SCAF : les sept exigences du Bundestag pour surveiller le programme franco-allemand

Par Michel Cabirol  |   |  939  mots
Les industriels allemands et français doivent faire de la place aux industriels espagnols dans le programme SCAF (Crédits : Dassault Aviation / Loan Charleau)
Lors de l'approbation du contrat de R&T pour le programme SCAF, le Parlement allemand a formulé sept exigences auprès du gouvernement Merkel. Sept exigences qui font monter la pression sur le bon déroulement de ce programme vital pour la souveraineté européenne.

La ministre des Armées Florence Parly va signer jeudi à l'Hôtel de Brienne le contrat portant sur la réalisation des démonstrateurs du Système de combat aérien du futur (SCAF) en présence de son homologue allemande, la ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, et du secrétaire d'Etat auprès de la ministre de la Défense espagnole, Ángel Olivares Ramírez. Cette signature fait suite à l'approbation mercredi dernier par le Bundestag du premier contrat de Recherche et Technologie (R&T) du programme SCAF d'une durée de 18 mois (phase 1A). Une étape cruciale pour le lancement du successeur du Rafale et de l'Eurofighter.

Ce contrat s'élève à 155 millions d'euros au total et financé à parité par la France et l'Allemagne. Il concerne le développement le design de base du programme (démonstration, certification, conception de la gestion des données), le design de base de l'avion (architecture système, données aérodynamiques, intégration des armements, configurations de démonstration), les systèmes (motorisation, capteurs et intégration), la Simulation et l'environnement (conduite des essais et intégration, cohérence de l'ensemble), les premières briques de maturité technologique, dont réduction de la signature en phase supersonique, et, enfin, la conduite de la production.

Les sept exigences du Bundestag

Mais pour voter ce budget, le Bundestag a formulé, outre un développement parallèle des projets SCAF et du char du futur (MGCS), sept exigences auprès du gouvernement fédéral. Le Parlement allemand a demandé au ministère de la Défense de présenter un rapport complet sur le projet MGCS, et plus particulièrement, sur la consolidation du secteur de l'industrie terrestre allemande (Rheinmetall et Krauss-Maffei Wegmann) lors d'une session de la commission de la défense et de celle du budget prévue le 4 mars prochain (1). Au-delà, il souhaite la mise en place d'une gestion interministérielle afin de superviser les deux projets SCAF et MGCS (2) ainsi que la publication de comptes-rendus trimestriels afin que les membres des commissions de la défense et du budget puissent suivre l'avancement des deux projets (3).

Le gouvernement est appelé par le Bundestag à définir pour les deux projets les technologies-clés nationales et a prendre des mesures pour que leur conception, leur production et leur disponibilité pour l'Allemagne soient garanties (4). Elles concernent les technologies issues des participations allemandes en tant que comme chef de file ou partenaire principal, dans les projets nationaux et internationaux dans des programmes technologiques et de démonstrateurs. Pour la R&T qui peut être utilisable dans le civil, des mesures similaires doivent être prises (ainsi que des structures créées à cette fin) par le ministère de la Défense, le ministère de l'Economie, le ministère de la Recherche & Développement, comme, par exemple, le programme de recherche aéronautique au Ministère de l'Economie (5).

Par ailleurs, le Parlement allemand souhaite que l'accord conclu en 2013 entre Airbus (EADS à l'époque) et le gouvernement allemand sur la protection des intérêts essentiels de sécurité, soit actualisé au regard du projet SCAF (6). Enfin, il a donné au gouvernement allemand jusqu'au 17 juin prochain pour répondre sur les points 2 à 6 (7).

Une véritable course de haies

Le Bundestag entend mettre la pression sur le gouvernement allemand pour protéger les intérêts industriels de l'Allemagne. Il exprime les mêmes inquiétudes exprimées dans sa lettre du 14 juin 2019 : inquiétudes sur la domination française, sur les retards allemands dans les deux programmes et exigences de l'égalité des droits intellectuels, de la parité dans tous les domaines avec la France, et du juste retour militaire et civil des investissements en Allemagne. Pour le Bundestag, les deux projets doivent être développés de concert même s'ils sont de nature et de complexité différentes. "Les Allemands cherchent à renforcer ou à réacquérir des compétences où ils n'étaient pas en pointe", constate un bon observateur.

De nouvelles inquiétudes ont également été exprimées lors du débat au Parlement : rôle de l'Espagne, question sur les droits de propriété intellectuelle, rôle de Rheinmetall dans la consolidation terrestre. Autant de dossiers qui pourraient parasiter le bon déroulement du programme SCAF. Ce qui est sûr c'est que les industriels français et allemands vont devoir faire de la place à Indra, le champion espagnol choisi par Madrid pour coordonner les industriels locaux, mais aussi au motoriste ITP et au groupe d'ingénierie et de technologie Sener, notamment. Les discussions sont déjà engagées entre eux.

Sur la propriété intellectuelle, la France et l'Allemagne ont trouvé un accord cadre où chaque industriel pourra protéger la propriété intellectuelle de ses compétences. Ce qui veut dire que Safran par exemple ne sera pas obligé par exemple de transférer à MTU ses compétences sur les parties chaudes du moteur. En revanche, toutes les compétences nécessaires à l'établissement des études en commun sont partagées dans un cadre de droit d'usage. Clairement, tout ce qui est créé en commun par les industriels dans le cadre de la coopération (Airbus/Dassault Aviation ou Safran/MTU par exemple), appartient de manière conjointe aux entreprises.Ce qui veut dire aussi que tout ne se fera pas en commun et donc ne se partagera pas. En outre, les Etats peuvent s'en servir pour leurs besoins de défense. En revanche, pas question pour les industriels de transférer vers le civil des savoir-faire s'ils n'en ont pas la propriété intellectuelle.