Défense : coup de gueule de Dassault sur la préparation du futur

Par Michel Cabirol  |   |  966  mots
Le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier souhaite une montée en puissance de la préparation du futur dans la défense
Le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier estime que la préparation du futur est complètement délaissée, notamment par les armées. Il appelle à une mobilisation des industriels, des armées et de la DGA.

C'est un coup de gueule qui est passé inaperçu début juin. Un coup de gueule salutaire du président du comité défense du Conseil des industries de défense (CIDEF), Eric Trappier, également PDG de Dassault Aviation, qui juge que la préparation du futur dans la défense est actuellement complètement délaissée par le ministère de la Défense au profit du court terme, la loi de programmation militaire (LPM). Ce qui est, selon lui, "inquiétant" .

"Nos armées et l'ensemble de la profession de défense sont exclusivement mobilisés sur leurs tableurs Excel - c'est la LPM ! Je vois peu de penseurs préparer le futur, non que les militaires n'aient pas envie de s'y consacrer, mais leur préoccupation du jour est telle qu'elle en devient pour eux inhibante. C'est inquiétant", a-t-il expliqué début juin aux députés de la commission de la Défense.

Pour Eric Trappier, "un important travail de préparation reste à effectuer en même temps que les mentalités doivent changer, de façon à être capable de répondre à des questions comme celle de savoir, par exemple, si les avions de combat de demain devront aller dans l'espace". Pour lancer de nouveaux programmes, le PDG de Dassault Aviation préconise "de retrouver des méthodes de coopération pragmatique sur des besoins communs, qui permettraient, pourvu que les états-majors se soient consultés et aient élaboré des fiches-programmes ou des fiches de besoins opérationnels communs, de lancer des programmes européens".

Mobilisation des industriels, de la DGA et des états-majors

Pourquoi une telle inquiétude? Parce que pour Eric Trappier, il est important de préparer la guerre du futur à horizon 20 ans. "La DGA pense en termes de technologie mais quand on prépare l'avenir à vingt ans, on a besoin de confronter les savoir-faire technologiques, et il faudra bien discuter avec les états-majors pour savoir ce que sera la guerre de demain", estime-t-il. Il appelle donc à une "mobilisation des industriels, de la DGA et des états-majors". Notamment des armées. Elles doivent "s'intéresser au futur, quitte à détacher des personnels à cette fin. C'est fondamental si la France veut rester au bon niveau de développement des technologies et des produits".

Eric Trappier regrette par ailleurs que "la boucle entre état-major des armées, état-major de telle ou telle arme, DGA et industriels est un peu longue et la circulation lente, car on ne veut pas donner à ces derniers l'idée de lancer des programmes alors qu'il n'y a pas d'argent. Seulement, à suivre cette logique, on finit par ne plus rien lancer" au niveau national comme programme. Et ce en dépit du programme 144 du ministère de la Défense, "Environnement et prospective de la politique de défense", qui doit y contribuer.

Des retards dans les drones

Le PDG de Dassault Aviation rappelle que la France accuse "par exemple, du retard dans le domaine des drones dont la technologie a davantage été mise en valeur" par Israël et les États-Unis qui en ont très rapidement compris leur utilité. Pour Eric Trappier, "il faut donc rattraper notre retard en matière de drones de combat - c'est l'objet du démonstrateur Neuron mais il ne s'agit que d'un démonstrateur". Il constate une "première prise de conscience de ce que les technologies de demain peuvent apporter en matière de guerre aérienne".

C'est pour cela que Dassault Aviation et BAE Systems et d'autres industriels (Rolls Royce, Safran, Thales, Selex UK) sont en train de développer le programme franco-britannique FCAS-DP. Par ailleurs, la France, rappelle-t-il, se rapproche de l'Allemagne et de l'Italie pour ce qui est des drones de surveillance "afin de préparer, pour les années 2020, non pas un Reaper bis mais l'après-Reaper".

"Tâchons d'agir en ce sens au plan européen, à condition, de grâce ! Que cette Europe se montre pragmatique, contrairement à ce qu'elle fait aujourd'hui en annonçant des choses qu'elle ne fait pas - tout au moins en matière de défense. Que les États qui souhaitent coopérer élaborent une fiche programme commune, nous trouverons toujours les moyens, ensuite, nous industriels, de coopérer - même Dassault et Airbus le peuvent, c'est vous dire !

Dans le domaine de la patrouille militaire, le programme PATMAR 2030 "ne vise pas forcément à remplacer l'ATL2 mais à concevoir la patrouille maritime de demain". Et d'expliquer que la mission de surveillance peut "très certainement être accomplie par des drones qui tourneraient 24 heures sur 24" tandis que des avions d'armes interviendraient très rapidement pour traiter les menaces sous-marines ou de surface.

Pour un maintien de l'effort dans la R&T

Les industriels réaffirment "l'impérieuse nécessité du maintien de l'effort en matière de recherche et technologie (R&T), si l'on veut financer les programmes au-delà de 2019", souligne Eric Trappier. Et de rappeler que "la sanctuarisation du programme 144 (recherche amont, ndlr) est plus que jamais nécessaire".

"Les discussions en cours sur la création d'un éventuel dispositif de financement de la recherche de défense au niveau européen ne doivent pas faire oublier que nous sommes quasiment seuls en Europe à assumer un effort important en matière de défense. La remontée de l'effort budgétaire observée depuis 2014 chez certains de nos partenaires européens ne doit pas masquer le recul régulier des budgets d'investissement depuis près de dix ans. Il leur faudra des années avant de revenir à un niveau acceptable. Les sommes versées au fonds de la Commission européenne ne doivent pas être compensées par une baisse en France, sous peine d'avoir des soucis en matière de R&T".