Mégacontrat armement : le Qatar choisit l'Italie aux dépens de la France

Par Michel Cabirol  |   |  730  mots
La frégate de taille intermédiaire (FTI) n'accostera pas au Qatar, qui a préféré des corvettes italiennes
Le chantier naval Fincantieri et l'électronicien Leonardo (ex-Finmeccanica) vont signer ce jeudi un protocole d'accord avec le Qatar pour la vente de cinq navires de guerre. Une commande estimée à 5 milliards d'euros.

Et les Qataris ont fini par contredire François Hollande, qui avait assuré en juin 2014 au moment des négociations pour le Rafale que "le Qatar a toujours fait les choix pour son armée de la technologie française". Plutôt que DCNS, le Qatar a finalement sélectionné Fincantieri. Selon plusieurs sources concordantes, le chantier naval italien va signer ce jeudi un protocole d'accord (Memorandum of Understanding, MoU) avec le ministre de la Défense du Qatar, Khaled ben Mohamed al-Attiya. Ce contrat baptisé Protector est estimé à 5 milliards d'euros et porte sur la vente de quatre corvettes et de trois autres navires d'accompagnement - un bâtiment de transports de chaland de débarquement (LPD) et deux navires de surveillance (OPV) - avec des capacités anti-aériennes.

En France, personne n'a vu venir cette cérémonie, qui a été organisée rapidement, explique-t-on à Paris. Pas sûr pour autant que DCNS dépose les armes tant qu'un contrat n'est pas signé entre Doha et Fincantieri. Il est à noter qu'Airbus Helicopters attend depuis plus de deux ans, la signature d'un contrat portant sur la vente de 22 NH90 après le MoU signé en mars 2014 avec Doha.

Lacunes italiennes, offre française séduisante

Toutefois, c'est une très grosse déception pour la France et son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, qui s'était beaucoup investi pour convaincre les Qataris de la qualité de l'offre française. Le ministre avait même réussi à convaincre fin mars lors du salon naval de défense (DIMDEX) les autorités qataries de ne pas annoncer leur choix en faveur des Italiens lors du salon de Doha. Ce qui avait provoqué une très grosse colère de la ministre de la défense italienne, Roberta Pinotti à DIMDEX, revenue bredouille en Italie. "J'étais parti à Doha pessimiste, je suis revenu un peu plus optimiste", avait quant à lui expliqué quelques jours plus tard Jean-Yves Le Drian à La Tribune.

Paris avait alors pointé les très grosses lacunes de l'offre de Fincantieri en matière ATBM (défense antimissile balistique) tout en soulignant la maîtrise de cette capacité par les industriels tricolores. Une capacité demandée initialement par le Qatar. En outre, la France proposait son arme "différenciante", le Scalp naval qui fait saliver beaucoup d'armées dans le monde. Mais pas le Qatar bizarrement. Le missile de croisière aurait armé les trois frégates de taille intermédiaire (FTI) proposées par la France. Enfin, l'offre française avait retenu l'attention du pouvoir en général et de l'émir en particulier. Mais au final, le Qatar a choisi une offre classique de système de défense aérienne qui vont armer des navires plus petits (corvettes de 90 mètres) que les FTI

Avec l'Italie, MBDA gagne aussi

Moins performante, l'offre italienne a été pourtant sélectionnée par le Qatar, qui aura également beaucoup moins de garantie en termes d'accord stratégique. Mais les Italiens ont finement joué en soutenant un grand projet de musée archéologique au Qatar auquel tient beaucoup l'émir Tamim ben Hamad Al Thani et dans lequel baignent notamment Fincantieri et Leonardo (ex-Finmeccanica). Fin janvier, l'émir était à Rome où il a rencontré plusieurs grands patrons, dont ceux de Leonardo et Fincantieri. Certains s'interrogeaient d'ailleurs sur la concomitance des deux projets. En outre, les italiens avaient curieusement réussi à convaincre tout le comité de sélection

Une victoire italienne qui bénéficie toutefois à MBDA et Thales (système de conduite de tir et autodirecteur). De toutes les façons, les deux groupes gagnaient à tous les coups. Les offres françaises et italiennes proposaient au Qatar le missile Aster 30, celui de Fincantieri dans sa version anti-aérienne, celui de DCNS dans sa version antibalistique.

Doha veut des F-15

Enfin, le Qatar fait le forcing auprès des États-Unis pour acheter une trentaine de F-15 après l'acquisition de 24 Rafale en mai 2015. Tout dépendra de l'autorisation du congrès américain. Sinon, Doha a un plan B qui porte sur l'achat de Typhoon pour diversifier ses approvisionnements en armes. En outre, le Qatar a récemment évoqué pour la première fois en présence des autorités françaises l'exercice de l'option portant sur l'acquisition de 12 Rafale supplémentaires. Une promesse séduisante pour Paris...