Photonis : et maintenant ?

Par Michel Cabirol  |   |  892  mots
Qui pour rependre la PME technologique Photonis (Crédits : Photonis)
Après le veto du gouvernement à la vente de Photonis à un groupe américain, quels sont les scénarios sur l'avenir de cette PME technologique.

Quel avenir pour Photonis dès lors que l'Etat a mis son veto sur la vente de cette pépite française à un groupe américain ? Au-delà d'un signal clair au marché (les technologies stratégiques françaises protégées), les regards se tournent logiquement vers Safran et Thales, qui avaient déjà été sollicités cet automne. Ces deux fleurons de l'aéronautique française avait alors décliné l'offre. "On va les travailler au corps et il ne faut pas préjuger de ce travail au corps", soulignait-on la semaine dernière dans l'entourage de la ministre des Armées, qui a l'intention de revenir à la charge. Selon nos informations, Safran et Thales restent encore prêts à prendre des participations minoritaires aux côtés d'un ou de plusieurs investisseurs majoritaires. Mais pas à ce niveau de valorisation qu'ils jugent bien trop élevé au regard de l'endettement élevé de Photonis, selon des sources concordantes.

Le ministre de L'Economie Bruno Le Maire a d'ailleurs demandé mercredi dernier à Thales d'étudier un rachat de Photonis : "Nous avons une part du capital dans Thales. Je pense qu'il faut engager la discussion pour voir si une reprise est possible", a-t-il expliqué sur BFM Business.

Clients de Photonis, notamment Thales (Safran préfère s'approvisionner en grande partie avec d'autres technologies), les deux groupes avaient répondu négativement à cette demande :  ils estimaient à l'automne qu'il n'était pas souhaitable de verticaliser un sous-traitant. Car il existe le risque pour ce fournisseur de se couper de ses autres clients maîtres d'oeuvre. En outre, les deux industriels grinçaient des dents à l'idée de gérer des activités dans le portefeuille de Photonis loin de leurs préoccupations. C'est toujours le cas et c'est ce que le ministère des Armées avait compris et accepté, avait-on expliqué alors à La Tribune.

Safran et Thales sur la défensive

Safran et Thales sont donc à nouveau sur la défensive sur ce dossier. Pour plusieurs raisons. Ils craignent que l'Etat se défile une fois lancées les discussions avec Ardian, le fonds propriétaire de Photonis. Surtout ils sont inquiets du silence du gouvernement sur l'identité de l'actionnaire majoritaire de cette PME. "C'est cela qui est vraiment perturbant", souligne-t-on à La Tribune. La banque publique Bpifrance, qui a jusqu'ici fait la sourde oreille sur ce dossier, va être elle aussi sollicitée. "On regarde dans quelle mesure Bpifrance peut prendre un ticket mais, de toute façon, la banque ne bouclera pas le tour de table à elle tout seule", explique-t-on à La Tribune. Ainsi, trois actionnaires minoritaires de ce type pourraient très certainement faciliter et attirer des industriels ou des fonds français (PAI par exemple ?). Très investi sur ce dossier, le ministère des Armées continue de chercher des industriels français pour reprendre Photonis.

En outre, chez Safran, on a toujours en travers de la gorge deux décisions récentes de la direction générale de l'armement (DGA) : la DGA a sélectionné des équipements israéliens (lunettes optroniques et robots mules) alors que Safran Electronics & Defense était aussi en compétition. C'est le Belge OIP Sensor Systems et l'allemand Telefunken-Racom (3.000 lunettes optroniques), en réalité les faux-nez de l'Israélien Elbit, ainsi que Roboteam (robots mules) qui ont été au final sélectionnés. Et résultat, explique-t-on pour le manque d'enthousiasme sur le dossier Photonis, "il a manqué des preuves d'amour" de la part du ministère.

A défaut d'une solution rapide, Bruno Le Maire peut nationaliser Photonis de façon temporaire, le temps de trouver une solution pérenne. Le ministre de L'Economie l'a bien fait pour STX en 2017 afin de "continuer à négocier avec Fincantieri". Enfin, dernière solution, Ardian met son projet de vente de Photonis au frigo. Ce qui serait "la solution optimale" pour le gouvernement et pour Safran et Thales. Mais pas pour Ardian, qui allait toucher un pactole...

Mais où est le fonds souverain français ?

Ce n'est pas nouveau mais le dossier Photonis a une nouvelle fois révélé l'absence d'un fonds souverain français pour protéger la base industrielle et technologique de défense française et renforcer le capital des pépites françaises. D'autant que la banque publique Bpifrance ainsi que l'Agence des participations de l'Etat (APE) ont été complètement absentes et étrangement silencieuses sur ce dossier. Bruno Le Maire doit passer la deuxième sur son projet "Silver Lake", ou "Lac d'Argent" en français. Mubadala, le fonds souverain d'Abu Dhabi, va investir un milliard d'euros dans un projet de fonds d'investissement français, opéré par bpifrance, a annoncé fin février le ministre de l'Economie. Il a vocation à terme à atteindre une dizaine de milliards d'euros. Mais il est temps de joindre les actes à la parole...

L'Agence de l'innovation de défense (AID) souhaite également lancer un fonds, doté de 500 millions d'euros. Les industriels de la défense français ont été sollicités pour abonder ce fonds mais ils ont décliné, selon des sources concordantes. Ils l'ont même récemment expliqué à la DGA et à l'AID : pas question de faire du private equity, via ce fonds. Ce n'est pas leur rôle, ont-ils précisé. Il est vrai qu'ils ont déjà leur outil à l'image de Safran avec Safran Ventures.