Les trois défis majeurs du futur avion de combat européen

Par Michel Cabirol  |   |  1393  mots
Le pari du SCAF ou de la vassalité aux Etats-Unis ? (Crédits : DR)
Volonté politique sans faille, maîtrise d’œuvre industrielle forte et innovations technologiques seront les trois défis du programme SCAF. Le système de combat aérien du futur sera l'un des thèmes du Paris Air Forum qui se tiendra le 21 juin au Toit de la Grande Arche de La Défense à Paris.

Pour pouvoir décoller dans le ciel du Vieux-Continent à l'horizon 2035, le futur avion de combat européen va devoir "traiter" trois énormes défis : se battre pour voler aux côtés du F-35, trouver le bon équilibre entre l'Allemagne et la France en matière de coopérations industrielles (Dassault Aviation et Airbus) et de convergences des besoins et, enfin, réussir, non pas seulement un programme d'avion de combat mais un système de systèmes (avions de combat pilotés, drones, futurs missiles de croisière et autres armements, moyens spatiaux, système de commandement et de contrôle, de renseignement....). Angela Merkel et Emmanuel Macron, qui se retrouvent ce mardi au nord de Berlin, devraient solidifier les fondations de ce programme ayant vocation à succéder au Rafale et à l'Eurofighter à l'horizon 2040.

Car les trois défis requièrent une volonté politique de Paris et de Berlin sans faille sur le long terme, y compris sur le plan budgétaire, et une assurance de cocher toutes les cases dans le domaine de l'innovation technologique pour gagner in fine le pari de la performance de ce programme majeur pour le souveraineté de la France. Car jusqu'à sa mise en service, ce projet va être semé de traquenards, de mines et autres joyeusetés pour le torpiller. Car les Etats-Unis n'en veulent surtout pas. Ils seront aidés par des pays européens au mieux indifférents, au pire, adversaires du programme, en étant instrumentalisés et/ou pilotés par Washington et Lockheed Martin. La guerre a déjà commencé depuis longtemps.

Le pari du SCAF ou de la vassalité aux Etats-Unis ?

Cinq pays européens (Norvège, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni, Italie), dont quatre font partie de l'Union européenne, ont déjà embarqué les yeux fermés sur le F-35... Deux autres pays - la Belgique, au cœur de l'Europe, et la Finlande -, qui ont récemment lancé des appels d'offres, hésitent encore malgré les dérives technologiques et financières du programme de Lockheed Martin. Sans oublier la Suisse, qui a le choix entre trois avions de combats européens (Eurofighter, Gripen et Rafale) et deux américains F/A-18 Hornet et F-35). Source de nombreux conflits entre le Pentagone et Lockheed Martin, le F-35 est pourtant l'un des programmes militaires les plus chers de l'histoire, avec un coût estimé au total à près de 400 milliards de dollars.

Mais jusqu'ici cela n'a pas fait reculer les pays européens. D'autant qu'en général, entre l'Europe de la défense et la défense de l'Europe par les Etats-Unis, la plupart des pays du Vieux-Continent ont depuis longtemps choisi Washington. Seuls six pays européens ne volent pas avec des appareils américains : Allemagne et Autriche (Eurofighter), France (Rafale), Hongrie, République Tchèque et Suède (Gripen). Pour le chef d'état-major de l'armée de l'air le général André Lanata, le choix du F-35 par des partenaires est une "préoccupation" car "le F-35 va constituer rapidement un standard de référence dans les armées de l'air mondiales, pas uniquement aux États-Unis mais aussi chez nos principaux partenaires", a-t-il expliqué en juillet 2017.

"Le F-35, qui ne peut être associé qu'à d'autres F-35 aujourd'hui, constitue un système fermé, une sorte de norme à lui tout seul, a-t-il confirmé en février dernier à l'Assemblée nationale. Ce n'est pas satisfaisant, car il n'est pas logique de devoir acheter des F-35 pour travailler en pleine association et avec efficacité avec ces avions".

