"Si nous voulons faire l'Europe de la défense, il va y avoir des choix à faire" (Sylvie Goulard)

Par Michel Cabirol  |   |  1050  mots
"Il est souhaitable que nous achetions en concertation les uns avec les autres des matériels, ce qui oblige de casser certaines routines, certaines facilités industrielles aussi, a expliqué la ministre des Armées Sylvie Goulard
La ministre des Armées Sylvie Goulard préconise d'harmoniser les besoins capacitaires des armées européennes en vue d'acheter en coopération les mêmes matériels militaires.

Pour l'Europe de la défense, Sylvie Goulard souhaite "casser certaines routines" et "certaines facilités industrielles". Dans un entretien vidéo avec Le Talk stratégique du Figaro.fr, la ministre des Armées préconise ainsi d'harmoniser les besoins capacitaires des armées européennes en vue d'acheter en coopération les mêmes matériels militaires. Pourquoi pas, mais cette vision risque de se heurter au pragmatisme des pays européens, dont la plupart se sont dotés d'avions de combat américains (F-16, F-18 et maintenant F-35) pour ne prendre que cet exemple symbolique. La Belgique, pourtant au cœur de l'Europe, devrait prochainement s'orienter vers le F-35 alors que trois avions de combat européens sont disponibles sur le marché (Eurofighter, Gripen et Rafale). L'Allemagne est également intéressée par le F-35 de Lockheed Martin, qui est un gouffre financier et technique...

"Il est souhaitable que nous achetions en concertation les uns avec les autres des matériels, ce qui oblige de casser certaines routines, certaines facilités industrielles aussi, a expliqué la ministre des Armées lors de cet entretien. Je l'assume. Si nous voulons faire l'Europe de la défense, il va y avoir des restructurations à opérer, à faire des choix, des choix de compatibilité et, à terme, de souveraineté augmentée mais qui pourront passer dans un premier temps aboutissant à privilégier des consortiums dans lesquels les Français ne sont pas toujours leaders. Bien évidemment nous défendrons autant que possible les intérêts français".

La simple harmonisation des besoins capacitaires et des calendriers de mise en service des équipements militaires des armées européennes serait déjà un petit pas vers le grand objectif d'une Europe de la défense, dont il faut le rappeler aucun pays européen ne voulait jusqu'à présent à l'exception de la France. Cette dernière a été même jusqu'à brader ses intérêts économiques pour constituer des groupes européens à parité entre la France et l'Allemagne comme Airbus et KNDS.

Vers un jeu collectif

Selon elle, un "tabou" a été levé par Bruxelles avec la création d'un Fonds européen de défense doté de 5,5 milliards d'euros. "C'est un vrai changement culturel", a assuré Sylvie Goulard. Ce plan d'action, très fortement inspiré par la commissaire européenne au Marché intérieur et à l'Industrie, Elżbieta Ewa Bieńkowska, doit garantir que "la base industrielle de défense européenne peut répondre aux besoins actuels et futurs de l'Europe en matière de sécurité ; à cet égard, il renforce l'autonomie stratégique de l'Union et, par la même, sa capacité à agir avec des partenaires", avait estimé en décembre la Commission.

"C'est un tournant pour un meilleur partage des coûts, mais aussi des capacités de défense", a déclaré la ministre des Armées dans un communiqué. "Ces travaux insufflent un élan politique majeur sur les questions d'innovation, des moyens et de souveraineté technologique. (...) Il s'agit d'une opportunité qu'il nous appartient de saisir", a-t-elle précisé.

Pour la ministre, "il faut comprendre que si on veut entrer dans un jeu collectif, on entre dans une autre logique et, à termes, on en recueillera les fruits alors que si nous nous replions sur une vision extrêmement étriquée, petit à petit les compétences finiront par se réduire". C'est vrai et c'est faux. Jusqu'ici, les armées françaises ont gardé leur savoir-faire au prix d'une adaptation incroyable en dépit de plus de vingt ans de coupes claires dans ses budgets. La ministre des Armées a d'ailleurs rendu hommage aux militaires qui "servent le pays d'une manière admirable". Les armées n'ont pas non plus attendu ce gouvernement pour travailler en coopération avec des partenaires sur des opérations extérieures. Elles savent faire.

Interrogé par le quotidien régional "La Voix du Nord" sur la faiblesse du soutien européen au Mali, l'ancien ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian avait eu en février 2013 un discours sans langue de bois : "Le président du Mali nous a appelé à l'aide le 10 (janvier 2013, ndlr). La décision d'intervenir a été prise par le président (François Hollande, ndlr) le 11 à 12h30, j'y étais. Et nos forces ont commencé à arriver à 17 heures. Que vouliez-vous faire ? Consulter les vingt-sept ? Tout cela, c'est du bla-bla, un discours de l'opposition. La vérité, c'est que nous avons la réactivité militaire et le pouvoir de décision. Quand l'Europe de la Défense aura la capacité d'intervenir immédiatement, ce sera dans 150 ans ! Il faudrait que l'Europe ait un gouvernement unifié, une assemblée européenne et une autorité militaire communes. Je ne sais pas si on verra ça".

Un effort de défense à hauteur de 2% du PIB

Pour continuer à servir la France aussi bien que possible, les militaires demandent que l'effort de défense soit porté à 2% du PIB. Emmanuel Macron l'a promis pour 2025 (hors pensions). Il l'a réaffirmé lors du sommet de l'OTAN à Bruxelles en présence de Donald Trump et Angela Merkel. "Il n'y a aucun doute sur cet objectif", a assuré Sylvie Goulard. Mais ça commence mal, Bercy a gelé 2,7 milliards d'euros, comme l'a révélé La TribuneInterrogé jeudi soir sur ce gel confirmé par le ministère des Armées, le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin a indiqué qu'il allait "appliquer le projet présidentiel qui prévoit d'aller jusqu'à 2% du PIB" pour le budget de la défense.

Lors de son entretien avec le Figaro.fr, Sylvie Goulard a expliqué qu'elle partait dans ces négociations avec un "esprit combatif pour la défense" tout en rappelant qu'elle devait raisonner en "équipe France, qui doit aussi assurer sa crédibilité" et, donc, résorber ses dettes. "Il ne faut pas qu'on oublie que nous avons un effort de remise à flot des finances publiques dans lequel la défense conservera bien évidemment un caractère tout à fait prioritaire, a-t-elle expliqué. Mais cela amènera des arbitrages douloureux sur lesquels je ne veux pas anticiper. C'est la responsabilité du Premier ministre et du Parlement". La défense sera-t-elle prioritaire tout en étant concernée ou pas par les "arbitrages douloureux" ? That is question...