Rebondissement dans le procès du crash Rio-Paris : le parquet fait appel de la relaxe d’Airbus et d’Air France

Par latribune.fr  |   |  1285  mots
Le crash du Rio-Paris est survenu en juin 2009.
Le 17 avril dernier, le tribunal correctionnel avait mis hors de cause le constructeur Airbus et la compagnie aérienne Air France sur le plan pénal suite au crash survenu en juin 2009 et qui avait causé la mort de 228 personnes.

[Article publié le 27 avril et mis à jour à 11H00]

Le procès n'est pas fini. Alors que le tribunal correctionnel avait acté la relaxe du constructeur Airbus et de la compagnie aérienne Air France dans l'affaire du crash du Rio-Paris, le parquet général a finalement annoncé, ce jeudi, fait appel de ce jugement.

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« Ecœurement » des victimes

Pour rappel, le 17 avril dernier, le tribunal correctionnel avait mis hors de cause les deux entreprises sur le plan pénal suite au crash survenu le 1er juin 2009 et qui avait causé la mort des 216 passagers et des 12 membres d'équipage. Le vol AF447 reliant Rio de Janeiro à Paris s'était abîmé en pleine nuit dans l'Atlantique, quelques heures après son décollage. À bord de l'A330 immatriculé F-GZCP se trouvaient des personnes de 33 nationalités, dont 72 Français et 58 Brésiliens.

À l'issue du procès, qui s'était déroulé du 10 octobre au 8 décembre, il avait ainsi jugé que, si des « imprudences et négligences » avaient été commises, « aucun lien de causalité certain » n'avait « pu être démontré » avec l'accident le plus meurtrier de l'histoire des compagnies françaises. Une décision qui avait suscité « l'écoeurement » des proches des victimes. « Nous attendions un jugement impartial, ça n'a pas été le cas. Nous sommes écoeurés », avait ainsi réagi Danièle Lamy, présidente de l'association Entraide et Solidarité AF447. « Il ne reste de ces 14 années d'attente que désespérance, consternation et colère ».

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 « Un immense soulagement »

En interjetant appel de ce jugement, le parquet général entend donner « leur plein effet aux voies de recours prévues par la loi », a-t-il indiqué dans un communiqué. « C'est un immense soulagement », a réagi auprès de l'AFP Alain Jakubowicz, avocat d'une quarantaine de victimes et de l'association de familles Entraide et Solidarité. « Cet appel du parquet général était la dernière chance pour les familles des victimes », a-t-il insisté, soulignant les nombreux « errements dans ce dossier ».

De son côté, le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) France ALPA a, lui aussi, « fait part de son profond soulagement » dans un communiqué, jugeant la décision de relaxe prise le 17 avril dernier « d'autant plus incompréhensible puisque le Tribunal a pourtant jugé avec sévérité le comportement d'Airbus ». « L'appel du Parquet Général va permettre à la Cour d'appel d'examiner à nouveau les responsabilités d'Airbus et d'Air France dans cette tragédie, garantissant aux proches des victimes l'accès au droit fondamental que constitue le double degré de juridiction », a souligne le syndicat.

Contacté, Me Simon Ndiaye, avocat d'Airbus, n'a pas souhaité réagir dans l'immédiat. De son côté, Me François Saint-Pierre, avocat d'Air France, n'était pas joignable dans l'immédiat.

En outre, sur le volet civil, le tribunal avait jugé que les « fautes » des entreprises avaient conduit à une « perte de chance », soit à augmenter la probabilité que l'accident arrive, déclarant Airbus et Air France « responsables civilement » des dommages. Il avait ainsi renvoyé la question de l'évaluation des dommages et intérêts à une audience le 4 septembre.

Les principaux points de la décision relaxant Airbus et Air France

Des « imprudences » ou « négligences », mais qui n'ont pas de « lien certain » avec la catastrophe : le tribunal correctionnel de Paris a relaxé lundi Airbus et Air France dans l'affaire du crash du Rio-Paris. Voici les principaux points de la décision.

