Les dessous de la prise de contrôle de STX France par Fincantieri

Par Michel Cabirol  |   |  1439  mots
Le chantier naval italien Fincantieri a réussi à mettre la main sur STX France. Un nouvel accord-cadre signé entre Paris et Rome donnera lieu à l'acquisition par Fincantieri de 50 % du capital de STX France, tandis que l'État français conservera sa participation de 34,34 %. Grâce à un prêt à à long terme de l'Etat français de 1% du capital, Fincantieri sera majoritaire.

Tout ça pour ça... Le chantier naval italien Fincantieri a réussi, à l'issue d'une crise diplomatique entre la France et l'Italie, à mettre la main sur STX France. Avec des conditions, comme c'était déjà le cas lors de l'accord accepté par François Hollande, mais avec des différences.

Ce nouvel accord-cadre qui se revendique équilibré donnera tout d'abord lieu à l'acquisition par Fincantieri de 50 % du capital de STX France, tandis que l'État français (via l'Agence des participations de l'Etat) conservera sa participation de 34,34 %. En outre, Naval Group va acquérir une participation minoritaire de 10 %. Enfin, 2% du capital seront proposés aux salariés et 3,66 % à un groupe de sociétés locales.

Fincantieri disposera de 51% du capital de STX France

Pourquoi donc Fincantieri prend la main? Parce que l'État français prêtera à long terme 1 % du capital de STX France à Fincantieri, "tout en gardant la possibilité de mettre fin à ce prêt pendant une période de trois mois au terme d'une durée de deux ans, cinq ans, huit ans et douze ans suivant la transaction", a expliqué mercredi le communiqué commun franco-italien. Au cas où la France déciderait de mettre fin au prêt, une consultation se tiendrait entre les deux gouvernements. Une façon pour tout le monde de sortir la tête haute...

Si Fincantieri ne respecte pas "ses obligations en matière de respect des règles de gouvernance, de préservation de la propriété intellectuelle et des savoir-faire, d'appui au développement des chantiers navals, de préservation de l'emploi et des sous-traitants et d'égalité de traitement au sein du groupe", l'Etat français pourra mettre un terme à cet accord. Dans son projet industriel, Fincantieri s'est engagé à rechercher des synergies et à optimiser les capacités de production et d'ingénierie au bénéfice de STX France. Paris évaluera si ces collaborations et synergies ont créé de la valeur pour les Chantiers navals. En matière d'emploi, l'État français vérifiera, au cours de la période de cinq ans qui suivra la transaction, l'absence de plan social et le respect du plan d'embauche sur trois ans.

Enfin, la France s'assurera du respect de l'engagement de Fincantieri qui s'engage à ne pas effectuer de transfert de technologie, de savoir-faire ou de droits de propriété intellectuelle en dehors de l'Europe, et en particulier vers la Chine, ni à concéder de licence autorisant l'utilisation des éléments précités. Elle appréciera également la mise en œuvre d'un plan d'investissement cohérent ainsi que les possibilités de diversification offertes aux chantiers navals.

Co-contrôle de STX France?

Les principales conditions de l'accord seront formalisées dans le pacte d'actionnaires final et dans le contrat d'acquisition d'actions de STX France, qui doit être signé dans les semaines à venir, après consultation du comité d'entreprise. Toutes les autres modalités déjà convenues par les parties, notamment tous les engagements de nature industrielle, financière et opérationnelle pris par Fincantieri dans le protocole d'accord du 12 avril et dans la dernière version provisoire du pacte d'actionnaires (notamment les clauses en matière de majorité qualifiée, de cession d'actions et de manquements) sont confirmées, tout comme l'ensemble des droits particuliers accordés à l'APE et à Naval Group à titre de protection, en tenant compte de la nouvelle structure de capital.

Selon nos informations, Naval Group disposerait d'un droit de veto au conseil d'administration de STX France. En outre, Fincantieri ne pourra pas se lancer dans la construction militaire avec STX France à l'exception des commandes passées par la France telles qu'un nouveau porte-avions et des pétroliers ravitailleurs ou encore de commandes export concernant des Bâtiments de projection et de commandement (BPC) de type Mistral. Enfin, Naval Group pourra détenir jusqu'à 15,66 % du capital de STX France si la mise en œuvre du plan de rachat par les salariés et/ou la reprise par un groupe de sociétés locales ne peuvent aboutir.

