Dossier STX : la France en cale sèche (1/3)

Par Michel Cabirol  |   |  1363  mots
Au-delà du marché de la croisière, le dossier de la vente de STX Saint-Nazaire revêt des enjeux de souveraineté nationale pour la France.
Que peut faire la France pour empêcher la vente de STX Saint-Nazaire à un groupe chinois? Pas grand chose. Car c'est un juge sud-coréen qui est à la manœuvre et qui vendra STX Offshore & Shipbuilding et sa filiale française au plus offrant.

La grenade STX Saint-Nazaire va très prochainement être dégoupillée par un juge sud-coréen le 4 novembre. Selon les termes d'un proche de cette opération, c'est le dossier "super merdique" par excellence, qui empoisonne depuis plusieurs semaines le gouvernement français et le groupe naval DCNS. Ce dernier fait notamment travailler le chantier de Saint-Nazaire sur les très grands navires de guerre comme les porte-hélicoptères de type Mistral, les porte-avions et les pétroliers-ravitailleurs.

Et ni la France, qui détient 33,34% de STX Saint-Nazaire, ni DCNS ne maîtrisent la gestion de ce dossier et encore moins son issue en dépit de rodomontades des uns et des autres. Le dossier va donc se jouer à la barre d'un tribunal, et non dans les coulisses diplomatiques.

"L'État a aujourd'hui la capacité de s'opposer à la prise de participation d'actionnaires qui nous paraîtraient mauvais pour la continuité économique et sociale", a jugé le ministre de l'Economie Michel Sapin en réponse à une question du député Jean-François Lamour (LR) à l'Assemblée nationale. "Nous veillerons à ce que quel que soit le repreneur, ce partenariat stratégique pour nous et pour la France puisse être respecté et pérennisé", avait pour sa part souligné le PDG de DCNS Hervé Guillou avant le salon Euronaval.

Un juge sud-coréen à la manœuvre

Celui qui va décider du sort de STX Saint-Nazaire et de sa maison-mère n'est autre qu'un juge sud-coréen, qui va organiser la vente du groupe STX Offshore & Shipbuilding au profit des créanciers. Le chantier naval sud-coréen a demandé en mai dernier son placement en redressement judiciaire. Bref, l'industriel qui va l'emporter sera celui qui mettra le plus d'argent sur la table du juge. Clairement, cette vente au enchères pourrait profiter à un groupe chinois ou à un rival de DCNS. Tout le monde en saura plus au premier round, ce jeudi, jour butoir de la remise des lettres d'intention des éventuels repreneurs.

STX Offshore & Shipbuilding a été mis en vente il a y deux semaines par la justice à Séoul en même temps que sa filiale française, les chantiers navals de Saint-Nazaire, avec possibilité d'acheter les deux sociétés séparément ou en bloc. Sur ordre du tribunal de commerce du district central de Séoul, l'appel d'offres public publié dans un journal local a invité les acheteurs potentiels à envoyer leurs lettres d'intention d'ici au 4 novembre.

"Les candidats peuvent faire une offre pour l'une ou l'autre des deux compagnies ou pour les deux à la fois", dit l'avis. Un porte-parole du tribunal avait fait part mardi de sa préférence pour une vente groupée.

Mais que va décider le juge, vente en bloc ou par appartement? On en saura certainement beaucoup plus le 11 novembre quand les banques créancières de STX Offshore & Shipbuilding, dont la banque publique Korea Development Bank, et d'autres créanciers vont se retrouver le 11 novembre pour donner leur feu vert au(x) projet(s) de reprise du chantier. En cas de rejet, STX risque la liquidation. STX Offshore & Shipbuilding se débat depuis des années avec des pertes croissantes provoquées par une gestion défaillante et une demande mondiale en berne. Les offres engageantes des repreneurs devraient être remise avant Noël.

STX Offshore & Shipbuilding, jadis le quatrième constructeur sud-coréen, est sous le contrôle de ses créanciers depuis 2013, dont la banque publique Korea Development Bank. Ceux-ci ont lâché plus de 4.000 milliards de wons (3,2 milliards d'euros) pour l'aider à faire face à ses échéances. Mais cela n'a pas suffi à remettre l'entreprise à flot et son endettement total atteignait 7.300 milliards de wons en juin dernier.

Quels enjeux pour le ministère de la Défense?

