Procès du Rio-Paris : les pilotes d'Air France divisés sur la responsabilité de leur compagnie

Le procès de l'accident de vol AF447 d'Air France est entré dans sa dernière ligne droite. La parole est aux parties civiles pour la dernière fois, chacun exposant ses conclusions tour à tour. C'est le cas des syndicats de pilotes d'Air France, SNPL, SPAF et Alter qui se sont succédés à la barre. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne sont pas d'accord sur la responsabilité de leur compagnie dans le drame survenu le 1er juin 2009. « Victime d'Airbus » pour les uns, pleinement responsable pour l'autre, ils ont tous exposé leurs arguments pour tenter de convaincre les juges.
Léo Barnier
Le procès de l'accident du Rio-Paris prendra fin le 8 décembre.
Le procès de l'accident du Rio-Paris prendra fin le 8 décembre. (Crédits : L. Barnier - La Tribune)

Pour les syndicats de pilotes, pas de doute, Airbus est le principal responsable de l'accident du vol Rio-Paris. Tour à tour, les avocats du SPAF, du SNPL et d'Alter ont, sans surprise, plaidé à charge contre le constructeur européen ce lundi au Tribunal correctionnel de Paris. Absents du banc des accusés, l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) et Thales, le fabricant des sondes Pitot qui ont gelé sur le vol AF447, ont également été cités parmi les acteurs ayant des responsabilités potentielles. En revanche, les représentants des pilotes n'ont pas eu la même unité au moment d'établir celles d'Air France : les avocats du SPAF et du SNPL ont largement minimisé le rôle de leur compagnie, tandis que celui d'Alter a « nagé à contre-courant » en affirmant que celle-ci était loin d'être exempte de tout reproche.

« Air France est aussi une victime d'Airbus »

Premier à passer, le Syndicat des pilotes d'Air France (SPAF) a d'emblée donné le ton. Après avoir argué que l'on retrouvait souvent les mêmes causes et les mêmes acteurs, Maître Roy, l'avocat du syndicat, a sans surprise exonéré les pilotes : « Il fallait ce procès car les pilotes ont, non pas le sentiment, mais la certitude que la responsabilité de ce drame est à rechercher ailleurs que dans l'équipage. » Plus étonnant en revanche de la part de l'une des parties civiles à l'encontre d'un des accusés, il a laissé entendre qu'Air France n'avait pas véritablement sa place sur le banc à côté d'Airbus avec une formule indirecte : « puisqu'Air France est prévenue ».

Et puisqu'Air France est prévenue, « il ne s'agit pas pour le SPAF de dire qu'Air France a tout faux, que tout est la faute d'Air France. Sûrement pas. Les pilotes savent que la priorité de leur compagnie est la sécurité. Ils réfutent l'idée que pour des basses raisons d'économies, certaines actions n'aient pas été entreprises. Les pilotes aiment leur compagnie, mais nul n'est parfait et s'il y a eu des défaillances, le Tribunal nous le dira », a-t-il poursuivi.

Durant la suite de sa plaidoirie, Maître Roy n'a eu cesse d'aller dans le même sens avec plusieurs autres formules. Et même au moment de parler des négligences éventuelles d'Air France, l'avocat du SPAF a débuté son propos en déchargeant la compagnie de toute responsabilité pénale : « Soyons clairs. Même si Air France a été également renvoyé, les causes de cet accident par suite de négligence sont bien évidemment à rechercher d'abord et essentiellement chez Airbus. [...] Air France est elle aussi une victime d'Airbus. »

Air France, responsable mais pas trop

Concernant les deux chefs d'accusation dont doit répondre Air France, à savoir un manque d'information des équipages après la multiplication des incidents de givrage de sondes Pitot entre 2008 et 2009, ainsi que d'un manque de formation pour les pilotes pour faire face à ces situations, le SPAF est resté sur cette ligne. Selon Maître Roy, la compagnie a bien été informée par Thales de la recrudescence des incidents, ainsi que par les rapports d'incident rédigés par les pilotes (ASR), mais « s'il est vrai, à notre connaissance, que ces ASR n'ont pas été suivis de réponse, il est vrai aussi qu'Air France n'avait pas la réponse, parce que c'était Airbus qui l'avait ».

