
Peut-on être condamnés, ou du moins condamnables, tout en ayant parfaitement respecté la réglementation ? C'était l'une des questions posées par le procès du vol Rio-Paris, l'accident du vol AF447 qui a fait 228 morts le 1er juin 2009 dans l'Atlantique Sud, qui voyaient Airbus et Air France accusés d'homicides involontaires par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence imposée par la loi ». A cette question, le Tribunal correctionnel de Paris a répondu oui. Et ce même si les deux sociétés ont été relaxées.
Sylvie Daunis, la présidente du Tribunal, s'est voulue claire sur ce point dans l'énoncé du verdict. Elle a ainsi déclaré que « les notions de négligence et d'imprudence sont distinctes de la notion de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité légale ou réglementaire. Ainsi, même lorsque la réglementation a été parfaitement respectée, ce respect n'est pas exclusif de la commission de toute imprudence ou imprudence susceptible de caractériser une faute pénale. »
Des imprudences fautives
Le fait est que le Tribunal a établi que les deux accusés avaient commis plusieurs fautes ayant contribué au drame, à savoir la perte d'un Airbus A330 d'Air France avec 228 personnes à bord. Dans le détail, quatre « imprudences fautives » ont été établi à l'encontre d'Airbus qui comparaissait pour répondre du fait d'avoir sous-estimé les défaillances des sondes Pitot, en dépit d'une accélération du nombre d'événements liés à ces équipements, et de ne pas avoir averti et contribué à la formation des équipages en conséquence.
La cour a ainsi considéré qu'Airbus était fautif de « ne pas avoir procédé au rétrofit des sondes Pitot Thales AA de la flotte A330/340 » - option proposée par le constructeur et choisie par Air France - alors qu'elles disposaient de performances moindres et d'une durabilité inférieure à celle des sondes Goodrich de série. Et ce même si les deux équipements « ont été certifiés avec les mêmes exigences ». Sans compter qu'Airbus avait imposé des normes plus contraignantes que la réglementation aux équipementiers Thales et Goodrich.
La deuxième imprudence établie est la pratique par Airbus d'une « forme de rétention de l'information et à une pratique trop verticale du traitement des incidents subis par ses clients » alors qu'un partage d'expérience entre compagnies aurait permis d'accroître leur prise de conscience de la gravité de la situation. Là aussi, le constructeur semble pourtant avoir été dans les clous de la réglementation. Il en est de même pour la troisième imprudence retenue, à savoir « le classement et le contenu inadaptés dans le contexte des années 2008-2009 » de la procédure Stall warning (série d'actions à effectuer par les pilotes lorsque l'alarme prévenant d'un risque de décrochage retentit).
Enfin, les juges ont noté l'absence de message spécifique indiquant une perte d'indication de vitesse sur le système de surveillance électronique centralisée de l'avion (ECAM), qui aurait aidé au diagnostic de la situation.
Relaxés malgré tout
Si Airbus a été relaxé malgré ces quatre fautes, c'est qu'aucun lien de causalité certain n'a pu être établi entre ces imprudences et l'accident. C'est-à-dire qu'il doit donc être démontré que sans la faute reprochée au prévenu, le décès des victimes ne serait pas survenu. En l'absence de ce lien de causalité certain, pas de condamnation sur le plan pénal, pour homicides involontaires. « Même la quasi-certitude n'est pas suffisante pour caractériser un délit », a ainsi précisé Sylvie Daunis.
Ainsi, des pertes d'indication de vitesse ont eu lieu encore après l'accident malgré les changements de sondes, même si elles se sont réduites. De même, il n'est pas possible de présager avec certitude des mesures qu'aurait prises Air France avec une meilleure information de la part d'Airbus, ou si les pilotes auraient mieux réagi avec une procédure Stall warning différente. Seul le lien de causalité avec l'absence de message spécifique ECAM semblait évident pour le Tribunal, mais le fait est que les pilotes ont tout de même réussi à établir le diagnostic de perte d'indications de vitesse sans pour autant appliquer la procédure prévue de manière efficace.
Concernant Air France, une seule faute a été retenue. Le Tribunal estime que la note de l'officier de sécurité des vols (OSV) de la compagnie, à destination des pilotes et portant sur les pertes d'indications de vitesse, n'aurait pas dû être supprimée du portail Internet dédié en janvier 2009, voire republiée en mars 2009 lorsque deux incidents ont eu lieu. Mais là aussi, au vu des différentes sources d'information disponibles et des formations dispensées, le Tribunal a considéré que les pilotes « disposaient des connaissances nécessaires pour faire face aux incidents de gel des sondes Pitot ». Et donc, il a donc jugé qu'il n'y avait pas de certitude dans le lien de causalité.
Une défaillance systémique
S'ils ont des responsabilités, Airbus et Air France ne sont pas les seuls garants de la sécurité. Lors du procès, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) française et l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) ont été interrogées en tant que témoins pendant de longues heures sur leur connaissance de la situation et leur rôle dans l'enchaînement qui a conduit à l'accident. Et si chacun a assuré avoir joué son rôle et fait ce qu'il avait à faire conformément à la réglementation et aux procédures pour faire remonter les problèmes de sécurité, il en est ressorti une impression d'inertie et d'apathie pour prendre des actions efficaces pour résoudre un problème tel que le gel de sondes Pitot. Un comble pour des instances référentes dans un monde aéronautique réputé pour sa culture de sécurité. Elles avaient d'ailleurs été largement tancées par les parties civiles.
Pour autant, cette défaillance générale du système - car il y a un crash et des morts - n'exonère pas Airbus ou Air France. Comme l'a indiqué Sylvie Daunis, « l'existence de fautes conjuguées qui ont toutes concourues à la réalisation du dommage ne peut pas exonérer chaque auteur de sa propre responsabilité ». Bien que relaxés, la responsabilité des deux sociétés est donc engagée par le Tribunal. Celui-ci a d'ailleurs établi que sur le plan du droit civil - où il n'y a pas besoin de prouver un lien de causalité certain mais seulement d'établir que la faute a réduit la probabilité d'un dénouement favorable - Airbus et Air France étaient « responsables civilement du dommage subi et devaient le réparer ».
Dans la salle, l'une des proches de victimes déclarait avant le verdict ne rien attendre d'un côté comme de l'autre, même si elle estimait qu'une relaxe ne serait pas rendre honneur aux 228 victimes. Elle soulignait ainsi que les mesures prises pour améliorer la sécurité après l'accident montraient, selon elle, qu'il y avait bien un problème. Et de conclure que cette amélioration de la sécurité, bien qu'a posteriori, était sans doute le point positif de toute cette affaire.
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