Pour tuer le projet SCAF (Système de combat aérien du futur) et, au-delà, l'industrie aéronautique militaire européenne, Washington a ciblé l'Allemagne, et plus précisément l'armée de l'air allemande très tentée par le F-35. Les Etats-Unis ont mis dans la balance la mission nucléaire de l'Allemagne dans le cadre de l'OTAN. Jusqu'ici les Tornado allemands peuvent mettre en œuvre la bombe B61. Séduite, la Luftwaffe a effectué plusieurs allers-retours aux Etats-Unis pour forcer le verrou politique allemand. Le chef d'état-major de la force aérienne allemande, le général Karl Müllner, n'avait pas caché en novembre dernier, sa préférence pour le F-35A en vue de remplacer les vieux Tornado. "Si les Allemands achètent le F-35, nous sommes mal partis pour la coopération future, avait estimé en février dernier à l'Assemblée nationale le Délégué général pour l'armement Joël Barre. Si nous essayons d'impulser cette coopération européenne, il faut que nos partenaires nous suivent ». Jusqu'ici Berlin n'a pas cédé. Angela Merkel a même donné son feu vert pour lancer en franco-allemand le projet SCAF sous maîtrise d'œuvre française. Et Karl Müllner a été poussé à prendre sa retraite fin mai.

Quel industriel aux commandes du SCAF ?

Pour réussir ce projet de très grande envergure, Airbus et Dassault Aviation sont condamnés à s'entendre. La France a pris le manche du SCAF en contrepartie du leadership allemand sur le drone Male européen et le futur char de combat (MGCS). "Quand il y a coopération (industrielle), les nations doivent décider, il y a toujours une nation leader (...) pour le SCAF ce sera la France", a confirmé en mai la ministre allemande de la Défense, Ursula Von der Leyen. Le ministère des Armées a pour sa part précisé que "l'idée est de construire un programme en capitalisant sur les compétences existantes". Dassault Aviation devrait logiquement et légitimement prendre la maîtrise d'œuvre de ce programme, majeur pour l'Europe. Mais déjà, chez Airbus, certains estiment que "le leadership étatique n'implique pas nécessairement un leadership industriel, surtout lorsqu'un industriel franco-allemand (Airbus) est de la partie". Cette contestation du leadership de Dassault Aviation sera-t-il le ver dans le fruit...

L'approche de système de systèmes, fondée sur la mise en réseau de plateformes, pourrait toutefois contribuer à accélérer la consolidation d'une base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne de l'aéronautique de combat. Pour autant, l'industrie française doit assumer un rôle central dans ce mouvement au regard des investissements consentis depuis de plus de 60 ans.

A quoi ressemblera ce futur système de systèmes ?

Le SCAF a pour objet faire fonctionner en réseau les systèmes le constituant : avions, drones de combat, moyens spatiaux futurs missiles de croisière et autres armements, système de commandement et de contrôle, de renseignement. Le système aérien du futur devra être "un système de systèmes, avec différentes plateformes en réseau : Il n'y aura plus un avion mais une patrouille mixte avec des avions, des drones - de combat ou de reconnaissance - , des missiles hypervéloces et quelque part un AWACS ou le successeur de l'AWACS", explique-t-on à la DGA.

Ainsi ce système complet ne pourra fonctionner que s'il partage complètement toutes les informations et s'il est capable de mettre en place un véritable combat collaboratif. Ce système pourra décider en fonction de la menace ou de l'évolution de la situation quelle plateforme va attaquer (drone, missile) et celle qui reste en arrière. La guerre du futur consistera plus à une bataille "d'un réseau face à un réseau", précise-t-on à la DGA. "Au lieu de raisonner exclusivement sur le développement des plateformes, je préconise, à ce stade de la réflexion, une approche également centrée sur l'architecture du système dans son ensemble", a expliqué le général André Lanata.

"Un avion de combat ne produit pas à lui seul les effets nécessaires. Il est dépendant en particulier des informations dont il dispose : cela nécessite de combiner des capteurs, des armements, des moyens de surveillance, des moyens et des normes de communication souvent à très longue distance mais aussi l'appui du ravitaillement en vol, des moyens de détection aéroportés, etc, a-t-il précisé. Il faut donc commencer par évaluer les architectures système et la norme d'échange du système de nature à répondre à nos besoins opérationnels. Nous serons ainsi en mesure de déterminer sur quels secteurs nous devons concentrer nos investissements".