Armement : les industriels français inquiets de l'absence de la France au Brésil

Par Michel Cabirol, à Rio de Janeiro  |   |  946  mots
Le Brésil va-t-il mettre les industriels français à la disette alors que la France a jusqu'ici largement ignoré le nouveau président des Brésiliens ? (Crédits : Reuters)
Après avoir réalisé de très belles opérations au Brésil (sous-marins, hélicoptères, satellite), la France s'est mise en retrait depuis l'élection de Jair Bolsonaro. Ce dont les industriels français très impliqués au Brésil s'inquiétent.

L'inquiétude grandit au sein des industriels français au Brésil. Et le récent échec de Naval Group, face à l'allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS), qui a remporté à la grande surprise des observateurs l'appel d'offres sur la vente de quatre corvettes, n'a évidemment pas remonté leur moral à LAAD, le salon de l'armement de Rio de Janeiro. Plus de trois mois après l'arrivée du nouveau président brésilien, Jair Bolsonaro, la relation bilatérale entre Paris et Brasilia ressemblent désespérément à un encéphalogramme plat.

Depuis l'élection de Jair Bolsonaro, les ministres français ont jusqu'ici soigneusement évité le Brésil. L'absence de la France au moment de la mise à l'eau du premier sous-marin Scorpène "Made in Brazil" en décembre dernier - un événement historique pour le Brésil - a été naturellement remarquée par les Brésiliens. A LAAD, le vice-président brésilien, le général Hamilton Mourao, a inauguré mardi le salon en compagnie du ministre de la Défense, le général Fernando Azevedo e Silva, en remerciant nommément les pays étrangers d'avoir envoyé des délégations. La France, qui n'a envoyé aucune délégation de haut niveau, n'a pas été bien sûr citée. La posture de Paris est en complète contradiction avec son choix d'il y a plus de dix ans de développer un partenariat stratégique avec le Brésil en renforçant la base industrielle technologique et de défense (BITD) brésilienne à travers de nombreux transferts de technologies (ToT).

Une visite de Jean-Yves Le Drian?

Cette attitude française peut d'ailleurs expliquer en partie l'échec de Naval Group au Brésil. "Il est compliqué de vendre des programmes d'armement à un pays étranger sans avoir des accords politiques au plus haut niveau", explique sobrement un industriel à La Tribune. "On ne peut pas obliger un politique a être sur la photo sur laquelle il ne veut pas être", regrette un autre. Le député LREM du Morbihan Gwendal Rouillard, en tournée à LAAD, est d'ailleurs reparti de Rio avec un carnet rempli de doléances. Sa présence pourrait augurer d'une visite du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian au Brésil dans les prochaines semaines, laisse-t-on entendre dans les couloirs du salon. Ce serait assurément enfin une bonne nouvelle dans le cadre des relations entre la France et le Brésil d'autant qu'il avait su décrocher quelques succès importants quand il était ministre de la Défense (vente d'un satellite de télécoms dual).

Il y a donc urgence à réactiver une relation normale entre la France et le Brésil, estiment dans leur ensemble les industriels français présents au Brésil. D'autant qu'ils ont "le sentiment que l'activité au Brésil semble repartir", analyse un industriel français à LAAD, qui semblaient satisfait de ses nombreux rendez-vous. Tant au niveau diplomatique qu'économiquement, "la France ne peut pas faire l'impasse sur le deuxième pays du continent américain... derrière les Etats-Unis", soupire un observateur. Il y a également urgence à renouer une relation de confiance entre les deux pays au regard des très importants ToT effectués par les industriels français au Brésil. Des programmes qu'il faudra entretenir, puis moderniser pour garder la confiance des Brésiliens : sous-marins (Naval Group), hélicoptères (Airbus) et satellite de télécoms (Thales). Ces ToT lient le Brésil à la France sur 40 ans. Ce qui pourrait mener la France et ses industriels vers de nouveaux succès au Brésil.

Des ToT que le Brésil devra également entretenir à l'avenir pour garder les compétences acquises par l'industrie brésilienne. Mais le choix de la marine brésilienne en faveur de TKMS ne va absolument pas dans cette direction. Naval Group aurait pu fabriquer les corvettes Gowind sur le chantier naval ultra-moderne d'Itaguaï, où sont construits les sous-marins brésiliens. Cela aurait permis de donner de la charge de travail aux salariés d'Itaguaï après la fin du programme Prosub.

Des enjeux commerciaux pour la France

Les prochains enjeux pour l'industrie française sont l'acquisition par le Brésil en 2020/début 2021 d'un deuxième satellite de télécoms dual supplémentaire, SGDC-2 (Thales Alenia Space et Airbus), du système d'artillerie de 155 millimètres Caesar (Nexter) et des équipements à bord des corvettes brésiliennes (sonar, radars, guerre électronique proposés par Thales). Enfin, quant à MBDA, le missilier attend patiemment que l'armée de l'air brésilienne achète le missile air-air longue portée Meteor, déjà sélectionné, pour armer les avions de combat Gripen (Saab), et que la marine signe le contrat d'acquisition du missile surface-air Sea Ceptor, lui aussi déjà choisi pour les corvettes Tamandaré.

Pour autant, les industriels français auront fort à faire face à la concurrence américaine et israélienne notamment. Une dizaine d'entreprises israéliennes était présente à LAAD cette année. Elles espèrent qu'un rapprochement entre Brésil, où elles sont déjà bien implantées, et Israël favorisera leurs affaires... au moment où le président Jair Bolsonaro achève une visite officielle de trois jours en Israël. "C'est un énorme marché pour nous, nous considérons le Brésil comme les Etats-Unis d'Amérique latine", explique l'une d'entre elles. Quant aux Etats-Unis, ils ont été identifiés comme leurs principaux concurrents par les constructeurs français de satellites. Aux autorités françaises de réagir... ou pas. Mais quoi qu'il arrive le plus grand pays d'Amérique latine dispose de nombreuses options.