Lanceur réutilisable : "L'Europe est sur le meilleur tempo possible" (Jean-Yves Le Gall, CNES)

Par Michel Cabirol  |   |  785  mots
"D'une façon générale, le modèle de SpaceX n'est pas aujourd'hui stabilisé, a fortiori sur la question du réutilisable", estime le président du CNES, Jean-Yves Le Gall
Le président du CNES Jean-Yves Le Gall revient sur le succès de SpaceX, qui a lancé pour la première fois la semaine dernière un lanceur déjà utilisé. Il reste encore sceptique sur le modèle économique du réutilisable. Et estime que l'Europe est sur "le bon tempo".

LA TRIBUNE - Que pensez-vous du nouveau succès de SpaceX dans le domaine du réutilisable ?
JEAN-YVES LE GALL - Elon Musk et SpaceX sont sur leur feuille de route. Ils vont à la fois moins vite et plus vite que ce qu'on aurait pu imaginer. Moins vite parce que SpaceX a subi deux échecs en deux ans, le premier en 2015, puis un autre en 2016. Plus vite parce que le réutilisable est arrivé de façon inattendue, SpaceX n'en parle que depuis deux ans. Toutefois, à  partir du moment où SpaceX a récupéré six étages, il était clair qu'ils allaient les relancer.

Un lanceur réutilisable peut-il aujourd'hui devenir un modèle pérenne sur le plan économique ?
C'est la question. Comment construit-on à partir d'un lanceur réutilisable un vrai business model ? Pour l'instant je ne connais pas la réponse.

Mais SES a confiance dans la vision de SpaceX.  Est-ce simplement une question de prix bas ?
Aujourd'hui  c'est un sujet sur lequel il est très difficile d'avoir un point de vue. D'autant que SpaceX a dû proposer des prix d'appel pour ce premier lancement. C'est pour cela qu'il faut voir ce modèle sur quelques années. D'une façon générale, le modèle de SpaceX n'est pas aujourd'hui stabilisé, a fortiori sur la question du réutilisable. Et quand bien même il serait sur un modèle stabilisé, SpaceX évoque 50 à 60 lancements par an. Actuellement il n'y a pas 50 à 60 lancements par an.

Pensez-vous que SpaceX va trop vite ?
SpaceX est une société qui avance de façon très différente selon les projets qu'elle évoque. Il est évident qu'ils ont développé un système réutilisable mais depuis 15 ans ils ont travaillé sur de nombreux sujets à la fois : les lanceurs, Mars, les constellations,... Pour sa part, Elon Musk travaille aussi sur les voitures électriques avec Tesla, sur Hyperloop et maintenant il souhaite connecter le cerveau. C'est une fourmilière. Mais sur tous ces sujets, il n'y en a vraiment aucun qui soit en régime établi comme nous le sommes avec Ariane 5.  Avec ce lanceur, nous avons développé une véritable machine à lancer, qui a certes un coût mais qui tourne, qui est régulière et qui est surtout fiable. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il faut s'interdire de regarder des programmes  plus disruptifs.

Donc il est urgent d'attendre ?
C'est vrai que SpaceX défraie la chronique et propose des programmes  extrêmement spectaculaires. C'est également vrai que SES leur fait confiance, ce n'est pas rien mais beaucoup de clients restent toujours sur leurs deux échecs consécutifs. Et puis, il n'y a pas que SpaceX qui développe un lanceur réutilisable. Il y a également Blue Origin qui a un projet. Les Chinois et les Indiens évoquent aussi ce sujet et les Japonais s'y mettent. C'est le sujet dont on parle partout dans le monde. C'est pour cela que j'ai souhaité lancer il y a déjà deux ans le projet de moteur à bas coût Prométhée, potentiellement réutilisable. Celui-ci a convaincu les Européens et Prométhée est devenu le programme Prometheus à la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne de Lucerne en décembre dernier. Le réutilisable est donc un sujet sur lequel l'Europe travaille et si cette piste devait s'avérer prometteuse, l'Europe aura ainsi une boite à outils avec Prometheus et Callisto, un démonstrateur de petit véhicule spatial réutilisable.

Mais vraiment ne faut-il pas que l'Europe accélère le tempo ?
Aujourd'hui, l'Europe est sur le meilleur tempo possible. C'est la réalité. Quand bien même on multiplierait par dix le budget de Prometheus, il y a des étapes technologiques à franchir.  Au risque de me répéter, SpaceX n'est pas encore dans un modèle établi. L'entreprise d'Elon Musk fonctionne sur le modèle d'une start-up californienne avec des hauts et des bas. Tout comme la plupart des futurs lanceurs. La présentation de Blue Origin est très impressionnante avec de très belles images de synthèse. Mais aujourd'hui Blue Origin a fait voler un lanceur, le New Shepard qui fait 75 tonnes au décollage alors que leur futur lanceur, le New Glenn est supposé faire 1.300 tonnes au décollage, près de 20 fois plus et arriver dans deux ans. Attendons de voir !

Mais pour Ariane 6, ce sera pareil, non ?
Non parce que pour Ariane 6, nous avons souhaité reprendre l'héritage d'Ariane 5. Les choix que l'on a faits sont extrêmement conservatifs en matière technique. Nous ne développons pas de nouveaux moteurs. Ariane 6 aura toute sa place en 2020.