Pourquoi Fillon vend de la poudre de perlimpinpin aux armées

Par Michel Cabirol  |   |  1302  mots
La prochaine loi de programmation militaire (2020-2025) "devra permettre, dès que la situation financière de la France l'autorisera, de redonner à notre défense les crédits nécessaires à sa remontée en puissance".
François Fillon vise un objectif de dépenses pour la défense en incluant les pensions de 2% du PIB à la fin de la prochaine loi de programmation militaire", qui va courir sur la période 2020-2025. Soit un objectif qui sera atteint... après la fin de son quinquennat (2017-2022).

En matière de défense, François Fillon a la mémoire courte en dénonçant la "dégradation" de l'outil de défense sous le quinquennat Hollande. Le candidat de la droite à l'élection présidentielle 2017 ne peut pas oublier que le Premier ministre qu'il fut entre 2007 et 2012 a concocté et exécuté la loi de programmation militaire 2009-2014 (LPM) où 54.000 postes civils et militaires, ainsi que 83 sites, devaient être supprimés entre 2009 et début 2015. In fine, son gouvernement a sabré 48.325 postes entre 2009 et 2012. Rien que ça...

Fillon a contribué à affaiblir l'outil de défense

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a toutefois tenu à poursuivre entre 2012 et 2014 le tour de vis lancé par le gouvernement Fillon avant de s'apercevoir... que les contrats opérationnels exigés ne pouvaient plus être remplis par les armées. Sans oublier que la trajectoire financière de la LPM 2009-2014 s'est écartée de près de 5 milliards d'euros par rapport à ce qui avait été initialement prévu. Tout comme plusieurs autres, le gouvernement Fillon a donc contribué à affaiblir l'outil militaire.

"Selon les statistiques de la défense, son poids est passé de 14% dans le budget de l'État en 2004 à 10,6% en 2014", indique-t-il dans son programme de défense intitulé "Défendre nos valeurs exige une armée forte". "En 1997, l'armée de terre comptait 136 régiments ; en 2016, elle n'en compte plus que 79", rappelle-t-il.

Aujourd'hui, ce tour de vis 2009-2012 semble oublié, comme il l'explique si bien dans son programme, "la France doit retrouver son rôle politique et militaire de premier rang. Il n'y a pas de diplomatie dans le concert des nations sans une armée forte. Il n'y a pas d'armée forte sans équipements modernes de qualité". Et de rappeler également la persistance des tensions internationales et le réarmement des pays asiatiques, dont notamment la Chine. Mais, au-delà des déclarations que les Français ont envie d'entendre, François Fillon le souhaite-t-il vraiment au regard de son programme de défense et des objectifs financiers sous-tendus? Pas sûr alors que "les menaces sont aux portes de l'Europe"...

2% de dépenses du PIB... après son quinquennat

En vrai spécialiste en matière de défense, François Fillon reste d'une prudence de Sioux. Surtout quand il s'agit de fixer des jalons financiers "même si, reconnait-il, l'argent est le nerf de la guerre". Ainsi, cet ancien président de la commission de défense de l'Assemblée nationale (d'avril 1986 à mai 1988) vise pour les dépenses de défense "un objectif avec pensions de 2% du PIB à la fin de la prochaine LPM", qui couvrira la période 2020-2025, selon son programme. Bref aux calendes grecques et surtout vraisemblablement après la fin de son quinquennat (2017-2022). Il est également dommage de ne pas coller la LPM au quinquennat, ce qui la crédibiliserait aux yeux des militaires.

Cette LPM "devra permettre, dès que la situation financière de la France l'autorisera, de redonner à notre défense les crédits nécessaires à sa remontée en puissance", affirme-t-il pour justifier les 2% à l'horizon 2025. Ce qui veut très clairement dire que pour François Fillon la situation financière de la France passe avant le "réhaussement" du financement de la défense.

