L'ONERA est-il une pépite technologique mal barrée ?

Par Michel Cabirol  |   |  1366  mots
Le président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat Christian Cambon a appelé "le gouvernement à doter l'ONERA des moyens dont il a besoin". (Crédits : ONERA)
Le Sénat a invité le gouvernement "à revoir sa copie" sur les moyens accordés à l'ONERA. Il considère cet office de recherche comme "une pépite technologique".

Le Sénat a tapé du poing sur la table. Trop, c'est trop. Mais pour l'ONERA, il n'est pas vraiment sûr que ce coup de gueule se traduise par des annonces du gouvernement, et encore moins par des décisions spectaculaires. Car de très nombreux rapports parlementaires sur l'ONERA se sont suivis au fil des années et ont tous diagnostiqué la même anémie budgétaire. Mais toutes ces alertes ont fait malheureusement long feu et se sont peu à peu perdues dans les tréfonds de la direction générale de l'armement (DGA) et de certains ego. Certes, ce coup de gueule sera entendu. Il l'est déjà. Il faut dire que le Sénat n'a pas fait dans sa tiédeur habituelle et a mouillé sa chemise, invitant carrément le gouvernement "à revoir sa copie" sur l'ONERA, considérant cet office de recherche comme "une pépite technologique", selon les termes du président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. Christian Cambon a donc appelé "le gouvernement à doter l'ONERA des moyens dont il a besoin".

"Je veux juste souligner l'importance de l'ONERA pour notre pays en termes de souveraineté", a fait observer le sénateur Michel Boutant (PS, Charente) lors de l'audition de la ministre des Armées Florence Parly lundi soir au Sénat.

Cette cure prolongée et injustifiée d'austérité budgétaire de l'ONERA a déjà actuellement des conséquences importantes sur les ressources humaines de cet organisme. C'est d'ailleurs pour cela que le sénateur Ladislas Poniatowski a dit au PDG de l'ONERA Bruno Sainjon lors de son audition au Sénat mercredi qu'il était "à la tête d'une pépite mal barrée". Mais surtout cette cure d'austérité aura des répercussions autrement plus dommageables sur l'excellence française dans le domaine de la défense, l'aéronautique et le spatial, qui est reconnue aujourd'hui. Car l'ONERA travaille sur les programmes de demain et d'après-demain, et donc sur l'emploi dans les dix années à venir dans ce secteur de souveraineté nationale.

Pourquoi ce coup de gueule ?

L'an dernier, le rapport de la commission des affaires étrangères et de la défense des sénateurs Pascal Allizard (Les Républicains, Calvados) et Michel Boutant (PS, Charente) présentait déjà "la situation fragile" de l'ONERA, qui porte pourtant "une forme d'excellence française en matière aérospatiale". Les rapporteurs appelaient ainsi à reconsidérer les moyens de l'ONERA, et en particulier la trajectoire stable de la subvention que lui versait l'Etat, dans le cadre d'un contrat d'objectif et de performance (COP). Cela semblait d'autant plus légitime que, d'une part, la loi de programmation militaire (LPM) prévoyait le redressement de l'effort en faveur de la défense, et que, d'autre part, la France s'engageait avec l'Allemagne dans l'ambitieux projet du Système de combat aérien du futur (SCAF).

Il a semblé, en début d'année, que ces attentes avaient été entendues. En effet, lors de sa visite à l'ONERA en janvier 2019, la ministre des armées Florence Parly a semblé ouvrir des perspectives favorables. "Et ce futur, nous ne le bâtirons pas sans vous. L'ONERA a toute sa place pour ces armées modernes. Il en est un des fers de lance, un des pionniers", avait-elle m^me lancé enthousiaste à PalaiseauUne tendance qui avait été timidement confirmée par le Délégué général pour l'armement Joël Barre lors de son audition par le Sénat au début du mois d'octobre 2019. "Sur l'ONERA, nous sommes en train d'examiner le contrat d'objectifs et de performance 2017-2021, pour en faire une revoyure à mi-terme", avait-il prudemment avancé.