L'infraction reprochée

Le soir de l'accident, l'A330 qui devait relier Rio de Janeiro à Paris était en croisière à environ 11 km d'altitude, dans la zone météo difficile du « Pot au noir » près de l'équateur.

Les investigations ont confirmé le point de départ de l'accident : le givrage des trois sondes Pitot, situées sur le nez de l'appareil, qui permettent de calculer la vitesse de l'avion.

Cette panne a entraîné la déconnexion soudaine du pilote automatique dans le cockpit. Surpris, l'un des pilotes a repris les commandes manuelles et il a adopté une trajectoire ascendante.

Dans la confusion, les trois pilotes n'ont pas réussi à reprendre le contrôle de l'avion, qui a décroché et heurté l'océan en moins de cinq minutes.

Le constructeur européen et la compagnie aérienne étaient renvoyés devant le tribunal pour « homicides involontaires » : ils étaient soupçonnés d'avoir commis des « fautes » ayant conduit indirectement à cet accident.

Des « imprudences » et « négligences »

Le tribunal a retenu « quatre imprudences ou négligences » commises par Airbus.

1 - Airbus n'a pas imposé le remplacement, sur tous les A330 et A340, d'un modèle de sondes, baptisé « Thalès AA », qui semblait givrer plus que les autres. Les incidents de sondes s'étaient multipliés en 2008-2009, en particulier sur ce modèle.

2 - Airbus a pratiqué une forme de « rétention » d'informations qui n'a pas permis un « partage d'expérience entre compagnies » aériennes.

3 - Le constructeur aurait dû adapter, dans la formation des pilotes, la procédure expliquant que faire en cas de retentissement de l'alarme de décrochage.

4 - Airbus aurait dû faire figurer sur un écran, dans le cockpit, un message informant explicitement de la panne des sondes Pitot, ce qui n'était pas le cas à l'époque.

Concernant Air France, le tribunal parle « d'imprudences fautives », mais uniquement concernant une « note de sécurité » sur la panne des sondes, adressée à ses pilotes en interne. Cette note « n'aurait pas dû être supprimée du portail internet dédié aux pilotes en janvier 2009 », et elle « aurait dû leur être de nouveau adressée en mars 2009 », a souligné le tribunal.

Pas de « lien certain »

Pour autant, le tribunal souligne que, sur le plan pénal, les fautes commises doivent avoir un « lien de causalité certain » avec l'accident. « Il doit être démontré que sans la commission des fautes (...) le décès des victimes ne se serait pas produit ».

En l'occurrence, « aucun lien de causalité certain n'a pu être démontré avec l'accident », a conclu le jugement.

Il estime notamment que, sur le changement des sondes, « de tels incidents se sont à nouveau produits après l'accident », alors que les sondes AA avaient été changées dans le monde entier.

Même si Airbus avait davantage alerté Air France, il existe un « aléa » quant aux « mesures supplémentaires » que la compagnie aurait pu prendre, selon le jugement.

Concernant Air France, compte tenu des « autres sources d'information » et des « formations reçues », le tribunal estime que « les pilotes disposaient des connaissances nécessaires pour faire face aux incidents de gel de sondes ».

Une « responsabilité civile »

En revanche, ces « fautes » ont entraîné une « perte de chance », c'est-à-dire une augmentation de la probabilité que l'accident se produise, ce qui est suffisant pour déclarer les entreprises responsables sur le plan civil.

En effet, pour le tribunal, la « probabilité » est « forte » que l'accident aurait pu être évité si les sondes de l'AF447 avaient été changées. En effet, le modèle concerné, « n'équipant pourtant qu'un quart de la flotte », était « impliqué dans plus de 97% des incidents ».

Le tribunal juge entre autres « très probable qu'une réaction plus vive d'Air France » aurait permis aux pilotes de « mieux gérer » l'effet de surprise.

Le tribunal renvoie à une audience le 4 septembre pour l'examen des dommages-intérêts liés à la « perte de chance ». Ils pourraient s'ajouter ou non aux dédommagements déjà perçus par les proches des victimes.

(AFP)