L'Europe met fin à la fabuleuse histoire du cargo spatial ATV

Par Michel Cabirol  |   |  1163  mots
Depuis 2008, les cinq vaisseaux-cargo auront acheminé au total près de 32 tonnes à bord de l'ISS : eau, nourriture, air, carburant, vêtements, mais aussi expériences et équipements destinés aux scientifiques.
Le cinquième et dernier cargo automatique européen ATV Georges Lemaitre s'est désarrimé samedi de la Station spatiale internationale (ISS). Il doit se désintégrer dimanche en rentrant dans l'atmosphère, au dessus du Pacifique sud.

C'est la fin d'un très grand programme spatial européen. Sous la maîtrise d'oeuvre d'Airbus Defence and Space, le cinquième et dernier cargo automatique européen ATV, qui a la taille d'un bus à impériale, s'est désarrimé samedi de la Station spatiale internationale (ISS), à laquelle il était accroché depuis six mois, à environ 400 km de la Terre, a annoncé l'Agence spatiale européenne (ESA). "Véritable emblème de la contribution européenne à l'exploitation de la Station, l'ATV Georges Lemaïtre, dédié à son ravitaillement et aux manœuvres de rehaussement d'orbite, a tiré sa révérence", a souligné le CNES dans un communiqué publié samedi.

Cette opération marque la fin du programme ATV (Automated Transfer Vehicle ou Véhicule de transfert automatique) lancé il y a vingt ans et qui a permis à l'Europe de prouver sa maîtrise de l'amarrage totalement automatique, une technologie de pointe. Cet ATV avait été lancé par Ariane 5 le 30 juillet 2014 et avait rejoint la station le 12 août suivant, contrôlé par les équipes du centre de contrôle ATV du Centre Spatial de Toulouse (CNES). Comme ses quatre prédécesseurs, l'ATV Georges Lemaître avait pour mission de ravitailler la Station en nourriture, eau et oxygène mais aussi en ergols, pièces de rechange et équipements scientifiques.

Le véhicule spatial le plus complexe jamais fabriqué

Une fois ses huit tonnes de cargaison transférées à l'intérieur de la Station, ce sont 2,5 tonnes de déchets - secs, liquides et matériels - qui ont été chargées à son bord, vouées à être brûlées lors de sa rentrée dans l'atmosphère. L'ATV Georges Lemaître doit se désintégrer dimanche en rentrant dans l'atmosphère, au dessus du Pacifique sud. "II est particulièrement émouvant de voir se terminer ainsi une telle aventure. L'ATV aura été au cours de toutes ces années, le symbole de l'excellence du spatial européen et son centre de contrôle au Centre Spatial de Toulouse, le véritable centre névralgique de cette épopée, puisque responsable des opérations depuis le lancement du premier ATV", a expliqué le président du CNES, Jean-Yves Le Gall.

Réputé pour sa fiabilité et sa précision, l'ATV est le véhicule spatial le plus volumineux et le plus complexe jamais fabriqué en Europe. Seul vaisseau-cargo doté d'un degré d'autonomie aussi élevé, l'ATV pouvait naviguer et s'arrimer à l'ISS sans aucune intervention humaine, et ce avec une précision telle qu'elle représente l'épaisseur d'une pièce d'un euro. Les ATV George Lemaître et Albert Einstein n'ont pas touché les bords de leur cible lors de rendez-vous à 28.000 km/h et 400 km d'altitude, soit 30 fois plus haut que l'altitude de croisière des avions de ligne. Le contact s'est effectué tellement en douceur que les astronautes à bord de l'ISS ne l'ont pas ressenti.

L'ATV a exécuté trois rehaussements d'orbite de l'ISS

Mais la mission de l'ATV ne s'est pas arrêtée au simple ravitaillement de l'ISS. Il a régulièrement relevé l'orbite de cette dernière, afin de compenser sa baisse d'altitude due à la trainée générée par la haute atmosphère. "Au total, les équipes du Centre Spatial de Toulouse, ont piloté cinq contrôles d'attitude, trois rehaussements d'orbite et deux manœuvres d'évitement de débris, une première dans l'histoire européenne du vol habité", a expliqué le CNES.

Décidé lors de la conférence européenne de Toulouse en 1995, le programme ATV a commencé le 9 mars 2008 avec le lancement du premier véhicule, Jules Verne. Il fait partie de la contribution européenne à l'exploitation de la Station et correspond au partage de ses coûts d'exploitation. En échange,les Européens peuvent faire voler des astronautes et conduire des expériences à son bord. En mars 2011, le programme a été limité à cinq exemplaires, un choix permettant d'envisager ensuite d'autres développements plutôt qu'une activité récurrente de production.

Un savoir-faire à pérenniser et à exploiter

Les enseignements tirés de la construction et de l'exploitation des ATV ont permis d'engranger un savoir-faire considérable. L'ESA et le CNES étudient d'ailleurs déjà des voies permettant d'exploiter cette expertise et ces technologies pour de futures applications spatiales. "La fin du programme ATV était prévue et le nombre de véhicules volontairement limité à cinq afin de laisser la place à d'autres programmes, toujours plus innovants, comme par exemple, Ariane 6", a expliqué Jean-Yves Le Gall.

"L'ATV-5 marque la fin d'une fabuleuse histoire débutée en 2008, celle du véhicule spatial le plus complexe jamais développé et construit en Europe. Cette technologie ne disparaîtra pas avec la désintégration de l'ATV Georges Lemaître, elle ouvre au contraire la voie à une multitude de nouveaux projets spatiaux", a confirmé le directeur général d'Airbus Space Systems, François Auque. Et de préciser que l'esprit de coopération, qui a prévalu pour le programme de l'ATV, et l'avance technologique de l'ATV "perdureront encore longtemps, notamment à travers le programme Orion, qui emmènera des astronautes en orbite terrestre et au-delà".

La capsule américaine Orion, qu'Airbus Defence and Space développe actuellement pour le compte de l'ESA. Ce module, essentiellement basé sur la technologie ATV, fournira propulsion et énergie au véhicule, ainsi que réserves en air et en eau pour les futures missions habitées. Par ailleurs, selon Airbus DS, le savoir-faire acquis dans le cadre du développement du système autonome d'approche et d'arrimage pourrait être réutilisé au profit de futurs satellites ou infrastructures orbitales, "afin de capturer des objets non coopératifs comme des débris spatiaux ou des astéroïdes". Cette technologie pourrait également être adaptée pour effectuer des atterrissages en sécurité et en totale autonomie sur d'autres planètes

Des records en tout genre

Les moteurs principaux du deuxième ATV Johannes Kepler - quatre propulseurs principaux et 28 micropropulseurs de freinage et de contrôle d'attitude - ont établi le record de la plus longue manœuvre de "reboost" de l'histoire de l'ISS, en rehaussant l'orbite de la Station de 40 km. Les ATV ont réalisé 40 manœuvres de ce type au total. Depuis 2008, les cinq vaisseaux-cargo auront acheminé au total près de 32 tonnes à bord de l'ISS : eau, nourriture, air, carburant, vêtements, mais aussi expériences et équipements destinés aux scientifiques.

Chaque ATV a également apporté des produits alimentaires particuliers aux membres d'équipage : du parmesan au tiramisu, en passant par les pâtes au fromage, pour satisfaire toutes les demandes des astronautes. D'une masse totale au décollage de plus de 20 tonnes, le véhicule a représenté en soi un véritable défi pour le lanceur européen Ariane 5. Avec ses 20,3 tonnes, l'ATV Georges Lemaître est la plus lourde charge utile jamais injectée en orbite par un lanceur Ariane.