Ioukos, l'affaire qui empoisonne Arianespace

Par Michel Cabirol  |   |  905  mots
En attendant Ariane 6, Arianespace a encore besoin de Soyuz.
Arianespace fait partie des victimes collatérales du très sulfureux dossier Ioukos, le pétrolier russe démantelé par Moscou. La société européenne est pris en tenaille entre la Russie et la justice française.

Parmi les dossiers à régler en 2017 pour Arianespace, il y en a un qui l'empoisonne plus particulièrement. Celui qui concerne l'affaire Ioukos. Tout comme Eutelsat, Arianespace fait partie des victimes collatérales de ce très sulfureux dossier. Pourquoi ? A l'origine de cette affaire, le démantèlement à l'initiative du gouvernement russe du pétrolier Ioukos, qui aurait lésé certains actionnaires, dont deux sociétés offshore : Hulley Enterprises Limited et Veteran Petroleum Limited, toutes deux basées à Nicosie (Chypre) et qui ont été actionnaires de Ioukos entre 1999 et 2007, avant leur "expropriation" par la Russie.

En juillet 2014, ces deux sociétés ont obtenu du tribunal à La Haye une sentence condamnant la Russie à verser une indemnisation de plus de 40 milliards de dollars en compensation de son "expropriation". Six mois plus tard, le 1er décembre 2014, le Tribunal de grande instance de Paris rend exécutoire cette sentence en France. Le 30 juin 2015, Hulley, puis le 18 janvier 2016, Veteran, en profitent pour faire procéder à une saisie de créances russes dans plusieurs groupes français, dont SA Arianespace. Ce qui empêche à la société de services de lancement, qui a contesté ces deux saisies les 9 et 21 juillet 2015, de régler ses dettes envers Roscosmos, considérée comme une entité de la Fédération de Russie. Soit environ 300 millions d'euros.

Tensions entre la France et la Russie

Après un temps d'hésitation, Moscou conteste lui ces deux saisies. Mais les relations entre Arianespace et l'agence spatiale russe, Roscosmos, et plus généralement, entre la Russie et la France, sont depuis tendues. Trois jours après le dernier jugement rendu par la justice française, l'agence spatiale russe menace le 27 octobre dernier de cesser de livrer des lanceurs Soyuz à Arianespace tant que les 300 millions d'euros dus au fabricant russe feront l'objet d'une saisie judiciaire.

"Nous ne recevons pas actuellement l'argent dû par Arianespace pour notre travail. Pas d'argent, pas de produit. Nous ne pouvons travailler gratuitement, avait alors martelé le service de presse de Roscosmos. Nous ne livrerons donc rien".

Dans un courrier adressé fin octobre au Premier ministre Manuel Valls, Roscosmos a même menacé d'assigner Paris devant un tribunal arbitral si ses actifs saisis en France ne lui étaient pas rendus. Au prétexte que la France viole un traité international signé le 4 juillet 1989 entre la Russie et la France, qui est un accord sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements. "Une façon de mettre la pression sur l'État français et d'exiger que la situation soit réglée", analyse une source proche de ce dossier, sous-entendant que les Russes ne souhaitent pas attendre dix ans avant d'être payés. D'autant que les Russes pourrraient exiger des réparations en vertu de ce traité international.

Règlement définitif en avril 2017?

L'épilogue pourrait intervenir au semestre 2017. Selon plusieurs sources concordantes, la cour d'appel de Paris devrait rendre le 19 avril prochain un jugement sur le fond. Mais Paris n'a pas attendu cette nouvelle échéance pour résoudre ce problème. En coulisse, la France s'active beaucoup pour rassurer Moscou. Bercy travaille, selon nos informations, sur une protection des entreprises impliquées dans de telles procédures. "C'est un signal qui montre que Paris se sent concerné par le dossier", explique-t-on à La Tribune. Mi-novembre alors qu'il allait assister à Baïkonour au départ du spationaute Thomas Pesquet vers la Station spatiale internationale (ISS), le secrétaire d'Etat à la Recherche, Thierry Mandon. avait expliqué que le conflit entre l'agence spatiale russe et Arianespace devait se régler "au mieux des intérêts" des deux parties.

"On a rassuré nos amis russes sur le fait que nous aimerions que cette affaire se règle au mieux des intérêts d'Ariane et des Russes, a précisé Thierry Mandon. On étudie de très près cette situation. On étudie les moyens de pas être inerte par rapport aux attentes légitimes d'Arianespace. Il y a un appel, on va voir comment on peut faire dans un contexte où la justice est indépendante".

Thierry Mandon s'était auparavant arrêté à Moscou, où il avait rencontré le vice-ministre russe en charge de la Recherche, Alexis Lopatine. Il a également vu le conseiller du Kremlin pour la recherche, Andreï Foursenko. En outre, le ministre des Finances Michel Sapin est allé, lui aussi, à Moscou début décembre pour régler en autre ce conflit franco-russe.

Soyuz reste encore utile à Arianespace

En attendant Ariane 6, Arianespace a encore besoin de Soyuz. Le conflit entre la Russie et la France ne devrait pas, a priori, entraver l'exploitation du lanceur russe à Kourou. Le calendrier d'Arianespace prévoit des lancements de satellites commerciaux par Soyuz dans les prochaines années. Notamment pour déployer la constellation OneWeb (internet pour tous), un programme privé américain. Arianespace a signé en juin 2015 un contrat pour 21 vols Soyuz dont le premier était à l'origine prévu en 2017.

Face à la presse, lors du lancement de quatre satellites Galileo par Ariane 5 en novembre, le PDG d'Arianespace, Stéphane Israël, s'était montré confiant : "Cela ne pose pas de problème pour les lancements Soyuz en préparation, dès début 2017. Il faut bien distinguer des procédures liées à des conflits entre d'anciens actionnaires, une entreprise d'énergie et la Fédération de Russie à l'exécution de nos contrats. Cette dernière se poursuit".