Hélicoptères Caracal : quand la Pologne fâche tout rouge la France

Par Michel Cabirol  |   |  1536  mots
Invité par son homologue polonais Antoni Macierewicz lundi à Varsovie, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a annulé sa visite en Pologne
François Hollande reporte sine die sa visite à Varsovie prévue le 13 octobre après la rupture des négociations sur un contrat d'achat d'hélicoptères multirôle Caracal d'Airbus Helicopters.

Piquée au vif par la Pologne, la France est fâchée. Vraiment très fâchée. Pourquoi ? Varsovie s'est comportée de manière très grossière et de mauvaise foi à l'égard de Paris qui soutenait la vente de 50 hélicoptères de transport Caracal fabriqués par Airbus Helicopters. "Une décision politique et non technique qui nous oblige à avoir une réaction politique", explique-t-on de sources proches du dossier. Du coup, François Hollande a "reporté la tenue de consultations franco-polonaises prévues le 13 octobre à Varsovie", auxquelles il devait participer, "après l'annonce par la Pologne de la rupture des négociations sur un contrat d'achat d'hélicoptères multirôle Caracal d'Airbus Helicopters", a annoncé vendredi l'Élysée.

François Hollande a "demandé au ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault de se rendre rapidement à Varsovie", a pour autant précisé la présidence française, après la rupture par le gouvernement polonais des négociations sur ce contrat portant sur 50 appareils, pour un montant évalué à 3,1 milliards d'euros. Invité par son homologue polonais Antoni Macierewicz lundi à Varsovie, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian  a également annulé sa visite. Des mesures de rétorsion sont également à l'étude dans le cadre des relations bilatérales.

La Pologne rompt les négociations exclusives avec Airbus

Le gouvernement polonais avait annoncé mardi soir qu'il rompait les négociations sur ce contrat à neuf jours de consultations intergouvernementales bilatérales prévues le 13 octobre auxquelles François Hollande et plusieurs ministres français devaient participer. "Les divergences dans les positions de négociations des deux parties ont rendu impossible un compromis, ainsi la poursuite des négociations devient sans objet", avait indiqué le ministère du Développement polonais dans un communiqué.

La rupture est notamment due à un désaccord sur des investissements compensatoires (offset) conditionnant la réalisation du contrat d'achat. Un argument fallacieux, selon Paris. Le gouvernement conservateur, en place à Varsovie depuis novembre dernier, a dès le début contesté le choix du cabinet libéral précédent d'acheter 50 appareils Caracal, au nom de la défense des usines polonaises de ses concurrents, l'américain Lockheed Martin et l'italo-britannique Leonardo (ex- Agusta-Westland), basées respectivement à Mielec et Swidnik.

Les jours du Caracal étaient comptés

Depuis l'arrivée du PiS (Droit et Justice) au pouvoir en octobre 2015, les jours du Caracal, fabriqué par Airbus Helicopters, étaient comptés. La décision de Varsovie de rompre les négociations avec le constructeur européen n'est donc pas à proprement parler une surprise. D'ailleurs le vice-président du PiS, Antoni Macierewicz, devenu quelques semaines plus tard ministre de la Défense, avait jugé en septembre 2015 cet hélicoptère dépassé. Il avait précisé à l'époque que l'industrie de la défense polonaise ne tirerait aucun profit de ce marché parce qu'elle en perdrait des emplois. Devenu ministre de la Défense, Antoni Macierewicz a continué son travail de sape contre Airbus Helicopters, en négociations exclusives avec Varsovie depuis avril 2015.

"Étant donné l'ampleur des divergences, il est très probable que l'accord n'aura pas lieu", avait déclaré en janvier 2016 le vice-ministre polonais de la Défense, Bartosz Kownacki, cité par le quotidien Rzeczpospolita. Concernant les Caracal, "le ministère de la Défense va tendre vers une relance de l'appel d'offres si les résultats des négociations d'offset", menées par le ministère du Développement "rendent impossible la signature du contrat", avait lui-même déclaré Antoni Macierewicz. "Le dernier mot sur l'ensemble du contrat reviendra toujours au ministère de la Défense", a précisé son porte-parole Bartlomiej Misiewicz.

Le PiS ne voulait tout simplement pas du Caracal

S'il y a bien une surprise, c'est le temps que la Pologne a pris pour se décider à rompre les négociations. Soit pratiquement un an. Le PiS ne voulait pas du Caracal, Antoni Macierewicz encore moins. Il avait d'ailleurs déclaré en février 2016 que la Pologne continuait "à négocier (l'achat) des Caracal". "Nous voulons qu'il profite à la Pologne, mais nous souhaitons nous appuyer sur les usines polonaises de Mielec et Swidnik sans renoncer aux Caracal", avait encore expliqué Antoni Macierewicz. Faut-il rappeler que Mielec et Swidnik sont des usines des rivaux d'Airbus Helicopters (Leonardo et Sikorsky) en Pologne.