Au-delà du marché de la croisière, ce dossier revêt des enjeux de souveraineté nationale. Car le repreneur qui met la main sur STX Saint-Nazaire dispose de capacités à fabriquer des très grands navires de guerre. Ce que ne fait plus DCNS depuis 2008, année où sous l'égide de l'État et du ministère de la Défense, STX et DCNS ont conclu "une paix des braves", déjà renouvelée une fois par les deux groupes, après une concurrence effrénée pendant des années pour la construction des très grands bateaux militaires français (porte-hélicoptères Mistral, porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle). Pourquoi? Parce que le ministère de la Défense n'avait plus les moyens de conserver deux chantiers de cette taille et d'en entretenir les compétences.

Parallèlement à la fermeture du bassin numéro 9 de Brest, où le Charles-de-Gaulle a été construit, le gouvernement a confié à STX, selon l'accord signé par les deux groupes, la construction des très grands bâtiments de guerre à l'image des BPC de la Marine nationale et ceux finalement revendus à l'Egypte. En contrepartie, le chantier de Saint-Nazaire doit mettre à la disposition de DCNS les moyens, les équipes et les compétences pour la construction de ces navires. Ce pourrait être le cas pour le successeur de l'actuel porte-avions nucléaire (PAN) ou la construction d'un second PAN, d'un contrat export portant sur un Bâtiment de projection et de commandement (BPC de type Mistral) ou, enfin, pour le lancement du programme de ravitailleurs-pétroliers militaires français attendu depuis plusieurs années.

En tous cas, pas question de rouvrir un bassin de cette envergure à Brest. "Ce serait prohibitif pour la France", estime-t-on. Notamment en termes d'achat d'équipements. En outre, DCNS a perdu les compétences pour ce type de navire. Enfin, STX est le seul chantier à fabriquer des panneaux plans avec des flux relativement constants sur de très longues années. "D'où l'importance de conserver cet outil stratégique en vie et d'en maintenir l'accès pour DCNS", explique-t-on à La Tribune.

Que peut faire la France?

Face aux craintes de voir tomber un fleuron français dans l'escarcelle d'un repreneur inquiétant, la France ne peut rien faire pour le moment. Elle ne peut pas influer sur la décision du juge sud-coréen, qui choisira l'offre la plus-disante sur le plan financier. En revanche, elle peut faire pression sur les repreneurs, ou en tout cas essayer de faire pression. Ainsi le ministre français de l'Economie Michel Sapin avait assuré il y a deux semaines que Paris disposait de deux armes pour "faire prévaloir les intérêts de la France" en tant qu'actionnaire.

Mais le pacte d'actionnaires conclu entre Paris et le norvégien Aker, puis reconduit avec STX Offshore & Shipbuilding, ne semble pas de nature à effrayer et encore moins à contrecarrer les plans du repreneur de STX Saint-Nazaire. Il porterait, selon nos informations, uniquement sur des droits sociaux. "Ce n'est pas un pacte fort", explique-t-on à La Tribune, à l'exception du droit de préemption si l'actionnaire majoritaire vend tout ou partie de sa participation dans sa filiale.

La deuxième arme semble un peu plus dissuasive. Il s'agit du décret dit Alstom, adopté au printemps 2014 à l'initiative de l'ex-ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg, qui permet au gouvernement d'interdire la vente d'une entreprise française à un groupe étranger quand les intérêts stratégiques du pays sont menacés. "Nous avons la capacité de défendre les intérêts stratégiques de la France en nous opposant, en refusant qu'un actionnaire qui risquerait de mettre en cause notre indépendance devienne propriétaire d'un grand chantier comme celui-ci", a prévenu Michel Sapin, dans une allusion implicite au décret.

Enfin, le gouvernement français avait déjà fait savoir qu'il n'envisageait pas de nationaliser Saint-Nazaire pour faire barrage à certains acquéreurs, notamment chinois, mais qu'il veillerait à ce que soit retenu un repreneur soucieux des intérêts français. STX France compte 2.600 salariés et fait travailler environ 5.000 sous-traitants. En outre, le chantier dispose d'un carnet de commandes très bien rempli, avec 14 paquebots de croisière à construire d'ici 2026 pour deux clients importants, l'italo-suisse MSC Croisières et l'américain Royal Caribbean.

>> Lire : Pourquoi DCNS ne peut pas se désintéresser de STX (2/3)