les aéroports sont saturés, le seul moyen de croître sur une ligne sera d'augmenter la taille des avions. Airbus a peut être eu raison trop tôt.

Lire ici : Deux fois plus de passagers d'ici 2030, comment fait-on?

Lire ici : la sous-capacité aéroportuaire, un mal européen