Agroalimentaire : tout comprendre sur les négociations commerciales entre fabricants et distributeurs

Par Lou-Anne Bujoli  |   |  886  mots
L'Etat, lui, surveille ces négociations commerciales comme le lait sur le feu pour deux raisons : contenir l'inflation et garantir une juste rémunération aux agriculteurs (Photo d'illustration). (Crédits : Reuters)
Ce 31 janvier à minuit marque l'ultime date butoir des négociations commerciales annuelles entre les distributeurs et les fournisseurs. Non seulement elles interviennent dans le contexte de la crise des agriculteurs mais ces discussions jouent aussi un rôle décisif pour le pouvoir d'achat du consommateur. Car elles fixent, entre autres, les prix des produits vendus dans la grande distribution pour l’année. La Tribune décrypte ce rendez-vous crucial qui s'est achevé.

En pleine crise agricole, en France et à l'échelle européenne, un autre front est en passe, non sans difficultés, de se résoudre. Depuis le 5 décembre 2023, les distributeurs - représentés par les enseignes de supermarché notamment - et les fournisseurs - industriels de l'agroalimentaire, entre autres - mènent des négociations commerciales en vue de décider du prix de vente des produits de consommation générale en supermarché pour l'année 2024. Des discussions sensibles, a fortiori dans un contexte d'inflation persistante et qui s'achèvent ce soir à minuit. Voici ce qu'il faut en retenir.

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Quel est le principe des négociations commerciales annuelles ?

Très suivies par le gouvernement, ces négociations sont primordiales, à la fois pour anticiper le pouvoir d'achat des ménages, au regard des tarifs actés, et pour la rémunération des producteurs. La logique du distributeur sur le papier ? Obtenir le prix le plus bas, afin d'être plus compétitif que ses concurrents dans les rayons.

L'Etat, lui, surveille ces négociations commerciales comme le lait sur le feu pour deux raisons : contenir l'inflation et garantir une juste rémunération aux agriculteurs.

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Qui sont les acteurs concernés par les négociations commerciales annuelles ?

Les négociations commerciales se tiennent tous les ans. Y interviennent ainsi les représentants de la grande distribution (E. Leclerc, Carrefour, Auchan...) et les entrepreneurs de l'agroalimentaire : du petit producteur de fromage de brebis aux géants comme Lactalis (Président, Lactel, Galbani...).

Comment ce rendez-vous annuel fonctionne-t-il ?

Les négociations commerciales permettent de définir notamment les prix d'achats « de gros ». « Ces prix de gros déterminent les prix de vente en rayons », rappelle-t-on sur le site vie-publique. En clair, plus la somme dont le distributeur s'acquitte auprès du fournisseur est élevée, plus le prix répercuté auprès du consommateur le sera, lui aussi.

Outre les prix, les négociations actent la place des produits dans le rayon, les éventuelles promotions, voire les marges arrière. Pour rappel, ces dernières représentent les ristournes de fin d'année obtenues par les distributeurs en contrepartie d'avantages, comme la mise en avant du produit dans le magasin ou sur un catalogue.

A quelle échéance ont-elles lieu ?

D'ordinaire, les négociations commerciales débutent le 1er décembre, et s'achèvent au 1er mars de l'année suivante. Exceptionnellement, début novembre 2023, une loi a acté que la date de clôture des discussions soit avancée d'un mois. Les parties ont donc eu deux mois, au lieu de trois pour s'entendre. L'exécutif s'est justifié en assurant vouloir agir sur l'inflation plus rapidement.

A noter toutefois, le calendrier n'était pas identique, selon la taille et le poids de l'entreprise. Les entreprises dégageant moins de 350 millions d'euros de chiffre d'affaires hors taxe (CAHT), les PME, avaient ainsi jusqu'au 15 janvier pour conclure ces accords commerciaux. Les industriels de l'agro-alimentaires, souvent accusés de refuser ou d'esquiver la négociation, ont commenté cette décision en se déclarant « d'accord sur le principe » mais en demandant qu'une attention particulière soit accordée aux PME, afin qu'elles ne soient pas défavorisées par ce rapprochement des échéances. Pour les plus gros, les négociations se terminent ce soir à minuit. A la mi-journée, seul un tiers des négociations avait été signé.

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Quels moyens l'Etat a-t-il mis en place pour réguler ces négociations ?

La première loi votée en faveur des fournisseurs dans le cadre de ces négociations commerciales, la loi Galland, date de 1996. Depuis cette dernière, plusieurs lois sont venues s'ajouter : loi Dutreil (2005), loi Hamon (2014), et enfin trois lois dites Egalim en en 2018, 2021 et 2023. Le but ? Protéger l'intérêt des fabricants, considérés comme vulnérables face aux désormais géants de l'industrie.

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Les lois Egalim sont régulièrement citées comme un des facteurs de la colère des agriculteurs, et ce, alors que leur objectif initial était de protéger les producteurs, en encadrant les promotions de chaque produit. Devant la grogne montante des exploitants, le Premier ministre a annoncé un renforcement des contrôles opérés par la répression des fraudes.

« Dès la semaine dernière, 100 inspecteurs de la DGCCRF supplémentaires ont commencé leurs contrôles sur le terrain. Et seront deux fois plus nombreux qu'auparavant », a-t-il vanté lors de son discours de politique générale.

La loi Descrozaille, qui prévoit de rehausser l'amende à 5 millions d'euros en cas de non-respect du calendrier des négociations, pousse la quasi-totalité des parties à signer en temps et en heure. Avant cette loi, si les négociations n'étaient pas conclues à date, soit les produits continuaient d'être vendus au prix initial, soit le fournisseur choisissait d'arrêter sa collaboration avec le distributeur. Dans ce cas, il subissait un important préjudice financier.