Exportation d'armements vers Ryad : le diktat de Berlin roule dans la farine Londres et Paris

Par Michel Cabirol  |   |  865  mots
Selon Berlin, les industriels européens ont le droit de produire des systèmes d'armes ayant des composants allemands mais pas de les livrer à destination de l'Arabie Saoudite ni des Emirats Arabes Unis (Crédits : Hannibal Hanschke)
L'Allemagne prolonge son embargo des ventes d'armes à destination de l'Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis. Elle impose à ses alliés sa politique.

Verboten ! L'Allemagne impose à l'ensemble de ses alliés européens, notamment la France et la Grande-Bretagne, un veto sur les exportations en direction de l'Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis, un pays qui est ni plus ni moins le partenaire stratégique de Paris dans le Golfe. Dans un texte communiqué jeudi soir, la Chancellerie allemande a expliqué très hypocritement que les programmes communautaires dont la licence a expiré, et les autorisations collectives d'exportation liées à l'Arabie saoudite et aux Emirats Arabes Unis seront prolongés de neuf mois jusqu'au 31 décembre 2019. Mais sous réserve que des discussions aient lieu avec les partenaires au cours de cette période.

De quoi il retourne ? Les industriels européens, qui souhaitent obtenir des autorisations d'exportation vers Ryad et Abu Dhabi, devront veiller à ce que les armements produits conjointement avec l'industrie allemande ne soient pas utilisés pour la guerre au Yémen. En outre, Berlin impose aux industriels européens de ne livrer au cours de l'embargo aucun équipement militaire d'armement final à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Autant dire que rien ne change par rapport aux six derniers mois.

Ainsi, l'avion de combat européen (BAE Systems, Airbus et Leonardo) ne pourra pas être exporté vers l'Arabie Saoudite. Tout comme le missile air-air Meteor de MBDA, qui devait l'équiper. A moins que les industriels ne se lancent vers des produits estampillés "German Free". Ce qui ne sera pas possible pour tous les industriels, dont MBDA. Ce qui fait dire à un observateur de l'industrie de l'armement furieux, "l'Allemagne n'est pas fiable, ment et impose un rapport de force avec ses partenaires européens". Il est vrai que l'Allemagne impose sa politique à ses partenaires européens. Mardi, l'ambassadrice de France en Allemagne, Anne-Marie Descôtes, avait critiqué le caractère "imprévisible" de la politique allemande d'exportations d'armes.

"La politisation croissante du débat allemand sur les exportations d'armements (...) fait peser un risque sur la coopération de défense européenne en cours et à venir", avait averti Anne-Marie Descôtes dans un article publié mardi par l'Académie fédérale allemande pour la politique en matière de sécurité (BAKS).

L'Europe au secours de l'industrie allemande ?

S'agissant de l'industrie allemande, le gel des livraisons et des exportations d'armes en direction de l'Arabie Saoudite sera prolongé pour une période six mois, jusqu'au 30 septembre prochain. Le texte n'évoque pas les EAU. Durant cette période, aucune nouvelle demande ne sera validée, a insisté la Chancellerie. Ce qui va très fortement pénaliser l'industrie allemande d'armement, y compris son industrie naval jusqu'ici épargnée par Angela Merkel. Ce ne sera pas le cas cette fois-ci.

Toutefois, le gouvernement fédéral a précisé qu'il va trouver une solution aux  dommages encourus par l'embargo allemand pour les 146 patrouilleurs qui devaient être construits et livrés par le chantier naval de Brême, Lürssen, à l'Arabie Saoudite pour un montant de 1,4 milliard d'euros. Lürssen pourrait être indemnisé à hauteur du tiers du contrat (autour de 500 millions d'euros). Berlin prévoit des livraison aux douanes et à la marine allemandes. Jusque là rien d'anormal.

Mais là où Berlin se moque vraiment de ses partenaires européens, c'est qu'elle envisage de fournir les patrouilleurs non livrés à l'Arabie Saoudite à l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), qui est chargée pour le compte de l'Union européenne de contrôler et de gérer les frontières extérieures de l'espace Schengen. L'Allemagne souhaite que de l'argent européen serve à dédommager un industriel germanique touché par une décision du gouvernement fédéral. Incroyable...

Le SPD grand vainqueur

Diminué lors des dernières élections, le SPD sort pourtant comme le grand vainqueur des négociations ans le cadre de la coalition sur ce dossier sur le gel des ventes d'armes en dehors de l'Union européenne et des pays de l'OTAN. Angela Merkel a même cédé pour l'industrie navale, dont un chantier est dans sa circonscription. Avec sa législation, Berlin peut refuser de vendre aux pays extérieurs à l'Union européenne et à l'Otan des armes contenant des pièces fabriquées en Allemagne. Alors qu'un compromis pouvait être trouvé entre la CDU et le SPD, ce dernier a pesé pour obtenir une décision radicale. Il était pourtant question d'imposer un embargo à tous les systèmes d'armes européens ayant entre 20% (SPD) et 50% (CDU) d'équipements allemands.

Cela fait plusieurs semaines que les partis au pouvoir en Allemagne sont en désaccord sur le gel de ventes d'armes. Les conservateurs de la CDU d'Angela Merkel militaient pour une levée du moratoire quand les sociaux-démocrates du SPD martelaient qu'ils ne voulaient pas que le pays vende des armes dans des zones de crise ou à des dictatures. Cette question a aussi envenimé ces derniers mois les relations entre Berlin, Paris et Londres, Français et Britanniques faisant pression pour une levée du moratoire. Londres et Paris ont roulé dans la farine... Quelles décisions vont-ils prendre en rétorsion à,la décision allemande ? Ou vont-ils se laisser dicter leur politique par Berlin?