Terrorisme : les avertissements prémonitoires du chef d'état-major des armées

Par Michel Cabirol  |   |  912  mots
Des attaques suicides ? "Qui peut dire qu'ils ne viendront pas demain jusqu'à nous ?", avait estimé le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers
Tout est dit dans les propos tenus le 15 octobre dernier par le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers : "les menaces augmentent et se rapprochent. Nous n'avons pas le droit de détourner le regard. Demain il sera trop tard; nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !".

Il y avait urgence, selon le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers. Il avait malheureusement raison. Beaucoup trop au regard des attaques terroristes simultanées du 13 novembre à Paris. Quand le 15 octobre - soit moins d'un mois avant les évènements tragiques de vendredi -, le général Pierre de Villiers se présente devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, il a préparé une intervention alarmiste et grave.

Certains estimeront, comme le secrétaire d'Etat au Budget, Christian Eckert, trop obnubilé par le respect des critères de Maastricht, que "l'armée a toujours besoin d'argent ! On ne vous dit pas pour quoi faire, c'est secret-défense", selon des propos rapportés par "Le Canard Enchainé". Comme quoi les leçons d'un passé pourtant encore récent (Charlie) sont vite oubliées...

"Un niveau de menace inédit"

Le chef d'état-major des armées avait estimé devant la commission de défense que "le contexte sécuritaire est marqué par la gravité, l'urgence et la complexité des crises géopolitiques, ainsi que par un niveau de menace inédit depuis de nombreuses années. (...) Les menaces augmentent et se rapprochent. Daech au Levant, AQMI au Sahel, Boko Haram au Nigeria : nous n'avons pas le droit de détourner le regard. Demain il sera trop tard ; nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !" Un mois plus tard, la guerre est effectivement entrée dans Paris. Par effraction et par surprise bien sûr comme tous les experts s'y attendaient.

Pour le général de Villiers, "le phénomène du terrorisme international dessine une deuxième ligne de force. Incarné par Al-Qaïda, Daech et leurs affidés, il renvoie à la radicalisation djihadiste et répond à une stratégie délibérée : la recherche de la rupture par une surenchère de terreur". Et Daech a les moyens de transposer cette terreur en France. Ainsi il estimait que 20% environ des combattants étrangers présents au Levant, sont francophones, dont environ 500 Français.

La propagande de Daech est "de grande qualité" avec 2.700 comptes Twitter

Le général Pierre de Villiers avait d'ailleurs pointé du doigt la propagande, véhiculée par les réseaux sociaux et orchestrée par Daech. Il estimait qu'elle était "offensive et de grande qualité technique". Et d'assurer que le bilan de cette propagande est "efficace et, ne nous leurrons pas, elle exerce une attractivité certaine sur une partie de notre propre population, notamment sur notre jeunesse".

"En cela, elle menace notre société et elle place la violence au cœur de notre démocratie. La menace est sérieuse. Il suffit de regarder quelques faits pour s'en convaincre : 2 700 comptes Twitter pro-Daech en langue française relaient la propagande djihadiste".

Il constatait également que l'avance technologique des armées occidentales, qui donnait jusqu'ici "d'office l'ascendant, se réduit sous l'effet des modes d'action qui visent à la contourner". Des modes d'action qui limitent les avantages liés à la technologie. Il s'agit des cyber-attaques, des engins explosifs improvisés, des snipers, des attaques suicides, des actions dans les champs de l'influence et de la perception. "Nous les avons affrontés en Afghanistan, au Mali, et maintenant nous les affrontons au Levant. Qui peut dire qu'ils ne viendront pas demain jusqu'à nous ?", avait-il expliqué de façon prémonitoire. C'est dans ce cadre que les armées réfléchissent "à la façon d'adapter nos équipements à cette tendance". Car "la technologie reste indispensable, mais elle n'est pas suffisante".

La gestion du temps court et la nécessité d'inscrire l'action dans le temps long

Enfin, le chef d'état-major des armées avait pointé l'une des très grandes faiblesses des démocraties occidentales plus enclines à traiter les problèmes complexes sur un temps trop court en oubliant les actions de long terme, souvent en dehors des mandats politiques. C'est ce qu'il appelait "la contradiction de plus en plus flagrante entre la gestion du temps court et la nécessité d'inscrire l'action dans le temps long". "Avec l'information instantanée et continue, la pression pour une réponse immédiate s'applique partout et à tous alors que l'histoire nous montre que la résolution d'une crise demande en moyenne une quinzaine d'années d'endurance, de constance et de persévérance", avait-il expliqué.

Et selon lui, le risque est grand de se tromper au regard des enjeux sur le long terme. "En réagissant sous le coup de l'émotion à un événement circonstanciel, nous courrons le risque de la précipitation et du micro-management, qui peuvent provoquer des réponses inappropriées au regard des enjeux réels et au regard de nos objectifs stratégiques. Plus grave encore, nos perceptions biaisées pourraient conduire à des décisions hâtives quant à nos aptitudes militaires, comme l'abandon de telle ou telle composante sous prétexte qu'elle serait mal adaptée à la menace la plus proche.

"Nous ne devons pas baisser la garde, ni adapter notre outil de défense aux seuls combats d'aujourd'hui. Gardons le juste recul pour appréhender l'avenir incertain et «penser l'impensable», pour reprendre les termes du stratège et diplomate que fut François de Rose ! L'histoire est parfois cruelle sur ce plan. Les choix du PLF pour 2016 s'inscrivent aussi dans cet esprit d'attention au temps long et à la complétude de notre spectre des capacités, aujourd'hui et demain".