Dossier STX : un savoir-faire rare qui aiguise beaucoup les appétits (3/3)

Par Michel Cabirol  |   |  1268  mots
Si les Chinois veulent devenir un acteur important de la construction de bateaux de croisière, le chantier de Saint-Nazaire est la cible rêvée
STX Saint-Nazaire aiguise les appétits. Notamment de deux groupes chinois, China State Shipbuilding Corporation (CSSC) et Genting Hong Kong, les favoris. Les chantiers navals européens Damen (Pays-Bas) et Fincantieri (Italie) se montrent également intéressés.

Du chantier naval STX Offshore & Shipbuilding en pleine déconfiture, les éventuels repreneurs ne regardent ou presque que sa filiale STX Saint-Nazaire, le fleuron du géant sud-coréen. Quatre groupes se montrent déjà très intéressés par le savoir-faire rare du chantier français, deux chinois - China State Shipbuilding Corporation (CSSC) et Genting Hong Kong - ainsi que deux européens, Damen (Pays-Bas) et Fincantieri (Italie). Des fonds d'investissement pourraient également se mettre sur les rangs. Il est effectivement très tentant pour un fonds d'investissement de valoriser son actif en vendant le chantier sud-coréen par appartement. Ainsi, Star Capital a cédé fin septembre le chantier hambourgeois Blohm+Voss acheté en 2011 au groupe familial Lürssen en effectuant une très belle plus-value.

Toutefois, les deux chantiers chinois semblent les favoris d'une mise aux enchères. Pourquoi CSSC et Genting le sont-ils ? Pour deux bonnes raisons. Le dossier va se jouer à la barre d'un tribunal. Et celui qui va décider du sort de STX Saint-Nazaire et de sa maison-mère est un juge sud-coréen. Il organise la vente de STX Offshore & Shipbuilding au profit des créanciers du chantier sud-coréen et prendra donc l'offre financière la plus avantageuse. A ce jeu, les deux groupes chinois, qui n'ont de compte à rendre à personne, et surtout pas à des actionnaires sourcilleux, ont une longueur d'avance sur les deux européens.

Un savoir-faire rare qui intéresse les Chinois

Pour les deux groupes chinois, la reprise de STX à la barre du tribunal sud-coréen est "une opportunité inouïe" de mettre la main sur Saint-Nazaire, estime un observateur du dossier STX. Il leur permettrait de jouer dans la cour des grands dans le domaine de la construction des très grands bateaux de croisière au moment où les japonais ont jeté l'éponge à l'image de Mitsubishi Heavy et les sud-coréens s'y sont cassés les dents. Et ce d'autant que les Chinois ne maîtrisent pas totalement encore aujourd'hui cette industrie si particulière. Du coup, ils sont prêts à y mettre le prix pour s'offrir Saint-Nazaire. Quitte même à racheter STX Offshore & Shipbuilding.

"Avec Saint-Nazaire, ils mettraient ainsi la main sur la dernière clé du marché de la croisière, souligne le même observateur. C'est-à-dire gérer plusieurs centaines de corps de métier tout en assemblant pendant 18 mois un bateau d'un milliard d'euros et le livrer opérationnel le jour J".

Les deux groupes chinois poursuivent semble-t-il la même stratégie : se positionner sur les bateaux à forte valeur ajoutée. CSSC, l'un des deux principaux conglomérats publics chinois de la construction navale qui a réalisé en 2015 un chiffre d'affaires d'environ 4 milliards d'euros, a longtemps fait les yeux doux à Fincantieri. Mais l'italien, qui n'est pas tombé dans le panneau, a souhaité protéger son savoir-faire face à un éventuel pillage. Au final, les deux groupes n'ont signé qu'un accord de partenariat, une coopération beaucoup moins ambitieuse que prévue.

De son côté, Genting, un groupe malaisien basé à Hong Kong, est entré en force dans le marché de la croisière en rachetant coup sur coup quatre chantiers navals allemands. En s'installant dans le jardin de Meyer Werft, l'un des grands acteurs mondiaux de ce marché, il va tenter de séduire et d'attirer tout ou partie du réseau de fournisseurs du chantier allemand, la clé de cette industrie pour livrer des bateaux luxueux irréprochables à l'heure, estiment certains observateurs.

