Pourquoi Thales et Gemalto ont réussi leur opération de rapprochement

Par Michel Cabirol  |   |  1057  mots
Thales et Gemalto travaillaient tranquillement (trop peut être) depuis cet automne sur un potentiel rapprochement (Crédits : Philippe Wojazer)
Petits et grands secrets du rapprochement prometteur entre Thales et Gemalto.

Thales et Gemalto ne se sont pas rapprochés par hasard. Et encore moins sur un coup de tête du PDG du groupe électronique Patrice Caine dans le but de souffler le spécialiste des cartes à puces à Atos, qui a dévoilé le 28 novembre son offre non sollicitée au conseil d'administration de Gemalto. Quand la société de services a fondu sur Gemalto, Thierry Breton savait-il qu'il n'avait aucune chance ou presque ? Ou était-ce la dernière cartouche d'un corsaire prêt à tout pour faire dérailler une opération qui était balistique, comme on le dit dans la défense? Car Atos ou pas, Thales et Gemalto travaillaient tranquillement (trop peut être) et, bien sur, discrètement depuis cet automne sur un potentiel rapprochement.

Tout a commencé en début d'année quand Thales, déjà convaincu de l'importance majeure de l'arrivée du numérique dans les entreprises, a souhaité accélérer, sous l'impulsion de Patrice Caine, la mutation de son modèle économique vers l'eldorado de la nouvelle économie. "On a commencé à regarder il y a une petite année ce dossier stratégique en interne et à nous poser des questions sur ce que nous voulions", explique Patrice Caine. Puis, clairement, le patron de Thales demande à son équipe de stratèges d'identifier des cibles. Peu à peu, le groupe se découvre des complémentarités de plus en plus évidentes avec Gemalto.

Le temps de la séduction

C'est à la rentrée en septembre que Patrice Caine et ses équipes passent à l'action en rencontrant de façon informelle le directeur général de Gemalto, Philippe Vallée, dont le groupe peine à rebondir après son échec dans la conquête de Morpho (groupe Safran). Cet échec révèle au marché que Gemalto soufre de plus en plus d'un manque de taille critique. "Il y a eu quelques échanges et un intérêt préliminaire des deux côtés", explique une source proche du dossier. Ce qui a permis de poursuivre les discussions tranquillement. "Nous nous sommes découverts, précise Patrice Caine. Puis, on s'est mis à partager une même vision stratégique".

En outre, entre les deux patrons, qui ne se connaissaient pas plus que cela, le "fit" passe bien. Ce qui est un plus très important dans ce genre d'opération. "Le courant est très, très bien passé entre eux, confirme d'ailleurs une autre source proche du dossier. Ils ont appris à se connaître, à créer une alchimie". Car Patrice Caine et Philippe Vallée parlent le même langage, ils sont tous les deux à la tête d'une "entreprise de cerveaux", comme le souligne le patron de Thales.

L'accélération des négociations

Pour passer la seconde, Patrice Caine devait aller voir ses actionnaires, notamment le groupe Dassault, qui détient 24,71% du capital de Thales. Sans le feu vert de l'avionneur, les discussions s'arrêtaient aux préliminaires. Ce sera fait à l'automne. Le directeur général du Groupe Dassault SAS Charles Edelstenne, sans qui rien n'est possible, est convaincu par le projet présenté par le PDG de Thales. Il faut dire que l'homme clé de la famille Dassault, qui a créé Dassault Systèmes devenue une success-story internationale, a une vraie appétence pour les entreprises technologiques. Dès lors le projet de rapprochement peut être lancé d'autant que l'État, consulté également via Bpifrance, voit d'un très bon œil la reprise de Gemalto par un groupe français. Plus tard, il aura le choix entre Thales ou Atos.

Pour Patrice Caine, qui va piloter sa première acquisition majeure depuis son arrivée dans le fauteuil de PDG du groupe électronique, cela ressemble désormais à un billard. Car Gemalto, en difficulté sur son activité cartes à puces (38% du chiffre d'affaires), semble prêt à se laisser séduire par le profil technologique de Thales et les potentialités de croissance de l'opération. A condition pour Thales de ne pas se montrer agressif. C'est finalement l'intérêt d'Atos pour le spécialiste de la sécurité numérique, qui a précipité les négociations entre Thales et Gemalto. Conseillé par Rothschild, Goldman Sachs et BNP Paribas, Atos part sabre au clair à l'assaut de Gemalto en envoyant un courrier le 28 novembre à son conseil d'administration où il exprime son très vif intérêt. Puis le 11 décembre dans la soirée, il met la pression sur sa cible conseillée par JP Morgan et Deutsche Bank, en dévoilant publiquement son offre.

Le temps du projet

Pour Thales et Gemalto, le coup de théâtre d'Atos agit comme un électrochoc. Le groupe d'électronique s'impose alors pour le conseil d'administration de Gemalto comme le chevalier blanc évident. Dès le matin du 12 décembre, c'est le branle-bas de combat dans les deux groupes avec une réunion au sommet pour lancer les négociations et mettre au point une stratégie commune pour contrer l'offre du groupe informatique. Le 13 décembre en début de soirée, le spécialiste des cartes à puces rejette officiellement l'offre de rachat "non sollicitée" d'Atos, qui n'a pas l'intention de renoncer aussi facilement. Thierry Breton confirme dans la foulée "sa proposition" dévoilée le 11 décembre.

Gemalto et Thales, conseillé de son côté par Lazard, Messier Maris et Société Générale, s'engagent dès le 12 décembre dans un sprint pour monter un projet de rapprochement cohérent. Les équipes des deux groupes vont travailler pendant cinq jours très tard dans la nuit, y compris Patrice Caine et Philippe Vallée, pour parvenir à un accord samedi soir. "Le deal a été conclu en cinq jours", confirme-t-on à La Tribune. Le 17 décembre, un dimanche matin, Thales et Gemalto dévoilent leur projet de rapprochement. Comme quoi les deux groupes étaient fait pour se rapprocher... Que va alors faire Atos? Thales et Gemalto n'attendront pas longtemps la réaction du groupe d'informatique, qui aurait pu surenchérir. Très fair-play, Atos annonce dans la soirée de dimanche qu'il renonce. Patrice Caine peut jubiler et respirer après cinq jours intensifs. Il vient de gagner sa première grande bataille mais doit encore affronter lundi les médias, qu'il séduira avec Philippe Vallée.