Mistral : quelles conséquences pour la France ?

Par Michel Cabirol  |   |  1355  mots
La France a--il signé un bon accord avec l'abrogation de la vente des deux Mistral à la Russie?
A priori, la France, qui a déjà versé les 949,7 millions d'euros à la Russie, a signé un bon accord avec Moscou. Mais elle ne semble pas à l'abri d'une demande à un droit à indemnisation de la part de sociétés lésées.

Quelles conséquences économiques, sociales, financières et juridiques pour la France ? Selon l'étude d'impact du projet de loi sur l'abrogation de la vente de deux Bâtiments de projection et de commandement (BPC), de type Mistral, à la Russie ne comporte aucun risque pour l'Etat français.

Engagées dès la fin février, les négociations ont abouti le 5 août dernier à la signature à Moscou de l'accord portant sur le règlement des obligations liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011 entre la France et la Russie relatif à la coopération dans le domaine de la construction de BPC ainsi que de l'accord sous forme d'échange de lettres entre les deux gouvernements sur le règlement des obligations complémentaires liées à la réalisation de l'accord du 25 janvier 2011. L'accord est entré en vigueur à la date de sa signature.

Des conséquences économiques et sociales et financières?

L'accord conclu entre la France et la Russie n'a pas de conséquence économique pour les industriels français, qui bénéficient d'une couverture de la Coface, ni par conséquent en termes d'emploi, compte tenu que les deux BPC ont déjà été achevés par DCNS.

Cet accord prévoit donc le versement par la France à la Russie de la somme de 949,7 millions d'euros. Cette somme correspond à la restitution des sommes avancées par la Russie pour l'achat des deux BPC (893 millions d'euros) et à des dépenses occasionnées par la formation des équipages et le développement de matériels spécifiques par la Russie (56,7 millions d'euros). "La seule condition posée par la Partie russe était de percevoir cette somme dans les meilleurs délais", souligne l'étude d'impact du projet de loi. Et selon l'exigence des Russes, la France a donc déjà payé dès le 5 août.

"La Partie française paye à la Fédération de Russie les sommes d'un montant total de 949 754 859 euros à titre de compensation le jour de l'entrée en vigueur de l'Accord entre le gouvernement de la Fédération de Russie et le gouvernement de la République française portant sur le règlement des obligations liées à la cessation de l'Accord du 25 janvier 2011 entre le gouvernement de la Fédération de Russie et le gouvernement de la République française relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement, selon le courrier du Vice-Premier ministre de la Fédération de Russie, Dmitri Rogozine, adressé le 5 août au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale de la République français, Louis Gautier.

Face aux demandes de la Russie, la France a pu faire valoir qu'elle n'entendait rembourser que les seules dépenses directement liées à la construction des BPC. Ainsi, la somme convenue ne comporte ni indemnités, ni frais financiers, ni pénalités de retard, ni dédommagement de coûts afférents à d'autres programmes, tels que la navalisation des hélicoptères Kamov Ka-52K que les BPC devaient accueillir ou l'aménagement des quais de la base navale d'Oulisse à Vladivostok.

Le règlement à l'amiable entre les deux pays permet d'éviter également les frais importants liés à une éventuelle procédure arbitrale interétatique. En effet, l'accord du 25 janvier 2011 prévoyait qu'en cas de différend relatif à son application, le litige pouvait in fine être soumis à un tribunal arbitral.

Des conséquences juridiques ?

S'agissant des engagements internationaux de la France, cet accord permet d'éteindre toutes les obligations nées de l'accord du 25 janvier 2011, lequel est donc abrogé. Ainsi, "chaque partie renonce à former tout recours à l'encontre de l'autre partie, au titre de l'accord du 25 janvier 2011, notamment en matière de droit de propriété ou financière".

Cet accord offre également à la France toutes les garanties juridiques nécessaires pour procéder à la revente des bâtiments. D'une part, "la Russie reconnaît, dans l'accord portant sur le règlement des obligations liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011, qu'elle n'exerce aucun droit de propriété sur les bâtiments". D'autre part, aux termes de l'accord par échange de lettres, sous réserve du versement des sommes prévues et de la restitution à Russie des fournitures gouvernementales russes reçues pour la construction des deux navires, la France est libre de revendre les bâtiments à un État tiers, "après simple information préalable de la partie russe".

Enfin, afin de protéger la propriété intellectuelle des informations et technologies échangées par la France et la Russie, l'accord par échange de lettres précise que les parties ne pourront transférer, sous quelque forme que ce soit, à des tiers les savoir-faire et transferts de technologies reçus de l'autre partie au cours de la réalisation de l'accord du 25 janvier 2011 sans l'accord préalable de l'autre partie. Cette clause permet ainsi de se prémunir contre toute dissémination des savoir-faire et technologies français.

Respect des engagements européens de la France?

Avec cet accord conclu avec la Russie, la France va au-delà de la décision du Conseil de l'Union européenne, du 31 juillet 2014, qui mettait en œuvre des mesures restrictives à la suite des actions de déstabilisation de la Russie en Ukraine. Notamment cette décision interdisait la vente à la Russie de biens et matériels de guerre, ainsi que de biens à double usage. Toutefois, cette interdiction n'était applicable qu'aux contrats conclus après le 1er août 2014. Ce qui n'était donc pas applicable au contrat signé le 10 juin 2011 entre DCNS et Rosoboronexport (ROE). En conséquence, le gouvernement français ne pouvait se fonder valablement sur ses engagements européens pour refuser la délivrance à DCNS d'une licence d'exportation de matériels de guerre en vue de la fourniture des BPC à la Russie.

En revanche, la décision française de ne pas accorder à DCNS de licence d'exportation pour la fourniture des BPC à la Russie est conforme aux principes rappelés en préambule de la décision du Conseil de l'Union européenne, du 8 décembre 2008, définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d'équipements militaires. Dès lors, en permettant de régler les conséquences des décisions françaises de refus de licence d'exportation, l'accord du 5 août participe "dans l'esprit, à la bonne mise en œuvre des engagements européens de la France", souligne l'étude d'impact.

Ainsi, la France au même titre que les autres Etats membres s'est engagée à "refus[er] l'autorisation d'exportation [de technologie et d'équipements militaires] s'il existe un risque manifeste que le destinataire envisagé utilise la technologie ou les équipements militaires dont l'exportation est envisagée de manière agressive contre un autre pays ou pour faire valoir par la force une revendication territoriale. Lorsqu'ils examinent ces risques, les États membres tiennent compte notamment de [...] la nécessité de ne pas porter atteinte de manière significative à la stabilité régionale".

En outre, dans le cadre du règlement pour solde de tout compte, il a été introduit une stipulation précisant que l'application de cet accord n'ouvrait aucun droit à indemnisation au profit des tiers. Cette clause est destinée à prévenir l'éventuel développement de contentieux de la part de sociétés commerciales affectées par la non-livraison des navires ou d'autres tiers qui pourraient s'estimer victimes d'un préjudice.

Sa portée est cependant limitée. D'une part, elle exclut uniquement l'indemnisation des préjudices directement nés de l'application du présent accord. D'autre part, la Russie a fait son affaire de la répartition entre les sociétés russes intéressées de la somme versée par la France au titre de l'accord conclu et les sociétés françaises intéressées ont bénéficié d'une couverture de leur préjudice par la Coface. "Cette clause n'a donc pas pour effet de les priver d'un droit à indemnisation", selon l'étude d'impact.