Vers un cauchemar pour Saint-Nazaire et DCNS?

Les deux groupes chinois ont d'ailleurs en Chine un énorme marché de la croisière en devenir. Car il existe déjà une classe moyenne de 450 millions de Chinois qui souhaitent profiter de plus en plus de leurs vacances. Et comme il existe assez peu d'infrastructures de tourisme en Chine, la croisière pourrait être un véritable eldorado pour les deux groupes. Car ces bateaux de croisière transformés en casino flottant ne pourront que séduire les Chinois, habituellement très, très joueurs...

Pour Saint-Nazaire et DCNS, la reprise de STX par un des deux chinois pourrait être un cauchemar à termes. "Il y a un danger", explique-t-on à La Tribune. Car les Chinois pourraient laisser péricliter le chantier français après avoir transféré l'essentiel de ses savoir-faire et compétences. Pour DCNS, l'accès du chantier pourrait être limité, voire impossible. L'explosion du marché de la croisière en Chine pourrait saturer les capacités industrielles de Saint-Nazaire. Seul bémol pour les groupes chinois, les relations sino-coréennes restent compliquées en raison de l'histoire mouvementée entre les deux pays (guerre de Corée en 1950-1953) et des liens entre Pékin et Pyongyang. Est-ce que cela peut influencer le juge sud-coréen ? A voir.

Damen en embuscade

Chantier familial et spécialiste de la réparation navale, le chantier néerlandais Damen (2,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2015) travaillerait sur une offre pour la reprise de Saint-Nazaire. Damen, qui a déjà acheté en 2012 deux petits chantiers navals en France  - Sobrena à Brest et Arno à Dunkerque -, serait accompagné de deux de ses clients, deux des plus grands croisiéristes mondiaux, le groupe italo-suisse MSC Croisières et l'américain Royal Caribbean Cruises. Une offre qui séduit beaucoup les élus locaux et les syndicats de Saint-Nazaire. Pourtant l'image de Damen reste contrastée, le néerlandais faisant appel à beaucoup de main d'oeuvre roumaine, voire ukrainienne, en France.

En outre, Damen en nette perte de vitesse ces dernières années (4% de marge en 2014 contre 10% en 2010) ne pourra pas augmenter sa marge opérationnelle très facilement en rachetant Saint-Nazaire. Deux des principaux clients du chantier français seront également ses actionnaires, qui connaissent sur le bout des doigts le marché et ses prix. Les marges de la construction des bateaux de croisière sont effectivement faibles (autour de 2%). Enfin, Damen, qui n'est pas réputé pour avoir beaucoup de cash, va entrer dans un métier où il en faut énormément. Car un chantier naval ne reçoit qu'un acompte de 15% de la valeur du bateau à la signature du contrat, le reste à la livraison. Il n'y pas de lissage de cash lié à l'avancement du bateau.

Fincantieri également

Enfin, le chantier naval italien Fincantieri, qui a affiché 4,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires environ en 2015 (dont deux milliards générés par les bateaux de croisière) reste très intéressé par STX Saint-Nazaire. Car il rêve d'égaler Meyer Werft, qui construit des très grands bateaux de 700.000 tonnes grâce au chantier de Turku en Finlande racheté à STX en 2014. Ce qui n'est pas le cas de Fincantieri. Mais avec le chantier français, l'italien y parviendrait.

La reprise de STX Saint-Nazaire par Fincantieri inquiéterait en revanche les croisiéristes, qui ne verraient pas d'un bon œil la concentration de ce secteur. Car jusqu'ici c'est eux qui maîtrisaient les prix des navires. Mais face à un duopole - Fincantieri et Meyer Werft - dans la construction des très grands bateaux de croisière, ils ne pourraient plus peser autant sur les prix. D'où vraisemblablement l'intérêt de ces deux croisiéristes - MSC Croisières et Royal Caribbean Cruises - de soutenir Damen dans la mise aux enchères. Enfin, si Fincantieri mettait la main sur Saint-Nazaire, DCNS serait lui aussi inquiet de voir un chantier qui réalise 33% du chiffre d'affaires de Fincantieri dans le militaire, fabriquer des navires de guerre à partir de la France.