Pourquoi Airbus et Berlin se déchirent sur Ariane 6

Par Michel Cabirol  |   |  1188  mots
OHB souhaite obtenir le retour industriel dans le programme Ariane 6 qui était prévu lors de la conférence ministérielle au Luxembourg en décembre 2014
La secrétaire d'État allemande Brigitte Zypries demande à Airbus Safran Launchers et à l'Agence spatiale européenne de respecter les accords de la conférence ministérielle du Luxembourg dans le domaine de la répartition des investissements réalisés dans le cadre d'Ariane 6. Et rappelle que la question de la participation industrielle allemande n'est pas encore réglée.

Entre OHB et Airbus Safran Launchers (ASL), la négociation est musclée, très musclée. Au cœur des discussions, la charge de travail dévolue à OHB, notamment sa filiale MT-Aerospace (MTA) basée à Augsburg en Bavière. En dépit de l'accord validé à la conférence ministérielle en décembre à Luxembourg, ASL remet en cause une partie de la charge de travail accordée à OHB en contrepartie d'une hausse de la contribution de l'Allemagne (23% du financement du programme) lors de la préparation de la conférence ministérielle qui s'est tenue en décembre au Luxembourg.

Ce qui a d'ailleurs fait bondir début mars la secrétaire d'État allemande aux Affaires économiques et à l'Energie, en charge de l'espace, Brigitte Zypries, qui a envoyé un courrier au directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA) Jean-Jacques Dordain, et au PDG d'ASL, Alain Charmeau.

"Les décisions de Luxembourg annonçaient qu'une des deux usines pour la fabrication des boosters d'Ariane 6 seraient construites à Augsbourg. Ceci est et reste une condition essentielle de la participation allemande à ce programme (Ariane 6, ndlr). De plus, il est évident que la répartition des investissements de la part allemande entre Airbus Safran Launchers Gmbh et MT-Aerospace n'est pas encore réglée dans des domaines importants, malgré de nombreuses médiations de la DLR (Agence spatiale allemande, ndlr). Notre attente est ici clairement que la décision qui a été trouvée à la conférence ministérielle soit mise en place sans exception".

Augsburg préservé

Brigitte Zypries a donc demandé à Jean-Jacques Dordain de travailler avec les industriels, "aussi vite que possible à trouver des réponses à ces interrogations dans l'esprit de l'accord" obtenu au Luxembourg. Et d'avertir que c'est seulement sur les bases financières et industrielles obtenues à Luxembourg, que le Bundestag, qui doit encore se prononcer sur le programme Ariane 6, "émettra une décision positive". Car la remise en cause de l'accord par Airbus "peut saper la base du consensus politique en Allemagne", notamment entre la CSU en Bavière et la CDU d'Angela Merkel, sur le programme Ariane 6, affirme un industriel. Interrogé par "La Tribune", ASL n'a pas souhaité faire de commentaires.

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"Je suis bien sûr conscient des discussions entre Airbus et MTA en Allemagne portant sur répartition des activités industrielles et je sais qu'elles sont difficiles malgré tout l'effort fait par la délégation allemande", a confirmé Jean-Jacques Dordain dans un courrier adressé le 5 mars à la ministre allemande Brigitte Zypries. En contrepartie de l'augmentation de sa participation dans Ariane 6, Berlin a déjà obtenu une participation substantielle de ses industriels dans le programme. MTA fabriquera une partie des boosters d'Ariane 6 à côté de la chaîne de production italienne d'Avio. Soit un investissement industriel de près de 150 millions d'euros. Cette décision permet à Berlin de rentabiliser sa participation financière avec un retour industriel de 19,8%, selon le directeur général de l'ESA. "Un pourcentage quelque peu inférieur à la contribution" de l'Allemagne, reconnait-il toutefois.

Quelles divergences?

