Le prochain fusil de l'armée française sera bien étranger

Par Michel Cabirol  |   |  1017  mots
Les nouveaux fusils d'assaut de l'armée française seront livrés à partir de 2017 par ds fabricants étrangers
Les essais comparatifs des fusils d'assaut étrangers présélectionnés, qui remplaceront les FAMAS, vont très prochainement commencer. Le ministère de la Défense va notifier en 2016 un contrat à un des cinq armuriers européens encore en compétition.

Ils sont cinq fabricants à se disputer le marché français de remplacement des FAMAS dans le cadre de l'appel d'offres européen AIF (armement individuel du futur) évalué entre 200 et 250 millions d'euros. Et ils sont cinq industriels, tous de nationalité  étrangère, à lorgner un marché d'environ 90.000 fusils d'assaut (contre une cible initiale de 101.000) destinés aux trois armées, dont 70.000 pour l'armée de terre, ainsi que le commandement des opérations spéciales (COS). La loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 prévoit l'acquisition de plus de 21.000 fusils d'assaut alors qu'initialement l'armée de terre devait en être entièrement équipée vers 2018, selon les déclarations d'octobre 2013 de l'ancien chef d'état-major de l'armée de terre, le général Bertrand Ract-Madoux.

Le belge FN Herstal, l'italien Beretta, l'allemand Heckler & Koch (HK), le suisse Swiss Arms (ex-SIG Arms) et enfin, semble-t-il, le croate, HS Produkt, ont été invité par la direction générale de l'armement (DGA) à participer très prochainement à des essais comparatifs. En revanche, Thales, qui a développé le fusil d'assaut F90 sélectionné en août par l'armée australienne, n'a pas souhaité participer à cet appel d'offres en raison de contraintes techniques exigées par la DGA.

Notification en 2016

La notification de ce marché devrait intervenir l'année prochaine, peut-être au début de 2016. Car les premières livraisons sont attendues dès 2017, comme l'avait expliqué en mars à l'Assemblée nationale le chef de l'état-major de l'armée de terre, le général Jean-Pierre Bosser. Il n'est que temps car le parc moyen des FAMAS est âgé en moyenne de 25 ans. Le successeur du célèbre fusil d'assaut de la manufacture de Saint-Étienne sera choisi à l'issue d'une évaluation de plusieurs modèles de fusils d'assauts sur étagère au calibre 5,56 mm OTAN, a expliqué le ministère de la Défense en réponse à une question au député Jean-François Lamour (Les Républicains).

La conception du futur intègrera nécessairement une culasse calée et un tube rayé à 7 pouces contrairement au FAMAS qui possède une culasse flottante avec un tube rayé à 12 pouces. Ces caractéristiques donneront à l'AIF la capacité de tirer toutes les munitions 5,56 mm au standard OTAN avec un niveau de sécurité encore supérieur à celui du FAMAS. Le Délégué général pour l'armement (DGA), Laurent Collet-Billon, avait précisé dès octobre 2013 qu'il "faudra procéder à des achats sur étagère ne nécessitant pas d'adaptations trop importantes auprès d'industriels allemands, belges, voire suisses".

Nexter, la clé de ce marché?

Selon une source proche du dossier, l'industriel qui aura la bonne idée de se rapprocher de Nexter, pourrait obtenir ce marché même si la DGA n'a exigé aucune obligation en termes de compensations industrielles pour l'armurier sélectionné dans l'appel d'offre. Si telle était le cas, cela permettrait de donner une activité de sous-traitance au site de Tulle, Nexter Mechanics qui travaille encore sur le FAMAS : maintien en condition opérationnelle (MCO) du fusil d'assaut, modernisation (retrofit) et intégration du FAMAS dans le cadre du système Felin, le programme soldat du futur. Tulle a été l'un des grands armuriers de France jusque dans les années 80. C'est aussi le cas de la société Manurhin, basée à Mulhouse et qui espère des retombées industrielles de cet appel d'offre.

Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian avait estimé en juin 2014 à l'Assemblée nationale qu'il était "très ouvert à ce que des entreprises françaises répondent d'une manière ou d'une autre à cet appel d'offres, et je les incite fortement à le faire".

Les deux sociétés attendent également l'appel d'offre portant sur le MCO du futur fusil d'assaut des militaires français et de la distribution des pièces détachés. Nexter mais aussi Manurhin ont des atouts au regard des enjeux de sécurité d'approvisionnement de l'armée française, très souvent en opération extérieure, grâce à un soutien régulier des fusils d'assaut.

Un débat de souveraineté nationale

La France ne produisant plus d'armes de petit calibre depuis la fermeture de l'usine de Tulle, le successeur du FAMAS sera étranger. Ce qui suscite un débat politique. En janvier 2015, le député Philippe Vitel (Les Républicains), estimait que "nous devions réfléchir à la manière d'exercer notre souveraineté" dans le domaine de la défense. Et d'expliquer : "je suis inquiet car, pour la première fois dans l'histoire, depuis trois cents ans, lorsque nous aurons à remplacer le FAMAS, les armées seront dotées d'un fusil qui ne sera pas français. Nous devons nous interroger sur ce qui doit rester dans le domaine national et ce qui peut être ouvert".

"En cette année de centenaire (de la Première Guerre Mondiale, ndlr), rappelant le sacrifice de nos soldats armés de leurs fusils Lebel, ne soyez pas le ministre de la Défense qui, pour la première fois de notre histoire, prendrait la décision d'équiper nos fantassins d'un fusil étranger", avait pour sa part interpelé au printemps 2014 le député Philippe Meunier (Les Républicains). Jean-Yves Le Drian avait répondu : "Conformément à la réglementation, nous avons dû lancer un appel d'offres européen, puisque, avec les nouveaux dispositifs, nous y sommes tenus. Les entreprises françaises capables de produire directement ce type d'armement il y a une quinzaine d'années ne le font plus ou ont été fermées ; je pense à la manufacture d'armes de Saint-Étienne et à l'atelier munitionnaire du Mans de GIAT-Industries. Il n'y a plus en France ce type d'activités".

Le patron de Manurhin, Rémy Thannberger, dans un entretien accordé en février dernier au  quotidien "L'Alsace", avait pour sa part estimé que la France "dépendait de l'étranger. Cette situation suscite de plus en plus d'inquiétudes et de débats dans les milieux autorisés. Et ce qui n'était plus considéré comme stratégique hier pourrait bien le redevenir".