Hélicoptères Caracal : les six gros mensonges de Varsovie

Par Michel Cabirol  |   |  1917  mots
"Nous n'avons jamais été traités comme ça par un gouvernement client comme nous l'avons été par ce gouvernement", a affirmé le boss d'Airbus Group Tom Enders.
Le géant de l'aéronautique et de la défense contre-attaque. Ni le boss d'Airbus Group Tom Enders, ni le PDG de la filiale hélicoptériste Guillaume Faury n'acceptent la décision de la Pologne clouée au pilori.

Airbus contre-attaque. Dans une lettre ouverte à la Première ministre polonaise Beata Szydlo, le PDG d'Airbus Helicopters Guillaume Faury confirme bien la thèse selon laquelle l'actuel gouvernement ne voulait absolument pas des Caracal, pourtant sélectionnés par la précédente majorité. L'offre industrielle et financière dévoilée dans cette lettre ouverte par l'hélicoptériste européen était bien une offre que la Pologne ne pouvait pas refuser ou alors pour des raisons obscures, voire inavouables. Une lettre qui servira également à démentir les déclarations des ministres du Développement Mateusz Morawiecki et de la Défense Antoni Macierewicz, qui rejetaient la rupture des négociations sur Airbus Helicopters.

"À la lumière des récentes déclarations concernant l'appel d'offres portant sur l'hélicoptère multi-rôle en Pologne, Airbus Helicopters ressent le besoin de démentir un certain nombre d'allégations trompeuses rapportées dans les médias (polonais, ndlr). Il est de notre conviction que les citoyens polonais et les forces armées polonaises méritent une pleine transparence sur le processus de l'appel d'offres dans lequel Airbus Helicopters et Airbus Group ont été entièrement engagés au cours des quatre dernières années", écrit Guillaume Faury.

Dans la foulée de la publication de ce courrier de Guillaume Faury, le patron d'Airbus Group Tom Enders s'en est pris violemment mardi au gouvernement conservateur polonais qui a rompu les négociations exclusives engagées par l'équipe centriste précédente, affirmant qu'Airbus "n'a jamais été traité comme ça". Un gouvernement qui n'hésite pas à travestir grossièrement la vérité.

"Nous n'avons jamais été traités comme ça par un gouvernement client comme nous l'avons été par ce gouvernement", a-t-il expliqué dans une déclaration obtenue par l'AFP. "Nous allons demander réparation", a-t-il ajouté en indiquant avoir "l'impression d'avoir été menés en bateau pendant des mois par l'actuel gouvernement polonais."

C'est Varsovie qui a rompu les négociations

Pour Airbus Helicopters, c'est bien Varsovie, et plus précisément le ministère polonais du Développement, qui a pris la décision de rompre les négociations exclusives. "La décision de rompre le processus de négociation sur les offset (compensations industrielles, ndlr) a été prise unilatéralement le 4 octobre par le ministère polonais du Développement. Le ministère a déclaré que cette décision avait été prise parce que la prétendue proposition d'Airbus Helicopters sur les offset ne satisfaisait pas les intérêts essentiels de la sécurité de la Pologne". Premier gros mensonge de Varsovie...

"La Pologne considère comme terminées les négociations de l'accord offset avec Airbus Helicopters, relatives à l'achat des hélicoptères multirôle Caracal pour l'armée polonaise", avait pourtant précisé officiellement le communiqué du ministère du Développement daté du 4 octobre.

Jusqu'au bout Airbus Helicopters a négocié de bonne foi

Airbus Helicopters réfute "fermement" certaines allégations rapportées dans les médias à la suite de déclarations de responsables politiques polonais selon lesquelles il s'est engagé dans ces négociations "de mauvaise foi". Le constructeur de Marignane apporte même la preuve de sa bonne foi. Dans son courrier, Guillaume Faury révèle que "le 30 septembre, quatre jours avant la décision du ministère du Développement, Airbus Helicopters a accepté de prolonger la validité de son offre à la demande du ministère de la Défense jusqu'au 30 novembre".