Si ASL ainsi que l'ESA ne remettent pas en cause la seconde ligne de production, c'est parce que MTA s'est engagé à réduire les coûts des boosters d'Ariane 6 de 20% à 30% par rapport à ce que fait Avio actuellement. L'Agence spatiale européenne doit signer très rapidement un contrat de recherche et développement (R&D) avec la filiale d'OHB ainsi qu'avec Avio pour la poursuite de ce programme au-delà de 2015. Le lancement de la construction de cette seconde ligne de production des boosters pourrait intervenir en 2018 sur la base d'un accord industriel entre MTA et Avio.

Au-delà d'un consensus sur la seconde chaîne de production, OHB demande à ASL de respecter l'ensemble de l'accord industriel accepté à Luxembourg. Si Berlin a donné son feu vert à l'augmentation de sa participation, c'est parce qu'un tel accord a été trouvé le 11 novembre, puis présenté le 13 novembre lors d'une réunion ministérielle informelle. "Ce qui a permis à l'Allemagne, qui soutenait jusqu'ici le programme Ariane 5 ME, de sauver la face et de rallier le programme Ariane 6", décrypte un industriel. Clairement, la seconde ligne de production des boosters ne suffit pas pour OHB.

Que fait ASL? Selon ce même industriel, la nouvelle société commune entre Airbus et Safran "ne s'attaque pas au pourcentage industriel dévolu à l'Allemagne, mais au contenu pour donner certaines activités aux industriels espagnols et néerlandais". MTA avait obtenu notamment de produire à Augsburg certaines éléments de structures du corps du futur lanceur ainsi que les réservoirs du troisième étage à Brême.

Des discussions qui jusqu'ici ont été "sans succès jusqu'à présent", a reconnu début mars dans son courrier Jean-Jacques Dordain, qui promet à MTA des compensations industrielles sur le développement et la production d'Ariane 6 à condition que les offres de MTA soient "assez compétitives pour correspondre au budget de développement et aux objectifs de coûts récurrents qui sont une condition pour Ariane 6 soit compétitive". Début avril, les discussions n'avaient toujours pas abouti, selon nos informations.

Et que veut Airbus Safran Launchers?

A défaut de vouloir s'exprimer aujourd'hui, la lettre envoyée à Brigitte Zypries par Alain Charmeau donne quelques pistes sur la stratégie poursuivie par ASL vis-à-vis de Berlin. Le patron d'ASL rappelle dans un premier temps que la participation de l'Allemagne sur Ariane 6 a été "un élément clé pour le programme. Nous voulons que l'Allemagne participe tant au développement qu'à la production au regard de son investissement important. (...) Vous pouvez être assurés que mon équipe et moi nous occupons personnellement des intérêts de l'Allemagne". Aussi, confirme-t-il dans son courrier, que ASL soutient MT Aerospace dans le développement puis la production des boosters d'Ariane 6. D'autant plus cette seconde ligne de production devrait permettre "de réduire le coût global des lanceurs" Ariane 6 :

OHB a "garanti être capable de le faire avec la qualité nécessaire" dans le cadre du budget de développement et le calendrier attendus. (...) "Ces conditions doivent être respectées pour réaliser l'ensemble du programme Ariane 6".

Avec la DLR et MT Aersopace, ASL "s'est mis d'accord sur la répartition des activités de développement allemandes". Alain Charmeau confirme également qu'il reste "fidèle à notre accord avec MT Aerospace sur le partage du travail de production en Allemagne". Mais au-delà des boosters d'Ariane 6 et des réservoirs du troisième étage, ASL ne peut aujourd'hui "pas garantir la charge de travail détaillée à chaque entreprise, y compris la nôtre, parce que nous devons négocier avec les industriels de chaque État membre au regard de son investissement dans Ariane 6". Et de rappeler à la ministre allemande le souci d'ASL : "nous voulons traiter tout le monde de façon impartiale et avons donc demandé à la DLR d'arbitrer nos discussions avec MT Aerospace".

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