L'avocat reconnaît tout de même que la note de l'officier de sécurité des vols (OSV) d'Air France, suite à plusieurs incidents au sein de la compagnie, n'est pas alarmante et parfois confuse, sans la moindre indication sur les procédures à appliquer, et que celle-ci a sans doute été noyée dans toute la communication adressée aux pilotes. De même, il a pointé la légèreté du magazine interne Survol, destiné aux pilotes, « qui porte bien son nom », ou encore l'inadéquation de la journée 4S (stage sécurité, sauvetage et sûreté) de 2008, avec l'évocation des cristaux de glace mais dans un domaine complètement différent (givrages de moteur rencontrés par Boeing sur ses 777).

Sur la formation, Maître Roy évoque également l'inadaptation de la formation, car celle-ci était centrée sur les pertes d'indication de vitesse en basse altitude, sans session consacrée au traitement de cette panne ou encore au pilotage en loi alternative en haute altitude. Et s'il juge ne pas savoir si « Air France a peut-être failli », il affirme qu'Airbus est bel et bien le « chef d'orchestre » pointant « l'arrogance du constructeur, qui refuse de se remettre en question en oubliant l'humain ».

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Le SNPL suit le mouvement

Le ton a été sensiblement le même du côté du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). Si Vincent Gilles, vice-président du SNPL France, déclarait avant le procès qu'il était « hors de question de dire que les pilotes n'ont aucune responsabilité dans cet accident », Maître Hocquet s'est fait fort d'insister sur les causes indirectes qui ont mené à l'accident.

Si l'avocate du principal syndicat de pilotes a apporté un peu plus de nuance à son discours que son confrère du SPAF même si le fond est resté proche concernant la responsabilité d'Air France : « Quand nous avons pris connaissance du réquisitoire en non-lieu des procureurs en fin d'instruction, ce n'était pas une demi-victoire mais un échec complet (NDLR : le parquet de Paris, qui demande le renvoi d'Air France et la relaxe d'Airbus, ne sera pas suivi par les juges d'instruction qui prononce un non-lieu général en 2019. Le procès actuel fait suite à un appel des parties civiles, validé par la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris). Considérer qu'Air France puisse être renvoyé devant un tribunal mais pas Airbus, nous ne l'avons pas compris parce qu'il y a des niveaux de responsabilité. Et la principale responsabilité est celle d'Airbus. »

C'est ainsi « Airbus (qui) n'a pas donné les moyens à ses équipages d'éviter cet accident ». Et là encore, les actions considérées comme négatives de la part d'Air France sont souvent le fait d'Airbus. Ainsi Maître Hocquet a regretté le fait qu'Air France n'ait pas écouté la demande du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) au début des années 2000 pour mettre la procédure de sortie de décrochage dans les procédures d'urgence et non dans les complémentaires, mais a justifié cela par le fait que « le bon sens des pilotes n'avait pas pesé pas lourd face à l'assurance et l'omniscience du constructeur ».

Alter à contre-courant

Si certains avocats des parties civiles dénoncent un pacte de non-agression entre Air France et Airbus, la compagnie aérienne et ses pilotes sont donc loin de l'affrontement direct si ce n'est Alter. Dernier à plaider, son avocat, Maître Petit, a salué le travail fait par ses confrères pour pointer les fautes d'Airbus, mais s'est offusqué du fait qu'Air France puisse être exempt de tout reproche : « Je ne voudrais pas nager à contre-courant - j'ai sûrement mal compris - mais [...] Air France ne devrait pas être pointée du doigt comme étant responsable en tant qu'exploitant ? Air France qui vend des billets aux passagers ? Air France qui entraîne ses pilotes ? La compagnie ne peut-elle pas faire l'objet de quelque remarque ? »

