Lancement du sous-marin brésilien : la France étrangement absente

Par Michel Cabirol à Itaguai (Brésil)  |   |  1285  mots
Le programme Prosub est un élément clé de l'accord de coopération stratégique de défense signé en décembre 2008 à Rio de Janeiro entre les gouvernements français et brésilien. (Crédits : Minsitère de la défense brésilien)
La France n'a envoyé aucune représentation politique pour le lancement du premier sous-marin Scorpène brésilien. Les deux pays ont pourtant signé un partenariat stratégique en 2008.

Pour la mise à l'eau vendredi dernier du premier sous-marin Scorpène de la marine brésilienne, le Riachuelo, à la base d'Itaguaí, le ministère de la Défense brésilien avait organisé une cérémonie très réussie où étaient réunis deux présidents brésiliens, Michel Temer (le sortant) et Jair Bolsonaro (le futur). Une cérémonie où était célébrée en grande pompe la technologie française : le sous-marin Scorpène est issu des bureaux d'études de Naval Group, qui opère dans le cadre du programme Prosub un vaste transfert de technologies vers l'industrie de défense brésilienne.

Une cérémonie où était en revanche complètement absente au niveau politique la France, qui n'avait envoyé aucune représentation politique (ni ministre, ni secrétaire d'Etat) alors que Paris a pourtant signé un partenariat stratégique avec Brasilia en 2008. En revanche, le chef d'état-major de la marine nationale, l'amiral Christophe Prazuck, avait fait le voyage et l'ambassadeur de France au Brésil, Michel Miraillet, était aussi présent lors de cette cérémonie où les autorités politiques et militaires brésiliennes ont exprimé à plusieurs reprises leur fierté de lancer un tel bâtiment grâce à la France (72 mètres de long, six mètres de diamètre et 1.870 tonnes). Le Riachuelo, qui a pris le nom d'une bataille navale remportée par l'armée brésilienne au XIXe siècle, a été baptisé par la première dame, Marcela Temer (voir photo).

Un mauvais signal de la France au Brésil

Le programme Prosub, qui va lier la France au Brésil sur une période de plus de 40 ans, est un élément clé de l'accord de coopération stratégique de défense signé en décembre 2008 à Rio de Janeiro entre les gouvernements français et brésilien. L'absence de la France à cette cérémonie est un très mauvais signal, selon plusieurs observateurs français, qui ont regretté l'absence des autorités politiques françaises. "C'est la meilleure façon de jeter dans les bras des Etats-Unis le futur président brésilien Jair Bolsonaro", résume-t-on à regret à La Tribune.

Une absence, qui si elle était confirmée par de nouveaux signes de défiance à l'égard du Brésil, risque in fine de torpiller les chances françaises dans les projets en cours à l'image de la volonté de la marine brésilienne de s'offrir quatre corvettes dans le cadre du programme Tamandaré dans lequel Naval Group est toujours en compétition face à trois autres concurrents, dont Damen le favori. Pour sa part, l'agence spatiale brésilienne (AEB) souhaite acquérir un satellite de télécoms dual supplémentaire, SGDC-2. Ce qui intéresse à nouveau Thales Alenia Space, qui a déjà fourni SGDC-1, mais aura fort à faire face aux constructeurs américains. Très clairement, certains des observateurs interrogés par La Tribune appellent la France à "laisser une chance" à Jair Bolsonaro.

En 2009, Naval Group s'est vu confier par la marine brésilienne la conception et le transfert de technologie de quatre sous-marins Scorpène ainsi que l'assistance à la conception et à la réalisation du premier sous-marin à propulsion nucléaire du Brésil (hors chaufferie nucléaire) pour un montant de 6,7 milliards d'euros. Soit l'un des plus importants contrats signé par l'industrie de défense française à l'exportation. Le contrat comprenait également une assistance à la maîtrise d'ouvrage pour la réalisation d'un chantier de construction navale et d'une base navale pour la marine brésilienne. André Portalis, président d'Itaguaí Construções Navais (ICN), dont Naval Group détient 41,5% du capital, a rappelé vendredi dernier que "le Riachuelo est une combinaison entre la technologie française et les compétences et les besoins de la marine brésilienne".