"Malheureusement, il apparaît que la réalité du PLF (projet de loi de finances, ndlr) pour 2020 est tout autre", ont constaté dans leur rapport pour avis du PLF 2020 (Environnement et prospective de la politique de défense), Pascal Allizard et Michel Boutant. Ce que La Tribune avait également déjà constaté début novembre. Les deux rapporteurs ont donc réitéré "leurs appels répétés pour doter enfin l'ONERA de moyens au niveau de son excellence scientifique et technologique, (qui) n'ont en effet toujours pas été entendus par le gouvernement". Interrogée une nouvelle fois sur ce sujet lundi soir à l'occasion de l'examen en Séance du budget de la défense, "la ministre des armées n'a apporté aucune réponse au Sénat", ont-ils à nouveau constaté.

Montée en puissance du DLR allemand, sclérose de l'ONERA

"Quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on se console, dit l'adage", a rappelé Michel Boutant. Et de préciser : "Si l'on compare deux organismes similaires en France et en Allemagne, le DLR et l'ONERA, nous nourrissons des inquiétudes à l'égard du programme SCAF". Le PDG de l'ONERA, Bruno Sainjon, lors de son audition au Sénat mercredi, résume très bien les deux trajectoires : "Avec 1.910 personnes, dont près de 300 doctorants pour couvrir l'ensemble du périmètre des activités de l'ONERA qui va de la défense mais aussi de l'aéronautique civile, du spatial civil, c'est très peu si on compare au DLR allemand, qui est quand même passé pour sa partie aéronautique en 2011 où ils étaient 1562 à 1860 personnes en 2018. La subvention aéronautique (du DLR, ndlr) est passée de 134 millions à 202 millions. Sur la même période, la subvention de l'ONERA est passée de 115 millions à 105 millions". En outre, en fin d'année, le DLR a bénéficié d'un complément de subvention non sollicité de 106 millions d'euros par le Parlement allemand.

"C'est effectivement de plus en plus compliqué de se maintenir au niveau de cet organisme (DLR, ndlr)", a estimé le patron de l'ONERA. Avec une subvention de 105 millions d'euros, "cela va être compliqué de lutter à armes égales", a-t-il ajouté.

Le SCAF va-t-il échapper à l'ONERA?

Faut-il avoir des inquiétudes pour l'ONERA sur le programme SCAF ? Selon Michel Boutant, "Une partie des études seraient confiées" au DLR "quand bien même l'office français a pris une avance considérable dans ce domaine. Nous ne comprenons pas ce choix..." D'autant que le ministère de la Défense allemand a passé en fin d'année dernière un important contrat portant sur le SCAF au DLR, qui se dit lui-même convaincu que l'ONERA a une meilleure expertise sur ce dossier. Lors de son audition au Sénat, Bruno Sainjon a nuancé les inquiétudes sur le SCAF. "La situation sur le SCAF en France n'est pas aussi tragique" que les inquiétudes le suggèrent.

"Il ne faut pas en déduire que c'est le DLR qui va faire la partie recherche. Simplement les Allemands, eux, se sont mis en ordre de marche et l'expertise du DLR est contractualisée depuis la fin de l'année. Nous, ce n'est pas du tout le cas. Nous avons fait des propositions sur des sujet sur lesquels l'ONERA peut travailler. C'est notamment des sujets sur lesquels nous sommes attendus. Ce sont des sujets sur lesquels l'ONERA avait obtenu des contrats dans le cadre du FCAS franco-britannique. Les entrées d'air du Rafale par exemple doivent beaucoup aux équipes de l'ONERA. Et les entrées d'air du futur avion de combat devront probablement devoir beaucoup aux équipes de l'ONERA. Donc sur ces sujets-là, y compris sur les sujets concernant les matériaux, ce sont des domaines où nous sommes forces de propositions. On attend pour l'instant la réponse. Je pense que côté français on attendait que l'organisation se mette en place du point de vue industriel avant de les décliner. Il faut aussi aller vite parce qu'on fait cela à RH contrainte comme c'est notre cas : nous allons avoir dû mal à identifier ou à recruter les personnels pour faire le travail".

Et on en revient toujours aux mêmes problèmes sur le manque de moyens de l'ONERA. Et dire qu'en plus le PLF pour 2020 prévoit pour l'ONERA une perte de 11 ETP (équivalents-temps plein). La boucle est bouclée.