S'agissant de la gouvernance, le conseil d'administration sera composé de quatre administrateurs nommés par Fincantieri (y compris le président et le PDG), de deux administrateurs nommés par l'État français, d'un administrateur nommé par Naval Group et d'un administrateur nommé par les salariés. Le président du conseil disposera d'une "voix prépondérante".

Vers une alliance franco-italienne dans le naval militaire

Dans leur déclaration conjointe publiée le 1er août 2017, les gouvernements français et italien avaient annoncé qu'ils partageaient l'objectif d'avancer vers une Alliance forte entre les deux pays, à la fois dans le domaine civil et militaire. C'est confirmé par le nouvel accord-cadre : "Rapprocher les forces de Fincantieri, de Naval Group et de STX France permettrait de créer un leader européen d'envergure mondiale qui aurait pour objectif d'être le plus grand exportateur du monde sur les marchés civils et militaires, avec une activité significative dans les systèmes et les services", a expliqué l'accord cadre.

Hervé Guillou peut se réjouir mais le chemin reste encore très long et semé d'embûches. Et le "souhait de faciliter la création d'une industrie navale européenne plus efficace et plus compétitive" reste toujours à démontrer. Aujourd'hui aucun programme franco-italien dans le domaine naval est en cours. Ni dans un futur proche. Pour autant, précise l'accord-cadre, à chaque fois que la France et l'Italie envisageront des investissements dans de nouveaux programmes militaires, ils s'efforceront de lancer des programmes communs.

C'est dans ce cadre que Naval Group et Fincantieri "vont étudier les modalités de la mise en place d'une Alliance progressive, ambitieuse et équilibrée". Outre les deux groupes navals, ce projet complexe mettra à contribution toutes les parties prenantes concernées : les actionnaires, les partenaires industriels, les clients, les employés.... En outre, au regard des importantes répercussions de ce processus sur les intérêts stratégiques nationaux, les gouvernements français et italien devront "faire preuve d'engagement et fournir des éléments de cadrage", précise l'accord-cadre.

Une feuille de route en juin 2018

Dans cet esprit, ce projet va devoir être conduit "en plusieurs étapes et être dirigé par un comité de pilotage conjoint", composé de six membres : deux représentants de l'Italie, deux représentants de la France et les deux PDG de Fincantieri et Naval Group. D'ici à fin juin 2018 et après consultation des principaux partenaires et actionnaires des deux groupes, le comité de pilotage sera chargé de proposer aux deux gouvernements une feuille de route à moyen et long terme, décrivant les modalités du projet de la France et  de l'Italie dans le secteur naval.

Ce document définira notamment la gouvernance, la structure et l'organisation de l'Alliance, des lignes directrices pour les politiques gouvernementales qui soutiendront le projet, les modalités de prise en compte des intérêts de toutes les parties prenantes dans la construction de cette alliance et les conditions financières du processus de convergence et des actifs inclus dans son périmètre. Concernant l'organisation, la feuille de route devra préciser les domaines qui nécessiteront un traitement spécial pour des raisons de souveraineté et les domaines où la coopération sera potentiellement la plus avantageuse pour les deux parties. Elle devra également déterminer "des possibles interdépendances" entre les deux pays et "un processus de convergence en matière de contrôle des exportations et de sécurité". Ce qui ne sera pas une mince affaire au regard des facilités de l'Italie à jouer avec les règles OCDE.

Enfin, l'accord cadre prévoit d'analyser la possibilité et les modalités d'un échange de titres entre les deux groupes à hauteur de 5% à 10 % de leur capital respectif. En outre,  des mesures concrètes visant à développer les synergies seront définies et présentées aux deux gouvernements. Cette feuille de route devrait prévoir "la création d'une coentreprise équilibrée" au sein de laquelle des projets communs seraient progressivement élaborés, en priorité les plateformes ainsi que les systèmes et équipements des navires de surface. Une alliance équilibrée qui est depuis des années la stratégie romantique de la France en matière de coopérations européennes. Une stratégie qui en général, se fracasse sur la dure réalité de la compétition entre pays européens. L'exemple d'Airbus en est l'exemple le plus probant. Où est la France au sein du constructeur aéronautique? Et si nous prenions enfin exemple sur les Allemands pour qui une alliance 50-50 est déjà un 51-49...