Mais que va faire le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers ?

Par Michel Cabirol  |   |  1311  mots
"Parce que tout le monde a ses insuffisances, personne ne mérite d'être aveuglément suivi", a estimé le général Pierre de Villiers
Restera-t-il ou pas à la tête des armées? C'est le chef d'état-major des armées qui maîtrise aujourd'hui le tempo. C'est aussi la première crise majeure du quinquennat d'Emmanuel Macron.

Que va faire le chef d'état-major des armées (CEMA)? Le général Pierre de Villiers va-t-il démissionner comme c'était plutôt la tendance encore en fin de weekend? Ou rester non pas pour s'accrocher mais pour défendre jusqu'au bout les armées et les militaires dont il a la responsabilité, face à Bercy? Réponse au plus tard vendredi lors de sa rencontre en tête-à-tête à l'Elysée avec Emmanuel Macron, qui lui a reproché de façon très inélégante d'avoir exprimé son désaccord sur les coupes budgétaires que doit supporter le ministère des Armées en 2017 (850 millions d'euros). Parfaitement dans son rôle, le général Pierre de Villiers a jugé la trajectoire budgétaire "non tenable".

Comme l'a révélé La Tribune dès mercredi matin, le chef d'état-major des armées était furieux contre cette décision lors de son audition à l'Assemblée nationale. En off, il avait même lâché aux députés : "Je ne me laisserai pas b..... comme cela" par Bercy. Ces propos ont toutefois fuité et ont été repris par toute la presse. "Je regrette que ces propos soient parus dans la presse. C'était à huis clos, j'avais demandé à tous mes collègues de tenir la confidentialité de ces propos", a expliqué le président  de la commission de la défense de l'Assemblée nationale Jean-Jacques Bridey (La République en marche). Mais "je comprends le raisonnement du chef d'Etat-major qui est un excellent officier général, un excellent chef d'Etat-major, apprécié des armées et qui travaille en toute confiance avec le chef de l'Etat et le ministre", a-t-il assuré.

Nouvelle passe d'armes

Ni le président de la République, ni le chef d'état-major des armées n'ont encore désarmé en dépit des appels aux cessez-le-feu depuis le très (trop) violent recadrage en public d'Emmanuel Macron dans les jardins de l'Hôtel de Brienne contre le général de Villiers, aujourd'hui apprécié par les Français. Dimanche, le Chef de l'Etat, cité par le Journal du dimanche (JDD), a estimé que rien ne doit opposer le président de la République et le chef d'état-major des armées trois jours après le premier recadrage du général Pierre de Villiers.

" La République ne marche pas comme cela", a affirmé le président au JDD. "Si quelque chose oppose le chef d'état-major des armées au président de la République, le chef d'état-major des armées change".

De son côté, le chef d'état-major des armées a disserté sur Facebook sur la confiance. Il conclut sur cette recommandation : "Parce que la confiance expose, il faut de la lucidité. Méfiez-vous de la confiance aveugle ; qu'on vous l'accorde ou que vous l'accordiez. Elle est marquée du sceau de la facilité. Parce que tout le monde a ses insuffisances, personne ne mérite d'être aveuglément suivi. La confiance est une vertu vivante. Elle a besoin de gages. Elle doit être nourrie jour après jour, pour faire naître l'obéissance active, là où l'adhésion l'emporte sur la contrainte".

Appel aux cessez-le-feu, Parly silencieuse

Emmanuel Macron souffle le chaud mais aussi le froid. Conscient peut-être des dégâts et du trouble (y compris dans sa majorité) que pourrait représenter une démission du chef d'état-major des armées, il a envoyé ses troupes devant la presse pour affirmer que le général Pierre de Villiers garder malgré cet épisode la confiance de l'exécutif. Après Edouard Philippe vendredi, le porte-parole du gouvernement a estimé lundi sur France Info que le "rappel à l'ordre" du chef d'état-major des armées par Emmanuel Macron n'annonce pas forcément une démission de Pierre de Villiers.