Le candidat à l'élection présidentielle estime que la hausse des dépenses conduira "à un effort supplémentaire de près de 2% du PIB à la fin de la prochaine LPM". Ce sera donc à son successeur de programmer ces dépenses... Et pourtant, François Fillon explique doctement que sa "responsabilité première sera de donner à nos militaires les moyens d'assurer leur lourde tâche" à savoir "protéger notre pays, garantir notre liberté et notre sécurité". Les militaires, qui ont tous envie de croire à ces fameux 2% distillés par certains responsables politiques de droite, apprécieront donc la très longue attente avant d'atteindre les 2% de dépenses de défense du PIB.

Fillon, le magicien ?

Dès son entrée en fonction s'il est élu président, François Fillon s'engage à lancer "un audit financier, destiné à mettre en lumière les manquements de la LPM actuelle, doublé d'une revue stratégique afin de préparer la loi de programmation suivante". Les trous dans la raquette sont connus - personne ne le contredira - mais alors pourquoi attendre plus de deux ans avant de lancer une nouvelle LPM? D'autant que François Fillon estime qu'il faut "réhausser le financement" de la défense. La prochaine LPM prendra donc notamment en compte les nouveaux programmes d'armement, l'entretien des matériels et les dépenses de personnel, explique-t-il

Mais avec quels crédits budgétaires sachant que les 2% sont renvoyés vers 2025 et qu'à "l'horizon 2022, il faudra honorer un besoin nouveau de financement de 3 à 4 milliards d'euros par an", en raison des grands programmes d'équipement à financer. Car, selon son projet, l'ensemble des grands programmes d'armement en cours comme le Rafale, les sous-marins Barracuda, les frégates multi-mission FREMM, les avions de transport A400M, les avions ravitailleurs MRTT, les hélicoptères Tigre et NH90, les missiles, les projets de transmission et de communication, le programme Scorpion, devront être poursuivis.

François Fillon souhaite aussi lancer de nouveaux chantiers "afin de combler les manques capacitaires que ce soit pour l'aviation légère, les moyens de mobilité inter-théâtres et le renseignement aéroporté". Sans oublier le lancement des études pour le remplacement du porte-avions Charles-de-Gaulle et le maintien et la modernisation des deux composantes de la dissuasion nucléaire, "clef de voute de notre défense". Il s'engage aussi à poursuivre le renouvellement des équipements militaires nécessaires pour "le quotidien" des soldats. Et, il veut "réhausser la disponibilité des matériels".

Enfin, s'agissant de la préparation du futur, il souhaite que les armées maîtrisent certaines technologies, en particulier dans le domaine des drones, de l'intelligence artificielle, des robots et du numérique en renforçant notre base industrielle et technologique de défense. Tout cela coûte cher, très cher même... Sans arbitrage et/ou nouveaux crédits, "l'édredon ne rentrera pas dans la valise", comme ont coutume de dire les budgétaires.

Le financement des opérations extérieures

Le ministre de la Défense actuel a mis en place une tactique en matière de financement des opérations extérieures, qui vaut ce qu'elle vaut. En tout cas avec Jean-Yves Le Drian, elle est très efficace, n'en déplaise à la Cour des comptes, qui en a fait un de ses chevaux de bataille. Le ministère de la Défense budgète en loi de finances initiale un plancher de financement (450 millions d'euros) pour ensuite faire payer en intergouvernemental le solde (soit 750 millions environ en 2016). Sans ce tour de passe-passe de Jean-Yves Le Drian, le programme 146 (équipement des forces) serait très largement année après année amputé avec les conséquences catastrophiques sur les programmes.

Pour François Fillon, la solution est de faire financer les OPEX par l'Europe : "Je proposerai à nos partenaires européens un partenariat incitatif dans lequel les opérations extérieures seraient partagées financièrement. Ce partage pourrait prendre la forme d'une nouvelle rubrique au sein du budget européen". Selon lui, le mode de remboursement devrait être simple, sur le format d'un barème, à l'image de celui imaginé dans le cadre des opérations des Casques bleus sous mandat de l'ONU. La création de cette rubrique au sein du budget européen permettrait également aux États qui souhaitent s'engager dans des opérations, comme la France, de bénéficier de la solidarité des autres pays européens. Une très belle idée, mais qui est loin, très loin d'être acquise.