Hélicoptères : mais à quoi joue la Pologne ?

Par Michel Cabirol  |   |  1033  mots
Jean-Yves Le Drian est intervenu lors du conseil des ministres de mercredi "pour déplorer, constater la manière inacceptable dont la Pologne a remis en cause un accord qui avait été signé sur les hélicoptères Caracal" d'Airbus Helicopters.
Pour consoler Airbus, la Pologne va lancer un nouvel appel d'offre auquel le groupe européen pourra participer. Pour Jean-Yves Le Drian l'attitude de Varsovie est "inacceptable".

Ce n'est pas digne d'un gouvernement. La désinvolture de l'Etat polonais avec laquelle il a traité un allié fiable comme la France est "inacceptable", a estimé le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. D'autant que la Pologne va lancer un nouvel appel d'offres pour des hélicoptères militaires pour "consoler" Airbus, a annoncé mercredi le porte-parole du gouvernement conservateur de Varsovie, après l'abandon des négociations sur les Caracal du groupe européen et l'achat d'appareils américains Black Hawk.

"Pour consoler le groupe Airbus, je peux dire seulement qu'un nouvel appel d'offres sur des hélicoptères sera lancé et qu'il y aura la possibilité d'y participer", a royalement indiqué Rafal Bochenek à la radio publique Jedynka, sans donner de détail sur ce nouvel appel d'offres. Un lot de consolation, mais quel lot de consolation?

La Pologne, sous le précédent gouvernement centriste, avait prévu d'acheter 50 hélicoptères Caracal pour 13,5 milliards de zlotys (3,1 milliards d'euros, dont 700 millions d'euros de TVA polonaise) dans le cadre de la modernisation de son armée. Mais il a été battu aux élections législatives d'octobre 2015 par le parti conservateur et eurosceptique Droit et justice (PiS), qui n'a jamais accepté le choix du gouvernement précédent. Et le 4 octobre dernier, le nouveau gouvernement a annoncé officiellement l'annulation du contrat, ce qui a suscité une crise diplomatique entre Paris et Varsovie.

Des compensations pour la France?

Cette déclaration intervient au lendemain de l'annonce par le ministre polonais de la Défense, Antoni Macierewicz, de l'achat d'au moins 21 hélicoptères américains Black Hawk, fabriqués en Pologne. Deux premiers Black Hawk seront livrés par Lockheed Martin cette année et huit en 2017, a-t-il précisé. Une rapidité de livraison qui laisse à penser que Varsovie n'a pas joué clairement joué le jeu avec Airbus Helicopters et la France. A terme, l'armée polonaise a besoin de disposer de 50 à 70 appareils, fabriqués en Pologne mais aussi à l'étranger, avait-il aussi précisé.

La Pologne proposera à la France d'autres projets d'investissement, a annoncé pour sa part la Première ministre polonaise Beata Szydlo citée par l'agence de presse Pap. "Le gouvernement polonais a agi conformément aux intérêts de l'Etat polonais. C'est une conduite normale en affaires, personne n'a été trahi", a -t-elle estiméo à la chaîne de télévision Telewizja Trwam. La Pologne présentera au ministre français des Affaires étrangères des "propositions de coopération, dans un domaine d'investissement d'un autre genre, ou un achat d'autre équipement", lors de sa prochaine visite à Varsovie.

Mais les mensonges se poursuivent

Comme d'autres ministres polonais, Rafal Bochenek a rejeté mercredi sur Airbus la responsabilité de l'abandon des négociations sur les hélicoptères multirôles, lui reprochant d'avoir fait une offre insuffisante de compensations industrielles (offset) accompagnant le contrat évalué à 13,4 milliards de zlotys (3,14 milliards d'euros), toutes taxes comprises. Il a mis en doute l'argument soulevé par l'avionneur de vouloir créer 6.000 emplois liés à tous ses investissements en Pologne, y compris sans lien direct avec les Caracal.

"Dommage que les lettres avec de tels arguments sont écrites après la fin des négociations car ce genre d'information n'est inscrit dans aucun des documents officiels présentés par Airbus", a insisté Rafal Bochenek. Et si Airbus Helicopters publiait ces documents officiels...

"Le contrat a été aiguillé en direction du producteur français et a ignoré le producteur polonais", a déclaré Antoni Macierewicz au diffuseur TVP Infor. "La Pologne est à la recherche de contreparties". Le ministre polonais de la Défense a également accusé mercredi Airbus d'être responsable de l'annulation de la commande d'hélicoptères passée à sa filiale Airbus Helicopters et estimé que le constructeur devrait indemniser la Pologne pour les pertes financières qu'elle pourrait essuyer.

Des mensonges dénoncés par la Plateforme civique (PO) aujourd'hui dans l'opposition, reproche au parti Droit et Justice de nuire aux intérêts des Polonais par opportunisme électoral. Grzegorz Schetyna, chef de file de la PO, a souligné mardi que les usines de l'américain Sikorsky, filiale de Lockheed Martin et AugustaWestland, filiale de l'italien Finmeccanica étaient situées dans des régions où le PiS bénéficie d'un fort soutien populaire.

Jean-Yves Le Drian furieux...

En France, la façon dont Varsovie a géré ce dossier ne passe décidément pas. Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a déploré mercredi en Conseil des ministres "la manière inacceptable" dont la Pologne a "remis en cause" l'accord pour l'acquisition des 50 Caracal, a expliqué le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll. Jean-Yves Le Drian est intervenu "pour déplorer, constater la manière inacceptable dont la Pologne a remis en cause un accord qui avait été signé sur les hélicoptères Caracal" d'Airbus Group, a précisé Stéphane Le Foll, lors du compte rendu du Conseil.

Le porte-parole du gouvernement a rappelé que "c'est ce qui avait conduit le président de la République à annuler un déplacement en Pologne" prévu le 13 octobre. Heureusement... Car la Pologne a annoncé mardi l'achat d'au moins 21 hélicoptères américains Black Hawk, après avoir abandonné des négociations sur les hélicoptères.  L'annonce de la décision de Varsovie le 4 octobre a jeté un froid dans les relations franco-polonaises. Mardi soir, le chef de la diplomatie française Jean-Marc Ayrault s'est entretenu au téléphone avec son homologue polonais, notamment à propos de l'affaire Caracal, a annoncé la partie polonaise, sans autres précisions.

... et Tom Enders très furieux

Mardi, le patron d'Airbus Group, Tom Enders, s'en est pris violemment à Varsovie, disant avoir "l'impression d'avoir été mené en bateau pendant des mois par l'actuel gouvernement polonais" conservateur. Il a annoncé que son groupe allait "demander réparation", sans plus de précision.

"Nous n'avons jamais été traités comme ça par un gouvernement client comme nous l'avons été par ce gouvernement", avait réagi mardi le  patron d'Airbus Group, Tom Enders, ajoutant avoir "l'impression d'avoir été menés en bateau pendant des mois par l'actuel gouvernement polonais".