Pourquoi la France peine à exporter ses matériels terrestres (2/3)

Par Michel Cabirol  |   |  822  mots
Sur les 20 dernières années, la France a sacrifié son industrie spécialisée dans l'armement terrestre
Dans le domaine de l'armement terrestre, la France n'est pas une grande nation exportatrice. Elle a très longtemps sacrifié son armée de Terre et son industrie sur l'autel des arbitrages budgétaires.

Indéniablement la France peine à exporter les matériels terrestres utilisés par l'armée de Terre. En règle générale, les promesses de grands contrats restent toujours pour certaines à l'état de promesses et, pour d'autres, ont été déçues par des décisions contraires de clients, qui ont préféré se tourner vers des matériels concurrents. C'est le cas notamment pour le VBCI qui collectionne pour différentes raisons les échecs (Canada, Liban, Emirats Arabes Unis, Danemark) en dépit de son efficacité opérationnelle démontrée au Mali.

Il est vrai que la concurrence internationale dans le secteur terrestre avec la montée des industriels des pays émergents et des matériels "low cost", est beaucoup plus importante que dans les deux autres filières (aéronautique et naval). Sur les marchés grand export, la situation s'est donc aggravée en raison de la présence de très nombreux concurrents qu'ils soient classiques américains, allemands et russes ou qu'ils soient émergents, comme les pays asiatiques, la Turquie et l'Afrique du Sud etc... Par exemple, il existe une cinquantaine d'acteurs environ dans les blindés légers.

Pourquoi une telle déception ?

"Nous n'avons pas eu le sentiment que l'exportation était la priorité de la direction précédente de Nexter", explique-t-on également au sein du ministère de la Défense. Depuis la très dure restructuration de GIAT-Industries (devenu Nexter Systems) au début des années 2000, les différents présidents (Luc Vigneron puis Philippe Burtin) n'ont guère investi dans le domaine de l'exportation. Il est vrai que les déboires financiers du contrat Leclerc aux Emirats Arabes Unis (EAU) signé en 1993, ont longtemps hanté le groupe.

Enfin, Stéphane Mayer a estimé lors de son audition à l'Assemblée nationale en mars dernier que "les contrats en matière de défense terrestre, sans doute moins visibles, apparaissent moins prioritaires que certains contrats d'exportation dans le domaine aéronautique ou naval". Entre un contrat Rafale ou un contrat VBCI au Qatar, la priorité de l'Etat français a été rapide... Et quand un pays souhaite un contrat d'Etat à Etat comme le Danemark pour acquérir 18 systèmes Caesar (artillerie), la France refuse.

La France a sacrifié son industrie d'armement terrestre

Sur les 20 dernières années, la France n'a pas hésité à sacrifier la filière industrielle spécialisée dans l'armement terrestre, qui n'est "plus un secteur de souveraineté stratégique", comme l'expliquait encore récemment le ministère de la défense. Ce qui a permis aux différentes majorités qui se sont succédé de sacrifier les investissements dans cette filière au nom de la contrainte budgétaire. "On ne peut plus tout faire", a-t-on entendu à de nombreuses reprises de la part de ministres et de responsables politiques ces dernières années.

Symbole de cette politique de retrait, le prochain fusil d'assaut de l'armée française, le successeur du Famas, sera étranger. Du coup, les industriels tricolores se sont peu à peu éloignés des besoins du marché à l'international. Et ce d'autant que la plupart des matériels terrestres de l'armée de terre encore en service sont très vieillissants : les premiers VAB ont été mis en service en 1976, les AMX10 RC en 1980... Pour autant, il y a eu quelques bonnes surprises comme le Caesar, un canon de 155 millimètres installé sur un châssis de camion 6X6 issu et développé sur fonds propres par Giat Industries à la fin des années 1990. Il a rencontré un certain succès à l'exportation avec la vente de 175 exemplaires, en Arabie saoudite (132 exemplaires), Thaïlande (6) et Indonésie (37)...

Un manque de taille critique

Pour rester un acteur global comme Nexter Systems, l'effet de taille est incontournable. Pourquoi ? Selon Hélène Masson de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), "les exigences grandissantes des Etats clients en matière de transferts de technologies et de savoir-faire impliquent pour les maîtres d'œuvre (et leurs principaux équipementiers) d'être présents sur les marchés ciblés très en amont des appels d'offre (bureau commercial, installation d'une filiale, création d'une co-entreprise avec un acteur local, rachats d'entités) et d'être en mesure d'initier une dynamique de partenariats dans le cadre du contrat (avec des acteurs locaux choisis ou imposés...). Dans de telles conditions, disposer de la taille critique et être en mesure d'innover (dans l'optique de conserver une avance technologique) apparaissent comme de véritables prérequis pour la conquête des marchés export".

Ce qui n'était pas le cas jusqu'ici. Mais le rapprochement (et non la fusion) de Nexter avec l'allemand Krauss-Maffei pourrait peut-être changer la donne face aux deux géants du secteur, BAE Systems et General Dynamics. A suivre...

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