En outre, écrit-il, "dans une lettre en date du 3 octobre, Airbus Helicopters a proposé de nouvelles concessions afin de parvenir à un accord dans le meilleur intérêt des deux parties". Le constructeur de Marignane s'est battu contre vents et marées pour obtenir ce contrat. D'autant que son offre était clairement favorable à la Pologne. Certainement beaucoup trop. Deuxième gros mensonge de Varsovie...

Une offre (trop) incroyable

C'est la goutte qui a fait déborder le vase aussi bien au sein des officiels français que chez Airbus quand la Pologne a affirmé que l'offre française sur les offset se limitait à "un simple magasin de peinture". Dans son offre, Airbus Helicopters souhaitait créer en Pologne avec la société polonaise WZL1 "la première chaine d'assemblage d'hélicoptères appartenant à l'État" polonais, qui aurait "eu une participation de 90%". Dans ce cadre, le constructeur allait dupliquer carrément "une ligne d'assemblage H225M Caracal" telle qu'elle existe en France à Marignane. Troisième gros mensonge de Varsovie.

"Cela aurait permis la production d'hélicoptères (Caracal, ndlr) aussi bien pour les marchés intérieurs (minimum 50 Caracal, ndlr) et à l'exportation, ainsi qu'un potentiel de croissance pour produire d'autres types d'hélicoptères à l'avenir, a expliqué Guillaume Faury. Notre offre comprenais un engagement ferme à livrer des hélicoptères fabriqués par WZL1 sur les marchés à l'exportation".

Outre la chaine d'assemblage complète de Caracal à Lodz, Airbus Helicopters avait l'intention d'installer dans le cadre de nouvelles demandes de Varsovie une nouvelle usine. Elle aurait été dédiée à la fabrication de rotors et de pièces complexes dans le système de transmission pour toute la gamme d'hélicoptères existants et futur du constructeur. Cet investissement initial s'élevait à près de 90 millions d'euros (370 millions de zlotys). Enfin, l'entretien et la réparation des hélicoptères étaient assurés par les entreprises polonaises ainsi que la modernisation des capacités du Caracal.

En outre, sur 10 ans, ce projet aurait généré un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros (1,7 milliard de zlotys) et plus de 47 millions d'euros de chiffre d'affaires (200 millions de zlotys) par an au-delà de la période de dix ans. "Ce projet exceptionnel dans le cadre des offset a été rejetée par le ministère du Développement", a regretté le PDG d'Airbus Helicopters. Au global, l'offre d'Airbus Helicopters aurait fourni à la Pologne au moins 30 ans d'activités pour les entreprises d'État polonaises à travers de multiples projets industriels.

Le jackpot raté... de la Pologne

"L'interlocuteur n'a pas présenté de proposition offset répondant à l'intérêt économique et la sécurité de l'État polonais", avait expliqué le communiqué du ministère du Développement. Pourtant, Airbus Helicopters revendique dans son courrier avoir présenté à la Pologne une offre globale qui répond aux intérêts de la Pologne et à sa sécurité, conformément à la réglementation européenne des offset. Et même bien au-delà. Quatrième gros mensonge de Varsovie....

"Notre offre d'offset aurait généré plus de valeurs en Pologne que les revenus générés par le contrat lui-même de fourniture des hélicoptères pour Airbus Helicopters", a d'ailleurs jugé Guillaume Faury.

Sur le plan économique, Airbus Group avait l'intention de créer 6.000 emplois en Pologne, dont 3.800 avec le projet d'Airbus Helicopters. Des emplois directs créés principalement à Lodz, Radom et Deblin (1.250 emplois) avec les chaines d'assemblage. En termes de valeur, les offset proposés étaient supérieurs à la valeur nette du contrat de fourniture des 50 Caracal (2,5 milliards d'euros hors TVA, ou 10,8 milliards de zlotys). Soit le chiffre d'affaires réel pour Airbus Helicopters.

Mais le ministère du Développement a demandé au constructeur de compenser 100% du  montant du contrat (2,5 milliards d'euros) et également de compenser le montant de la TVA polonaise. Soit 23% supplémentaires. Ce qui a conduit Airbus Helicopters à proposer des offset dont montant équivalent à 3,13 milliards d'euros (13,4 milliards de zlotys). Du jamais vu dans les négociations internationales...