L'avocat d'Alter, par ailleurs ancien pilote de ligne lui-même, a ainsi renvoyé Airbus et Air France dos-à-dos, estimant que si l'une ou l'autre des deux sociétés « avait fait quelque chose, il n'y aurait pas eu d'accident ». Il estime ainsi que l'une comme l'autre ont failli à l'un des principes centraux de l'aéronautique, à savoir la prévention des accidents. Estimant que le travail était déjà fait pour pointer la responsabilité d'Airbus, il s'est concentré sur Air France.

« Qu'est-ce qui est interdisait la société Air France de se renseigner auprès de la DGAC pour savoir s'il y avait des informations sur des cas de pannes anémométriques dans d'autres compagnies ? », a-t-il déclaré.

Maître Petit a dès lors insisté sur le manque de proactivité d'Air France, placée en haut « d'une tour d'ivoire et attendant que l'on porte des éléments à sa connaissance », tels que ceux rencontrés par Air Caraïbes et XL Airways et avec des givrages de sondes Pitot présentant d'importantes similarités avec celui de l'AF447. S'il admet que tout ne peut être anticipé, à l'image d'un attentat, il considère que dans le cas présent les signes avant-coureurs s'étaient multipliés depuis des années et qu'Air France était tout à fait sensibilisée aux notions de pannes anémométriques. Il a cité pêle-mêle la consigne de navigabilité en 2001 pour le changement des sondes Rosemount qui équipaient alors les Airbus A330, deux incidents de givrage en croisière sur A340 (un chez Air France, l'autre chez Air Tahiti Nui mais mentionné par Air France) ou encore le remplacement en 2007 des sondes Thales AA par des BA suite à une série d'incidents sur A320 liés à l'ingestion d'eau à basse altitude sous fortes pluies...

Pour parachever sa démonstration, l'avocat a enfin pointé le fait qu'Air France ait « découvert » à la suite de l'accident six incidents supplémentaires n'ayant pas fait l'objet d'ASR, alors que les messages de maintenance ACARS transmettent de manière automatique les problèmes anémométriques. Autant d'exemples qui lui font dire qu'il « ne voit pas comment l'on pourrait atténuer la responsabilité d'Air France ».

S'appuyant sur l'audit réalisé en 2010 par une équipe indépendante d'évaluation de la sécurité (ISRT), indiquant que la culture de sécurité de la compagnie est « encore principalement axée sur les événements et réactive plutôt que proactive et prédictive », il estime « qu'Air France attend malheureusement l'incident pour réagir et non pas en fonction du facteur de risque ».

Air France était parfaitement au courant

Et encore, il ne s'agissait là que d'une prise d'élan de la part de l'avocat d'Alter pour adresser un coup de boutoir bien plus important à l'encontre d'Air France : « Là où c'est plus grave, c'est qu'au sein de la compagnie Air France, vous aviez des pilotes au plus haut niveau du pôle Formation qui étaient parfaitement au courant de ces pannes, notamment sur d'autres compagnies. » Il a directement pointé Jean-Louis Françon, instructeur chez Air France, qui a dirigé entre 2002 et 2008 l'Organisme du contrôle en vol (OCV). Composé de 12 commandants de bord dont six d'Air France, cet organe est directement attaché au Directeur général de l'aviation civile (DGAC) afin d'apporter son expérience opérationnelle pour améliorer la sécurité des vols.

