
[Article mis à jour lundi 17 avril à 16h00]
Le tribunal a rendu son verdict ce lundi 17 avril. Près de 14 ans après le drame de l'AF447, l'accident d'un Airbus A330 d'Air France qui a fait 228 morts entre Rio et Paris dans la nuit du 1er juin 2009, la présidente du tribunal correctionnel de Paris a prononcé la relaxe des deux accusés. Air France et Airbus ont ainsi été innocentés des principales charges pesant à leur encontre, à savoir homicides involontaires par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence imposée par la loi ».
Le tribunal a reconnu un « dommage incontestable » en raison des 228 morts causées par l'accident, ainsi que plusieurs fautes de la part d'Air France et d'Airbus mais, en l'absence de « lien de causalité certain » entre ces fautes et l'accident, les trois juges ont prononcé la relaxe des deux accusés. Comme l'a rappelé la présidente du tribunal, « dommage », « faute » et « lien de causalité certain » sont les trois conditions indispensables pour condamner une personne morale pour homicide involontaire.
Malgré un frémissement au moment du prononcé du verdict, les parties civiles et plus particulièrement les familles des victimes sont restées très calmes. Seules quelques unes d'entre elles se sont exprimées publiquement à la sortie du tribunal, principalement par la voix de leurs avocats. A l'occasion de ce procès, 489 parties civiles s'étaient constituées, dont 476 personnes physiques d'au moins 21 nationalités différentes.
Désormais, seul le parquet peut interjeter appel. Comme le souligne Maître Jakubowicz, avocat de l'association de familles Entraide et solidarité AF447, le parquet de la République s'est prononcé pour la relaxe lors de l'audience. Il y a donc peu de chance qu'il se contredise aujourd'hui. Il glisse néanmoins que le parquet général, supérieur hiérarchiquement, peut encore se saisir du dossier et faire appel.
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En tant que personnes morales, Airbus et Air France ne risquaient aucune peine de prison, seulement 225.000 euros d'amende. Au vu de la taille de ces entreprises, le seul véritable préjudice était donc réputationnel. Les parties civiles avaient néanmoins fait de leur condamnation le point central du procès, quitte à dédouaner d'office les pilotes de toute faute. Elles visaient particulièrement Airbus qui, selon elles, a brillé par son absence auprès des familles de victimes depuis le drame et pesé de tout son poids sur la procédure judiciaire. Et l'émotion, très probablement sincère, de Guillaume Faury, président exécutif du constructeur, en octobre dernier lors de l'ouverture de l'audience n'avait pas suffi à apaiser ce vif ressentiment.
Airbus et Air France reconnus responsables civilement
Les parties civiles ont néanmoins remporté une victoire sur le plan civil. Le tribunal a jugé qu'Airbus puis Air France « étai(en)t responsable(s) civilement du dommage subi et tenu(s) de le réparer ». Cette différence tient au fait qu'il n'y a pas besoin d'établir un lien de causalité certain au civil, mais seulement de montrer que les fautes commises ont diminué les chances des passagers et de l'équipage à surmonter la situation.
Comme l'a résumé Maître Busy, également avocat de l'association de familles Entraide et solidarité AF447, : « La faute civile n'est pas totalement pareille. Même s'il n'y a pas une évidence de lien avec la faute, le simple fait d'avoir fait provoqué une perte de chance aux passagers suffit à caractériser une faute civile. »
Son collègue, Maître Jakubowicz, a vu dans cette décision la preuve que « cet accident n'était pas la fatalité, qu'il aurait pu être évité et que ce n'était pas la faute des pilotes », avant d'ajouter « du moins pas la faute exclusive des pilotes ».
« Il y a une responsabilité et c'est cela que je veux que l'on retienne, au-delà de la nuance entre pénal et civil. Nous sommes dans une enceinte de justice et c'est normal que la justice dise le droit. Mais au bout du compte, il faut retenir qu'Airbus et Air France sont responsables de ce drame, même si c'est civilement et pas pénalement », a déclaré Maître Jakubowicz à la sortie du Tribunal.
Cette reconnaissance par le Tribunal d'une responsabilité civile ouvre à des possibilités d'indemnisations. Celles-ci devraient être néanmoins limitées, une grande part des cas ayant déjà été réglés selon les principes de la Convention de Montréal.
Les juges suivent (presque) le parquet
En prononçant la relaxe sur le plan pénal, les trois juges, dont la présidente Sylvie Daunis, ont suivi les réquisitions du parquet sur le fait de ne pas condamner Airbus et Air France. Mais là où les juges ont vu des fautes, les deux procureurs avaient estimé lors de l'audience en décembre dernier qu'Airbus et Air France n'avaient commis « aucune faute pénale » et déclaré « ne pas être en mesure de requérir la condamnation ». Ce qui avait entraîné l'ire des familles et de leurs avocats, tout particulièrement ceux de l'association Entraide et solidarité AF447.
Dans le détail, la compagnie faisait face à des griefs de deux ordres. Le premier portait sur le manque pour les pilotes de formation adaptée aux situations d'« IAS douteuse », à savoir une vitesse indiquée (Indicated airspeed - IAS) clairement erronée, voire une perte d'indication de vitesse. Ce à quoi l'équipage a été confronté après le givrage des sondes Pitot, censées mesurer la vitesse en vol, développées par Thales. Le second portait sur l'information des équipages suite à la multiplication d'occurrences similaires chez Air France et d'autres compagnies, qui se sont produites de façon encore inexpliquée à partir du début des années 2000 avec un pic en 2008 et au début de l'année 2009.
Le constructeur européen devait quant à lui répondre du fait d'avoir sous-estimé les défaillances des sondes Pitot, en dépit d'une accélération du nombre d'événements liés à ces équipements, et de ne pas avoir averti et contribué à la formation des équipages en conséquence.
Air France et Airbus avaient déjà bénéficié en 2019 d'un non-lieu décidé par les juges d'instruction (le parquet de Paris avait requis un renvoi en correctionnelle de la compagnie et un non-lieu pour le constructeur). Mais celui-ci avait été invalidé deux ans plus tard après un appel interjeté par les parties civiles, renvoyant ainsi Airbus et Air France devant le tribunal correctionnel pour le procès qui vient de s'achever.
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