Procès du Rio-Paris  : les familles de victimes claquent la porte après les premières réquisitions du parquet

Le parquet a débuté mercredi son réquisitoire au procès du crash du Rio-Paris en écartant certaines « fautes » d'Airbus et d'Air France, provoquant la colère des parties civiles. Des membres de l'association Entraide et Solidarité AF447, qui représente les familles des victimes, ont alors ostensiblement quitté la salle, avant une suspension d'audience. « On est revenu en 2019, lorsque les juge d'instruction ont effectivement déclaré un non-lieu général. On a un procureur qui est censé défendre le peuple et qui finalement défend la multinationale Airbus », s'est emportée devant la salle d'audience Danièle Lamy, présidente de l'association, dénonçant un « procès à charge contre les pilotes ». A la suspension d'audience, en milieu de journée, les deux procureurs étaient cependant à mi-chemin de leurs réquisitions, dont le sens reste un point d'interrogation.
Léo Barnier
(Crédits : L. Barnier - La Tribune)

C'était annoncé. Si les réquisitions du parquet dans le procès de l'accident du Rio-Paris ne convenaient pas aux parties civiles, plus précisément à l'association de familles de victimes Entraide et solidarité AF447, celles-ci se réservaient le droit de manifester leur mécontentement. Et c'est ce qu'elles ont fait ce mercredi midi, peu avant la suspension d'audience, alors que les points centraux de l'accusation à l'encontre d'Air France et d'Airbus n'avaient pourtant pas encore été abordés. Avec un discours très structuré, les deux procureurs se sont attachés à aborder méthodiquement toutes les questions soulevées au cours du procès, annonçant au coup par coup si elles constituaient une faute pénale ou non. Un égrenage parfois fastidieux pour une salle bondée, attendant impatiemment de connaître la teneur générale des réquisitions.

Aucune négligence fautive de l'équipage

Particulièrement nombreuses, les parties civiles sont ainsi passées par nombre d'émotions au cours des deux heures qu'a duré cette première séquence ce mercredi matin. Elles ont d'abord été rapidement satisfaites, ou du moins soulagées, lorsque le procureur a déclaré que pour le ministère public, aucune négligence fautive ne pouvait être retenue à l'encontre de l'équipage, et notamment le commandant de bord concernant les points qui lui étaient reprochés : ne pas avoir éviter la zone de perturbations météorologiques comme l'avaient fait les avions environnants, avoir quitté le cockpit à l'approche de cette zone de convergence intertropicale connu pour ses conditions difficiles, avoir laissé l'officier pilote de ligne le moins expérimenté le suppléer.

Ne pas avoir changé les sondes n'est pas une faute pénale

La suite a sans doute été moins agréable à entendre. Se succédant dans la prise de parole, les deux procureurs ont affirmé que les trois seules sondes Pitot disponibles sur le marché, à savoir des sondes Thales AA, Thales BA et Goodrich 0851HL répondaient toutes aux conditions fixées par Airbus, elles-mêmes supérieures à la réglementation. Il a ajouté qu'il n'existait alors pas de système alternatif et que le phénomène de cristaux de glace en haute altitude était encore mal connu à l'époque. Ils ont donc conclu que le non-changement des sondes Pitot Thales AA par des BA ou des Goodrich n'a pu constituer une faute pénale. Ils ont ainsi estimé qu'il n'est pas possible de savoir avec certitude si un autre modèle de sonde aurait givré ou non dans les conditions rencontrées par l'AF447, précisant que les évènements se sont d'ailleurs poursuivis à un rythme encore élevé pendant quatre mois malgré l'abandon des sondes AA avant de perdurer pendant plusieurs années encore à un rythme moindre.

Pas de corrélation nette entre les actions à cabrer du pilote et les ordres des directeurs de vol.

Dans la même ligne, le ministère public a abordé les conséquences de ce givrage sur les systèmes de l'avion. Il a estimé que même en loi Alternate, avec la perte d'une partie des protections de vol, que l'avion était encore pilotable, que les commandes et les automatismes avaient non seulement fonctionné conformément à leurs normes de certification mais aussi répondu correctement aux actions des pilotes. Même si celles-ci ont évolué par la suite, les procureurs ont établi que les règles de fonctionnement de l'alarme de décrochage (ou « stall ») et des directeurs de vol étaient justifiées. Ils considèrent également que le déclenchement de l'alarme  « stall »  n'a pas été indu, même si les pilotes ont pu en douter, et qu'il n'est pas possible d'établir une corrélation nette entre les actions à cabrer du pilote et les ordres des directeurs de vol.

Par déduction, si tous les systèmes ont fonctionné correctement et n'ont pas entraîné une perte de contrôle de l'avion, c'est donc que ce sont les actions de l'équipage qui en sont à l'origine. Et ce alors que les associations des familles des victimes ne cessent de pointer du doigt la responsabilité d'Airbus.

Mais la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour l'association Entraide et solidarité AF447 est arrivée quelques minutes après, lorsque le procureur a déclaré que la classification du givrage des sondes Pitot en événement majeur était justifiée au vu des critères en vigueur, soit les effets possibles sur la machine, l'équipage et les passagers, puis le risque d'occurrence. Il a d'ailleurs argué que cette classification avait été confirmée par l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), après une analyse par ses propres moyens à la suite de la recrudescence des cas de givrage en 2008-2009. Le représentant du ministère public a ajouté que l'analyse des rapports d'incident rédigés par les pilotes (ASR) ne permettait pas non plus de conclure à une « unsafe condition » exigeant des mesures drastiques et immédiates. Le parquet a donc conclu que la classification de la panne ne pouvait pas non plus constituer une faute pénale.

Il n'en fallait pas plus à Danièle Lamy, présidente d'Entraide et Solidarité AF447 qui représente 33 familles avec 384 adhérents, pour donner le signal du départ, provoquant une levée massive sur les bancs des parties civiles, rapidement suivie par la presse. « C'est une honte » a ainsi déclaré la présidente de l'association après sa sortie de la salle d'audience.

Les points principaux ne seront pourtant abordés que cette après-midi. Le parquet devra ainsi se prononcer sur un éventuel défaut de formation et d'information d'Air France vis-à-vis de ses pilotes et s'il y a eu une sous-estimation par Airbus du risque provoqué par le givrage des sondes Pitot, au vu de la multiplication d'incidents survenus dans les mois précédents le crash du vol Rio-Paris en juin 2009.

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 08/12/2022 à 9:50
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J'étais à bord de ce vol. Je peux vous assurer que ni les sondes pitot ni l'equipage ne sont responsables du drame. Nous avons été éperonné par un énorme vaisseau d'origine sidérée dont les petits bonhommes verts et gluants nous ont aspiré un par un....

à écrit le 07/12/2022 à 21:32
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Pire que scandaleux, precher de ne surtout pas mettre en cause la CERTIFICATION soit parcequ' il est incompétent pour en dénoncer les aspects techniques de causalité directe avec l'entrée en décrochage et sa non récupération révèle que c'est bien là ...

à écrit le 07/12/2022 à 17:22
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Scandaleux !. Le poids du SNPL et celui d'Airbus vont épargner de toute faute les pilotes et le constructeur ! Et pourtant, un équipage incompétent et un constructeur incapable de fournir des sondes qui fonctionnent quelques soient les conditions mé...

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