Pour Maître Petit, il est ainsi improbable que des pilotes qui échangent régulièrement dans le cadre de la DGAC sur les problèmes survenus dans les différentes compagnies, n'en parlent pas au sein de leur propre compagnie. Lancé, il a aussi indiqué qu'Eric Gobert, qui prend la tête de l'OCV en 2008, deviendra 10 ans plus tard directeur général adjoint en charge de la sécurité des vols d'Air France. Pour lui, pas de doute : « Air France était parfaitement au courant de ce qu'il se passait dans les autres compagnies. »

L'avocat du syndicat Alter conclut sa charge contre Air France en soulignant « l'impréparation des équipages, caractéristique de la sous-estimation de la dangerosité de ces pannes » et de « l'impact de la perte des indications anémométriques en croisière ». Une situation qui n'a de fait jamais été travaillée en simulateur ou présentée lors des journées 4S par un pilote ayant vécu ce type d'événement. Il y voit donc un facteur fondamental pour expliquer les difficultés des pilotes à gérer la situation : « Air France a laissé une porte ouverte sur la sécurité du vol à haute altitude ».

Tout cela ne l'empêchera néanmoins pas Maître Petit de conclure sa plaidoirie en revenant sur le cas d'Airbus, pointant tour à tour la défaillance des sondes Pitot Thales AA, la passivité d'Airbus avant de reconnaître qu'il fallait les changer, ainsi que les dysfonctionnements des directeurs de vol et de l'alarme de décrochage et parlant de négligences graves. « On ne peut en aucun cas faillir sur la technologie à bord des avions. Cette non-fiabilité de la technologie est une faillite sécuritaire », a-t-il ainsi asséné.

Léo Barnier

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Commentaires 9
à écrit le 11/12/2022 à 11:47
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Constat: Les pilotes d'air caraïbe ont été confrontés en deux fois au même problème. Ils sont donc plus compétents que les pilotes Air France car ils ont su réagir au même problème de givrage des sondes Pitot. Faits reconnus avion et équipage et...

le 04/01/2023 à 11:08
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Bonjour, vous faites erreur, ce n'est pas une analyse valable au niveau de la sécurité, il faut bien que l'on ait des instruments fiables pour ne pas dépendre de l'attention constante des équipages qui peut se relâcher sur un vol long courrier en cro...

à écrit le 07/12/2022 à 7:47
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Airbus est le principal responsable de cdet accident : Pour avoir certifié un avion non conforme a la codition speciale SC-F3 qui exige pour un avion a stabilité neutre donc avec un trim automatique une protection basse vitesse du domaine de vol et ...

le 07/12/2022 à 9:37
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1/ Ce n'est pas AIRBUS qui certifie ses propres avions mais l'EASA, la FAA et la CAAC. 2/ Le certificat de type ne comporte pas de clause telle que vous la mentionnez 3/ Il ne s'agit pas d'un cas de basse vitesse 4/ l'avion était en ALT 2 pas en l...

le 10/12/2022 à 13:11
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Vous ne semblez pas comprendre le post de Tamerl: il regrette que la loi en tangage en ALT2 ne passe pas en loi directe dans le cas de la perte des indications de vitesse au lieu de rester en loi normale . Passer en loi directe en roulis et rester en...

le 10/12/2022 à 16:03
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Je ne sais pas qui m'a répondu en 5 points mais il ne doit pas savoir qu'Airbus est entièrement responsable comme d'autres constructeurs par son DOA et que DGAC ou EASA ne font qu'enregistrer le certificat de type selon les paragraphes et conditions ...

à écrit le 06/12/2022 à 15:25
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Je crois qu'à ce niveau du procès on "touche à l'os", aux vraies questions mettant bien en évidence une certaine passivité décisionnelle vécue par "ceux d'en haut" face aux informations collectées/vécues par "ceux d'en bas"; ces informations capitale...

à écrit le 06/12/2022 à 14:43
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tout a fait d'accord avec le post de PM ci dessus

à écrit le 06/12/2022 à 13:03
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AirFrance est le fautif initial. Au prétexte d'absorber Air Inter (France/Europe), on a incorporé des personnels aptes à piloter. Mais les compétences d'un équipage ne s'arrêtent pas à de la technique (qu'un/des ordinateurs save/nt faire). Le choix d...

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