Bref, une proposition intenable pour le constructeur de Marignane. D'ailleurs, le PiS avait expliqué à plusieurs reprises qu'il souhaiterait voir le contrat attribué à des sociétés qui produisent localement. Clairement, le parti Droit et Justice ne voulait pas des Caracal, qui plaisait pourtant aux forces armées polonaises. Il a eu sa peau après avoir pris certaines précautions en menant une négociation dont il savait qu'elle se terminerait par un échec. Il y a mis seulement les formes...

Une promesse de réaliser 100% d'offset en Pologne

"L'interlocuteur n'a pas présenté de proposition offset répondant à l'intérêt économique et la sécurité de l'Etat polonais", a expliqué le communiqué du ministère du Développement. Mauvaise foi de la part des Polonais ? Car Airbus Helicopters est allé très loin (trop? ) pour séduire Varsovie en faisant de nombreuses concessions. Conformément aux demandes de l'appel d'offres, le constructeur de Marignane a promis de réaliser des investissements compensatoires en Pologne (offset) de plus de trois milliards d'euros, soit le montant du contrat.

Dans le détail, Airbus Helicopters et le motoriste Safran Helicopter Engines (ex-Turbomeca) devaient installer leur chaine d'assemblage à Lodz. Ils s'étaient engagés à créer de l'ordre de 1.250 emplois directs et environ 2.000 indirects en Pologne. Notamment à Lodz (800 emplois directs) et Radom (250). Les Polonais avaient également obtenu des transferts de technologie massifs ainsi que des transferts de propriété intellectuelle qui leur permettaient de développer sous leur responsabilité des programmes d'amélioration du Caracal. En outre, la chaine polonaise avait obtenu la fabrication de Caracal gagnés à l'exportation dans certains pays par Airbus Helicopters. Enfin, le constructeur européen s'était engagé à faire monter en puissance le centre de recherche installé en Pologne, qui devait passer d'une trentaine d'ingénieurs à une centaine.

Les sites de Leonardo et Sikorsky... dans les circonscriptions du PiS

Pourquoi une telle défiance? Surement parce qu'Airbus Helicopters n'avait pas choisi les bons sites de production pour le Caracal. En revanche, c'est bien le cas de l'italien Leonardo (ex-AgustaWestland), qui proposait l'AW149 face au Caracal, et de l'américain Sikorsky (S-70). Les deux concurrents sont basés dans les circonscriptions du PiS avant les élections d'octobre 2015. D'où le parti pris des responsables du PiS pendant la campagne, notamment du ministre de la Défense polonais.

Le groupe italien avait racheté en 2010 l'usine de PZL à Swidnik (sud), qui produit des hélicoptères Sokol utilisés dans les opérations de sauvetage, la lutte contre les incendies et le transport, notamment militaire. Ils sont vendus en Pologne, en République tchèque et en Corée du Sud. Sikorsky Aircraft produit, quant à lui, dans son usine de Mielec (sud) sa nouvelle version de l'hélicoptère Black Hawk, S70i, destinée à l'exportation.

Les deux constructeurs ont joué sur du velours en martelant que la décision de Varsovie en avril allaient les contraindre à supprimer des emplois. Une mauvaise foi évidente, leur installation remontant à plusieurs années avant l'appel d'offres polonais. Antoni Macierewicz avait d'ailleurs exprimé en février dernier l'espoir que Sikorsky et Leonardo participent à un nouvel appel d'offres éventuel. Et dire qu'Airbus Group, qui veut faire de la Pologne son cinquième pilier, y emploie déjà 900 personnes. Le géant européen vient de prendre une belle claque de la part de Varsovie.

Le Caracal, un hélicoptère dépassé?

Le Caracal était-il un hélicoptère dépassé, comme l'avait expliqué Antoni Macierewicz ? Si cet appareil avait été dépassé, il ne serait certainement pas utilisé quotidiennement par les forces spéciales françaises dans toutes les opérations extérieures françaises. Mais peut-être que les forces armées polonaises sont rompues à des missions autrement plus difficiles que les forces françaises...

En outre, lors de la campagne de tests en conditions réelles, le Caracal a rempli toutes les exigences, et même au-delà selon certains responsables militaires polonais. Comme l'avait souligné en avril dernier le ministère polonais de la défense, l'offre d'Airbus était d'ailleurs la seule à remplir l'ensemble des critères indispensables.

La Pologne n'achète quasiment jamais "Made in France"

Ce contrat s'il avait été signé aurait mis fin à une période de disette pour les industriels français, qui font régulièrement un "bide" commercial à Varsovie. Sur la période 2010 et 2015, la Pologne, qui préfère acheter américain, allemand ou israélien, a ainsi royalement commandé à l'industrie tricolore 93,1 millions d'euros d'équipements militaires, selon le dernier rapport au Parlement 2016 sur les exportations d'armement de la France. Soit 15,5 millions d'euros en moyenne par an.

D'une façon plus générale, Paris souhaiterait opérer un rééquilibrage des relations commerciales avec la Pologne dont l'Allemagne est devenu en 2015 le premier partenaire avec près de 26 % du marché polonais contre 6 % seulement pour la France.