Souveraineté renforcée de l'État polonais

Airbus Helicopters s'était engagé également à "préserver les intérêts essentiels de la sécurité de l'État polonais". Le constructeur et ses 28 partenaires majeurs internationaux prévoyaient "entre autres 45 transferts de technologies répondant aux exigences spécifiées par le ministère de la Défense et le ministère du Développement dans le cadre de l'appel d'offres en vue de préserver les intérêts de sécurité stratégiques essentiels de l'État polonais". En outre, la France avait autorisé le transfert des codes sources, des licences ainsi que les droits accordés pour moderniser les hélicoptères et leurs systèmes. Cinquième gros mensonge de Varsovie...

Cette offre, si la Pologne l'avait saisie, "aurait transformé" l'entreprise WZL1 appartenant à l'État polonais en un centre industriel de classe mondiale dans le domaine de l'hélicoptère allant de l'assemblage de la gamme d'Airbus Helicopters, jusqu'à la maintenance, la révision et la modernisation des Caracal en passant par la production de systèmes. En outre, ce centre devait répondre aux besoins de la Pologne et des marchés à l'international. Aujourd'hui, WZL1, qui appartient au groupe public PGZ, assure le maintien de hélicoptères russes d'ancienne génération.

Enfin, compte tenu du temps nécessaire pour opérer les transfert de technologies en Pologne, Airbus Helicopters avait prévu d'assembler en France une première tranche d'hélicoptères mais par des ouvriers polonais de WZL1. "Cela aurait assuré le transfert des compétences, le savoir-faire et de la technologie vers la Pologne", a estimé Guillaume Faury. Cette mesure était nécessaire dans le but de répondre "aux besoins opérationnels urgents des forces armées polonaises" et spécifiés dans l'appel d'offres.

Où est la préservation de la souveraineté polonaise dans l'achat des Black Hawk?

Le gouvernement polonais a annoncé mardi l'achat d'au moins 21 hélicoptères américains Black Hawk. La Pologne va prendre livraison cette année de deux hélicoptères Black Hawk assemblés dans le pays par Sikorsky Aircraft Corporation, filiale de l'américain Lockheed Martin, et huit autres suivront en 2017, a annoncé mardi le ministre polonais de la Défense, Antoni Macierewicz. Sikorsky a une usine à Mielec, dans le sud-est de la Pologne.

"Nous avons décidé qu'il y aurait déjà cette année la livraison d'au moins deux hélicoptères de Mielec et de huit autres l'an prochain", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse.

Cette déclaration précise intervient à peine 24 heures après l'annonce par Antoni Macierewicz lundi qu'il allait "ouvrir dès cette semaine" des entretiens sur cette transaction. Elle laisse penser que des contacts avec Lockheed Martin ont été noués avant même l'abandon officiel des pourparlers avec Airbus annoncé par Varsovie le 4 octobre. Varsovie avait un plan. Un plan précis pour faire de la place à Lockheed Martin. Sixième gros mensonge (par omission) de Varsovie...

"Il n'y a pas de fabricants d'hélicoptères appartenant à l'État en Pologne, a d'ailleurs rappelé Guillaume Faury dans son courrier. Toutes les usines sont entièrement détenues par des grands groupes internationaux tels que l'italien Leonardo (ex-AgustaWestland) et l'américain Lockhhed Martin, a-t-il précisé. PZL Swidnik est une société de Leonardo, tandis que PZL Mielec appartient à Lockheed Martin. Ce qui est une approche industrielle très différente de celle d'Airbus Helicopters, qui confiait la fabrication du Caracal à une entreprise d'État polonaise (90% du capital).

En outre, il rappelle que ses deux concurrents n'ont pas remis d'offres conformes à l'appel d'offres "Malgré toute la communication effectuée par Sikorsky / Lockheed Martin et Leonardo depuis la sélection des Caracal, Airbus Helicopters reste la seule entreprise ayant fait l'effort de se conformer pleinement aux exigences du ministère de la Défense et du Développement" dans le cadre de l'appel d'offres, a-t-il estimé.