Interrogé sur une éventuelle démission du chef d'état-major, Christophe Castaner a répondu qu'il "n'y a pas de logique" en la matière. "C'est un militaire : il sait aussi le sens de l'autorité", a-t-il dit. "Je pense qu'un militaire sait aussi que le rappel à l'ordre est nécessaire dans le management entre deux hommes qui vont discuter, se voir, échanger. Ils prendront une décision ensemble".

Mais le général Pierre de Villiers est un homme libre... "Le président de la République lui a confirmé sa confiance en le prorogeant dans ses fonctions", a rappelé Christophe Castaner. Le général Pierre de Villiers a été maintenu jusqu'au 31 juillet 2018 à la tête des armées par un décret de la ministre des Armées, Florence Parly, paru mercredi dernier au Journal officiel. "Quand vous êtes chef, de temps en temps, il faut aussi montrer votre autorité", a toutefois estimé lundi  le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner.

Ce "rappel à l'ordre" n'est "pas une défiance" ni "une mise en cause", a-t-il poursuivi, "mais le président de la République a tenu à rappeler q'il était le chef des armées, et le chef des armées n'est pas sous l'influence de qui que ce soit". A la question Pierre de Villiers peut-il rester en fonction ? Le Premier ministre avait répondu sur BFMTV, après le défilé militaire du 14 juillet sur les Champs-Elysées: "bien entendu. Vous savez, un message, quand il est exprimé par un chef, est formulé de façon forte et claire et il est reçu". En revanche, la ministre des Armées Florence Parly est aux abonnées absentes dans cette première crise majeure du quinquennat.

Fronde dans la majorité?

Dans la majorité, certains députés ne cachent pas leur désarroi. "Je suis consterné par les arbitrages et le ton du discours (d'Emmanuel Macron), dit l'un d'entre eux. Exactement ce qu'il ne fallait pas faire...". Le président  de la commission de la défense de l'Assemblée Jean-Jacques Bridey ne va pas jusque là mais "regrette" le "choix" d'imposer 850 millions d'euros d'économies au ministère des Armées en 2017. "C'est un choix. Personnellement, je le regrette, surtout quand je vois l'explication qui a été donnée par Bercy, puisqu'on nous dit qu'il faut faire 4 et quelques milliards d'économies mais que dans le même temps, on ouvre 1,5 milliard d'ouverture de crédit pour la capitalisation d'Areva", a expliqué le 14 juillet Jean-Jacques Bridey sur RFI.

"Je trouve un peu délicat de donner cette explication, et je comprends que les armées se (le) disent, alors que nos hommes risquent leur vie tous les jours sur les théâtres d'opération... On leur demande de faire des sacrifices budgétaires, des coupes budgétaires, pour recapitaliser une société qui est certes importante, mais on aurait pu trouver un autre moyen", a poursuivi le député du Val-de-Marne.

Mercredi, le député la République en Marche du Morbihan, Gwendal Rouillard estimait sur la chaîne BFM Business "la proposition du ministère des Finances est inacceptable, carrément inacceptable". "On ne peut dire d'un côté qu'on doit protéger nos concitoyens en raison aujourd'hui de l'état de la menace et dans le même temps au premier coup de rabot budgétaire se planquer et assumer ce genre de décisions. Moi je ne l'assumerai pas"... Pour sa part, le député LREM Jean-Charles Larsonneur a estimé qu'"entamer ce quinquennat par une entaille de 900 millions d'euros dans le budget de la défense appelle à une certaine vigilance alors que 55% des Français considèrent que celui-ci est insuffisant pour que les Armées puissent remplir leurs missions au demeurant toujours plus nombreuses". Aussi une démission du général de Villiers pourrait jeter un peu plus le trouble dans la majorité d'Emmanuel Macron...