Le programme Prosub "s'inscrit dans une politique de développement technologique du Brésil", a d'ailleurs martelé le président Michel Temer.

Le Brésil très friand des technologies françaises

Créé en 2009 à la suite de l'accord gouvernemental entre le Brésil et la France, ICN est la société chargée de recevoir et de maîtriser les technologies françaises afin de garantir l'autonomie du Brésil dans la construction de ses propres projets de sous-marins et autres systèmes navals similaires. Ainsi, depuis 2012, Naval Group a réalisé un travail considérable pour identifier et qualifier les fournisseurs brésiliens. Ce travail permettra à la marine brésilienne de s'appuyer de plus en plus sur une base industrielle nationale souveraine pour ses besoins futurs.

A la fin des années 2000, le Brésil est devenu un important acheteur de technologies françaises dans le domaine de la défense avec la vente en 2009 de 50 Caracal d'Airbus Helicopters fabriqués à Itajuba par Helibras et de cinq sous-marins, dont certains à propulsion nucléaire. Puis en décembre 2013, le Brésil a acquis un satellite de télécoms civil (bande Ka) et militaire (bande X), SGDC-1 (Thales Alenia Space) en coopération étroite avec l'opérateur public Telebras et le groupe aéronautique Embraer.

De façon plus générale, la France est le cinquième investisseur au Brésil en termes de stocks d'investissements directs étrangers (plus de 30 milliards de dollars), depuis 2010. Cela représenterait plus de 6% des IDE au Brésil derrière les Pays-Bas, les Etats-Unis, l'Espagne et le Luxembourg. Notamment, le Brésil pèse de plus en plus en termes de chiffre d'affaires et de bénéfices pour des groupes énergétiques comme Engie et Total. En comparaison, les IDE en Chine, pays stratégique pour la France, s'élèverait à 33 milliards d'euros en stock.

Le sous-marin nucléaire prend beaucoup de retard

La construction du Riachuelo, qui a généré 5.000 emplois directs et 12.500  indirects, a pour objectif d'assurer la souveraineté du Brésil grâce à une nouvelle flotte de cinq nouveaux sous-marins modernes censés protéger ses 8.500 kilomètres de côtes et ses gisements de pétrole en eaux très profondes. Le Brésil doit notamment surveiller les gisements de "pré-sal", immenses réserves de pétrole situées en eaux très profondes, sous une épaisse croûte de sel, et dont les concessions ont commencé à être négociées ces dernières années lors d'enchères très disputées par les groupes pétroliers du secteur. Dans ce contexte, le Riachuelo avec son équipage de 35 marins (70 jours d'autonomie en mer et une immersion jusqu'à 300 mètres) commencera ses essais en mer en 2019 pour une livraison à la marine brésilienne prévue en 2020.

La construction des quatre sous-marins brésiliens a d'ailleurs déjà commencé et seront livrés d'ici à fin 2022. Après le Riachuelo (S-40), viendront ensuite le Humaitá (S-41) fin 2020, le Tonelero (S-42) fin 2021 et l'Angostura (S-43) en 2022. Enfin, la Marine construira le premier sous-marin à propulsion nucléaire (SN-BR) qui portera le nom "Álvaro Alberto", un hommage à l'amiral brésilien, l'un des pionniers de l'utilisation de la technologie nucléaire dans le pays. Sa mise à l'eau devrait avoir lieu au second semestre 2029, soit six ans après les prévisions initiales. Le projet a pris du retard notamment en raison de restrictions budgétaires liées à la récession historique de 2015 et 2016.

"Seuls six pays du monde construisent et exploitent des sous-marins à propulsion nucléaire - Etats-Unis, Royaume-Uni, la Russie, la France, la Chine et l'Inde. Parmi eux, le seul qui a accepté de transférer la technologie au niveau requis et permettre aux Brésiliens de concevoir et de construire des sous-marins est la France", a expliqué le ministère de la Défense brésilien